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Le Sinn Féin chamboule le paysage politique Irlandais

Les élections législatives irlandaises de Samedi ont provoqué la surprise, en plaçant le parti Républicain Sinn Féin en tête du vote populaire, avec 24,5 % des voix. La formation longtemps marginalisée pour ses liens avec l’IRA – elle n’avait reçu que 1,2 % des votes aux élections législatives de 1989 et n’avais jamais dépassé les 11 à 13 % – arrive ainsi devant le Fianna Fail (centre pro-britannique 22,2 %) et le Fine Gael (centre pro-réunification irlandaise, 20,9 %). Du fait du mode de scrutin proportionnel plurinominal, le Sinn Féin est toutefois deuxième en nombre de sièges (37 sur les 160 du Dail, la chambre basse du Parlement irlandais), juste derrière le Fianna Fáil (38), mais devant le Fine Gael (35) du chef du gouvernement sortant, Leo Varadkar.

« Les gens qui ont voté Sinn Fein ont voté pour que le Sinn Fein soit au gouvernement, donc nous avons ouvert des discussions et pris contact avec les dirigeants » des autres partis, a annoncé sa dirigeante Mary Lou McDonald, à l’annonce des résultats. Difficile, en effet, de ne pas le voir comme me grand vainqueur des élections de 2020 – et ce d’autant que le parti a massivement été plébiscité par les jeunes. A ce propos, l’écrivain Sorj Chalandon, proche du parti, a vivement pris à parti ses critiques, estimant que « le monde a tourné sans vous, l’Histoire s’est faite malgré vous ». Il s’agit en tout cas d’un message très clair aux deux partis traditionnels de l’establishment : leur domination est terminée.

Compte tenu de ce dénouement, la formation d’un gouvernement promet d’être compliquée. Rappelons qu’il avait fallu 2 mois pour que les élus s’entendent en 2016. Difficile de savoir si les points d’achoppement avec le Sinn Féin viendront à bout d’une alliance avec une des grandes formations. Le chef du Fianna Fail, Micheal Martin, a timidement ouvert la porte à une alliance de circonstances avec le Sinn Féin. « Le système politique irlandais pousse à la coalition, mais dans ce cas présent, le flou est total car la poussée progressive du Sinn Féin fracture les alliances naturelles », notait à ce propos Karin Fischer, professeure à l’université d’Orléans, spécialiste de l’histoire et de la société irlandaises.

L’inquiétude sociale irlandaise

Seule certitude : le grand perdant de ce vote est le Premier ministre sortant, Leo Varadkar. Non seulement sa formation est arrivée troisième, mais dans le même temps, il perd sa majorité, le duopole Fianna Fail et Fine Gael n’enregistrant ensemble qu’environs 43 % des suffrages. Un recul qui est dû à un rejet de la politique du gouvernement, qui a « choisi de mettre la fiscalité basse au cœur de leur politique économique et sociale, avec des avantages pour les industriels et des inconvénients pour le reste de la société », résume Alexandra Slaby, maître de conférences à l’université de Caen-Normandie et spécialiste de la civilisation irlandaise.

Si en Irlande, l’économie va bien (croissance honorable, plein emploi), la multiplication des problèmes sociaux aura entaché ce bilan. Depuis 2014, le nombre de personnes sans domicile fixe a quadruplé en Irlande. Dans les hôpitaux, trois cents lits ont été supprimés en dix ans, alors que la population augmente. En même temps, depuis 2012 les prix de l’immobilier à Dublin ont bondi de 85%, alors que les salaires stagnent. Un sondage Ipsos/MRBI notait, avant le vote, que 32 % des Irlandais se souciaient en premier lieu du système de santé et du prix des logements (26 %).  « Tous ces problèmes sont la conséquence de la récession de 2008 et de la période d’austérité », explique Alexandre Slaby.

Depuis le début de la crise financière de 2008 et au fil des années d’austérité qui ont suivi, le Sinn Féin n’a cessé de se renforcer. La formation a compris cette détresse, en attestent ses promesses de campagne : gel des loyers et la création de cent mille logements sociaux d’ici à 2025. Un pari gagnant, les électeurs irlandais s’étant focalisés sur les questions de politique intérieure, soucieux de la décorrélation entre les chiffres de croissance et la réalité de leur quotidien. A cela in faut ajouter la crainte de la nouvelle concurrence fiscale Royaume-Uni dérégulé après le Brexit, susceptible de faire perdre un atout majeur au pays. Autre source d’inquiétude, l’exception fiscale irlandaise fait également face aux demandes pressantes d’harmonisation demandée par la Commission européenne.

L’ombre du Brexit

Si la question n’était pas centrale lors de ce vote, difficile de ne pas voir derrière ce vote l’ombre du Brexit, une dizaine de jours à peine après la sortie de l’Irlande du Nord de l’Union européenne. Pour commencer, Leo Varadkar avait demandé au Président Higgins de dissoudre le Parlement en anticipation du Brexit. De plus, l’Irlande du Nord avait majoritairement voté pour le Remain (55,8%) et la solution trouvée pour sons statut après le divorce ne satisfait personne. Une situation qui a renforcé le Sinn Féin qui promet un référendum sur la réunification de l’Irlande d’ici 2025. En effet, les accords du Vendredi Saint prévoient que le Royaume-Uni organise un vote s’il constate une majorité favorable.

 « Tout le monde s’accorde à dire, même le Sinn Féin, que c’est un horizon encore assez lointain » tempère Alexandra Slaby. Elle note justement que les obstacles sont nombreux : « La réunification pose des questions administratives très complexes : comment la République d’Irlande va absorber les institutions nord-irlandaises ?  Ou son économie, qui n’est pas parfaitement structurée ? Et puis, il y a le sentiment qu’il faut d’abord acquérir la réconciliation sur le terrain ». Il n’empêche, à l’issue des élections britanniques du 12 décembre 2019, une alliance nationaliste incluant le Sinn Féin est également pour la première fois arrivée en tête en Irlande du Nord.

La menace est en tout cas prise au sérieux par les autorités britanniques. Il n’est en effet pas anodin que le Palais de Kensington ait annoncé, à l’annonce des résultats du vote Irlandais, que le prince William et son épouse Kate se rendront dans le pays début mars. Il s’agit de la première visite d’un membre de la famille royale dans un pays européen depuis que le Royaume-Uni est sorti de l’UE.

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