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Quand la Chine réécrit l’histoire du coronavirus

L’épidémie de coronavirus est loin d’être terminée, mais elle semble perdre du terrain en Chine. Un signal suffisant pour que le régime se lance dans une vaste opération pour réécrire l’historie de cette maladie.  

Plus de 90 pays sont actuellement touchés aujourd’hui par l’épidémie de coronavirus (Covid-19). Le gouvernement italien a étendu la « zone rouge » à l’ensemble du pays et l’intégralité de l’Union européenne est désormais touchée. Le bilan mondial a dépassé la barre des 4 000 morts. En Chine, en revanche, s’il est trop tôt pour affirmer que l’épidémie est sous contrôle, le nombre de cas semble avoir atteint son pic. Tous les médias officiels expliquent que la vague est passée – ils ne diffusent que des informations positives sur la progression du virus depuis le début de la crise. La visite surprise qu’a effectué ce matin le Président chinois, Xi Jinping, à Wuhan, une première, était ainsi censée indiquer que les autorités ont repris le dessus sur la maladie.

De fait, tout n’est pas faux dans la communication de crise de Pékin. L’économie chinoise montre les premiers signes d’une relance après un arrêt de six semaines – bien que celle-ci risque d’être contrarié par la guerre des prix du pétrole qui oppose Riyad à Moscou, et qui a créé une onde de choc immense sur les marchés financiers. Cette timide reprise est due à une baisse des contaminations, mais aussi à une accélération la numérisation en Chine.  Nombre de services ont ainsi pu transférer une partie de leurs activités en ligne, maintenant une d’activité dans un pays paralysé. « On voit émerger une économie de la quarantaine : les gens tentent de recréer leurs activités habituelles grâce aux outils numériques », souligne Michael Norris, spécialiste de la technologie en Chine pour Agency China.

« Ce n’est pas spécifique à la Chine, mais les Chinois y étaient mieux préparés : le paiement mobile était déjà très répandu, il y avait beaucoup de sites de live streaming », note l’expert basé à Shanghai. Ces avancées sont notamment visibles dans la migration de l’éducation vers internet. « Les classes sont suspendues, mais pas l’apprentissage », expliquait le ministère de l’éducation en février. Des paroles assorties de faits : 22 000 cours ont été en ligne sur 22 plates-formes depuis, couvrant un programme allant de la primaire à l’université. Un effort qui ne suffit aujourd’hui pas à couvrir l’augmentation des besoins – de l’ordre de 300 % – mais qui témoigne d’une grande réactivité et d’un volontarisme honorable en période de crise.

Une réécriture de l’histoire

En parallèle de ces efforts de relance économique, Pékin s’est efforcé de réécrire la narration, qui place la Chine à l’origine de la crise. « La reprise est là, et place le pouvoir chinois devant un double défi : comment retrouver le chemin de la croissance après ce terrible trou d’air ; et, non moins important, comment sortir politiquement plus fort de ce qui a été aussi une épreuve politique », note ainsi l’analyste Pierre Haski. Il s’agissait dans un premier temps de se focaliser sur les succès du Parti communiste chinois (PCC) dans la gestion de la crise. L’idée était de vanter la supériorité du modèle autoritaire chinois, qui a permis une réponse rapide et radicale à l’épidémie.

Aussi, le fait de lancer cette campagne alors que l’Europe est encore dans la tourmente n’est pas anodin : il s’agit de montrer que la mollesse des systèmes démocratiques ne permet pas une gestion aussi efficace de la crise. Mais la communication du régime va désormais plus loin. Il s’agit désormais de faire oublier le silence coupable des autorités, qui ont menti sur la date exacte du début de l’épidémie, ce qui a permis au virus de se propager dans toute la Chine et dans le monde entier. Il s’agit également de faire oublier les lanceurs d’alerte, comme le Dr Li Wenliang, mort du virus il y a plusieurs semaines, qui ont critiqué le régime.

Mais la diplomatie chinoise remet aujourd’hui même en question l’origine du coronavirus : toutes les ambassades chinoises ont ainsi partagé le même message sur Twitter : « Si le coronavirus s’est bien déployé depuis Wuhan, son origine réelle reste inconnue. Nous sommes en train de chercher d’où il vient exactement. » Le Secrétaire du PC à Wuhan a même affirmé qu’il fallait « éduquer » les habitants de la ville pour qu’ils remercient le Président Xi Jinping – provoquant un tollé. Dans le même temps, les autorités ont déjà largement fait circuler des thèses complotistes sur une origine américaine de ce virus. L’ambassade de Chine à Tokyo parle déjà de « coronavirus japonais » à ses ressortissants installés dans le pays, comme pour s’en affranchir.

Pourquoi tant de nouvelles maladies apparaissent en Chine ?

La nouvelle communication de Pékin semble donc préparer le terrain pour un déni de responsabilité. Pourtant, la transparence sur les origines du coronavirus permettrait de prémunir ce type d’épidémie, plutôt que d’avoir à en subir les conséquences.  On sait que la plupart des grandes épidémies de l’ère moderne sont liées à la transmission d’une maladie affectant en principe animal à l’homme – la grippe aviaire venant de la volaille, la grippe porcine du cochon, la SIDA/VIH qui vient des chimpanzés et Ebola des chauves-souris. En ce qui concerne le covid-19, tout semble indiquer que le virus a été transmis de la chauve-souris au pangolin avant d’infecter un premier humain.

Cela a été possible à cause des conditions dans lesquelles nombre d’espèces très différentes sont conservées et transportés dans les marchés en plein air chinois : dans de petites cages empilées. A l’instar du SRAS, qui est apparu dans un marché du Sud de la Chine en 2002, le covid-19 est apparu dans un marché d’animaux exotiques. Ces derniers existent en Chine depuis une loi de 1978, qui visait à mettre un terme aux tragiques famines qui ont affecté le pays durant les années 70, en abandonnant l’agriculture collectiviste. Ce texte a permis l’apparition rapide de grands groupes, agricoles qui ont atteint un quasi-monopole dans la production des produits alimentaires les plus populaires.

Aussi, pour survivre, les plus petites exploitations ont dû se tourner vers la vente d’animaux sauvages. Si la loi de 78 instaurait une zone grise, bénéficiant aux petites exploitations agricoles à la marge du système alimentaire, la Loi de la République populaire de Chine sur la protection de la vie sauvage de 1989 a fait de ces animaux sauvages des « ressources naturelles » susceptibles d’être élevées pour la vente. Ce faisant, le gouvernement chinoise a encouragé la pratique, et l’élevage d’espèce exotiques est rapidement devenu une industrie à part entière (149 milliards de Yuans en 2018) lui assurant un accès massif aux marchés découverts.

Avec l’arrivée de dizaines de nouvelles espèces, peu en contact avec l’Homme et les animaux d’élevage traditionnels, les risques de contagion d’une espèce à l’autre ont augmenté de manière exponentielle. Le secteur est par ailleurs depuis devenu un lobby puissant, dont la clientèle est très aisée, qui s’est opposé jusqu’à aujourd’hui à toute réforme de la loi de 1989. Sous cette pression, les autorités chinoises ont décidé de favoriser l’intérêt de la classe aisée plutôt que sécurité de la population. Cependant, aussi longtemps que la vente d’animaux exotiques dans des marchés ouverts ne sera pas mieux régulée, de telles épidémies ne pourront malheureusement que se répéter.

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