Site icon La Revue Internationale

Qui pour battre Bernie Sanders ?

Samedi 22 février, Bernie Sanders s’est largement imposé lors des primaires démocrates dans l’État américain du Nevada. Avec 47% des suffrages, le sénateur du Vermont arrive en tête de deux des trois primaires du parti démocrate – trois si on compte le vote populaire et non le système de délégués propre aux Etats-Unis. Ce faisant, il est le premier candidat de l’histoire des Etats-Unis, tous partis confondus, à enchaîner ainsi les victoires. Si bien que beaucoup s’accordent à dire qu’il a mis en place un effet boule de neige inarrêtable, qui se consacrera lors du « Super Tuesday », le 3 mars prochain. Les sondages, si spéculatifs soient-ils, semblent aujourd’hui s’accorder aujourd’hui pour le placer en tête dans les deux super-états que sont la Californie et le Texas.

S’il est prématuré de le donner vainqueur, Sanders a tout de même réussi à fortement rehausser sa popularité au sein des groupes démographiques qui lui avaient coûté l’investiture démocrate contre Hillary Clinton, en 2016. A la fois les sondages de sortie d’urnes et les enquêtes d’opinion montrant ainsi qu’il est le premier candidat plébiscité par les réformistes, le syndiqués et les jeunes – son électorat traditionnel – mais aussi chez les latinos, modérés et qu’il progresse largement chez les afro-américains. Avec un taux d’approbation de 65% chez les électeurs démocrates (devant Warren 60%, Biden 58%) il semble avoir convaincu la base du parti qu’il n’était cet utopiste incapable de gagner, comme l’establishment Démocrate aime à le présenter.

Les principaux candidats se démarquent

Dans un climat social de défiance vis-à-vis des élites, Sanders à deux atouts : c’est un outsider – comme Trump – qui a été cohérent avec ses idéaux pendant toute sa (longue) carrière politique – contrairement à Trump. Il s’adresse directement aux électeurs – en particulier les classes moyenne et populaire – autre particularité qui a permis à Trump de s’imposer dans un parti Républicain réticent.  L’idée n’est bien sûr pas de faire de prédiction sur qui affrontera Trump à la présidentielle de novembre. Mais force est de constater que tant que les « modérés » se déchirent au centre, Bernie gagne. Pour inverser la tendance, il faudrait une rapide consolidation autour d’un autre candidat, mais personne ne semble vouloir jeter l’éponge – et Sanders continue de prendre de l’avance.

Des rivaux de Sanders encore en lice, le choix le plus évident – c’est lui qui le dit – est l’ancien vice-président de Barak Obama, Joe Biden. Mais son storytelling du font-runner peine aujourd’hui à convaincre. Déjà, il enchaîne les gaffes – caractéristique qui le suit depuis le début de sa vie politique, et qui l’a effectivement fait perdre toutes les élections internes au parti auxquelles il a pris part. De plus, s’il comptait sur un retour en force lors des prochaines primaires, organisées en Caroline du Sud, les sondages le placent désormais aux coures à coudes avec Sanders. Celui qui aime à se présenter comme le bras droit d’Obama compte en effet sur le vote de la communauté noire-américaine, mais il n’a eu que 40% de son vote au Nevada. Un mauvais présage.

Aujourd’hui, la campagne de Biden, malmenée par des espoirs avortés et un manque de fonds, doit obtenir une victoire assortie d’une avance solide faute de quoi il risque for de rater le coche, et devenir victime de vote « utile » sur lequel il comptait tant. L’enjeu est similaire pour Pete Buttigieg. Si son storytelling du jeune qui monte et dit ce qu’il faut tient encore la route, le Maire de South Bend commence à voir ses fonds se réduire à mesure qu’il peine à reproduire le casse de L’Iowa, où, bien qu’arrivé second en termes de suffrages, il a obtenu la majorité de délégués. Celui qui tente de s’imposer comme le candidat de l’unité, doit aussi prendre garde à ne pas attaquer systématiquement ses rivaux (Sanders en tête, comme lors du débat d’hier soir).

Il doit, lui aussi, rapidement remporter une victoire capable de solidifier son statut de candidat sérieux, mais il sera pénalisé lors du vote en Caroline du Sud. S’il a réussi à voler des électeurs à Biden au sein de l’électorat blanc, ce centriste, technocrate et gay reste peu populaire parmi les minorités – 60% de l’électorat de l’état. Une faiblesse qui risque de lui coûter cher à mesure que les votes s’organiseront dans des états plus divers que les trois premiers. Aussi, s’il sait très bien aller chercher les électeurs de petites circonscriptions rurales, qui comptent un nombre disproportionné de délégués, lui permettant de s’imposer sans obtenir la majorité de suffrages, il risque d’également y régresser s’il ne parvient pas à donner l’impression qu’il est en train de gagner.

Malgré un départ décevant, Elizabeth Warren elle aussi reste en lice – et ce notamment grâce à une performance très remarquée lors du débat des primaires de la semaine dernière. La sénatrice bénéficie d’un solide financement, mais est toutefois encore dans l’ombre de Sanders, avec qui elle partage un couloir politique. Ce dernier a, pour l’heure, siphonné la grande majorité des électeurs progressistes. Elle devra donc fragiliser son emprise de la gauche du parti – c’est la seule à pouvoir le faire. Mais il lui faudra pour y arriver réussir à s’imposer comme la candidate ayant les meilleures solutions, sans trop l’attaquer de front, ce qui l’affaiblirait du fait de leurs nombreuses positions communes. Si certains la voient déjà comme hors-jeu, il est prématuré de la donner pour morte.

Un système corruptible

Pour l’heure, tout semble donc sourire à Sanders. Mais les obstacles sont nombreux – et ce d’autant que sa campagne illustre bien les divergences de fond entre l’establishment et la base du parti. Aussi, s’il est en mesure de remporter le vote populaire, les délégués pourraient choisir de se retourner contre lui et donner la victoire au candidat centriste qui sera encore en lice, s’il est en tête mais n’a pas réussi à atteindre une majorité seul. Aussi, il ne lui suffira pas d’être le favori, mais il devra avoir une avance incontestable lors de la convention du parti pour forcer ses cadres – pas si progressistes qu’ils aiment à le dire – à s’aligner sur le positionnement des électeurs. L’appareil du parti considère en effet encore largement la ligne politique de Sanders comme contraire à leurs intérêts.

Autre menace pour Sanders : Michael Bloomberg, Républicain historique devenu Démocrate il y a moins de deux ans, qui a rejoint la course sur le tard. 9ème fortune mondiale, il a dépensé plus de 509 millions de dollars en publicités politiques. Aussi, ces primaires seront un excellent crash test pour la démocratie du parti – un milliardaire peut-il acheter le scrutin grâce à une communication sans précédent ? S’il voulait profiter des divisions entre candidats, il a pour l’heure fait face à un front relativement uni. Il espère désormais récupérer le vote des centristes à mesure que ses rivaux jettent l’éponge, faute de financement. Pas certain que la stratégie soit payante, les études montrant que le leur second choix n’est souvent pas un autre centriste mais bien Sanders.

En outre, ses piètres performances en débat font penser qu’il sera incapable de résister à la machine Trump. Aussi, après son humiliante entrée dans l’arène il doit détruire un autre candidat pour sauver la face et montrer qu’il a la combattivité requise – chose sont il n’a pas été capable lors du second débat, hier. Ce qui permet de rappeler le vrai enjeu de ces primaires pour le parti Démocrate : qui sera le meilleur candidat pour battre le Président sortant ? Un enjeu que Sanders a en tête en tendant la main aux abstentionnistes, contrairement à ses rivaux qui comptent sur d’éventuels transfuges républicains – ces derniers affichent encore un soutien indéfectible à leur candidat malgré les affaires qui s’enchainement.

Ce pari qui pourrait s’avérer gagnant : en 2016 : peu d’électeurs se sont rendus aux urnes pour la présidentielle, qui qui a permis à la star de téléréalité de s’imposer contre toute attente. Les Midterms de 2018, ont encore plus été boudées et la « vague démocrate » censée priver Trump de sa majorité s’est avérée être un demi-échec. Aussi, pour être certains de l’emporter, les Démocrates doivent tout faire pour inverser la tendance en 2020. Le favori l’a bien compris, mais pour y parvenir, encore faut-il qu’il soit investi.

Quitter la version mobile