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Brexit : une affaire qui se mondialise

Alors que les négociations du divorce entre Londres et Bruxelles arrivent à mi-échéance, aucun progrès n’a été fait sur les questions de fond. Boris Johnson veut relancer les négociations, mais refuse leur prolongation.

Entre les tensions entre la Chine et les Etats-Unis qui prennent des airs de guerre froide, la pandémie de Covid-19, une récession majeure qui se profile et la vague de protestation mondiale contre les violences policières, on avait un peu oublié le Brexit. Mais avant même ce déferlement d’actualités majeures, le Brexit semblait, au moins en Europe continentale, avoir été relayé au second plan des affaire européennes – entre la cause perdue et l’espoir d’un nouveau report pour régler le divorce la tête froide, selon les pays. En outre, la légèreté de ton outre-manche laissait croire que l’affaire avait également plus ou moins été classé. Et pourtant, l’affaire qui envenime les rapports entre Bruxelles et Londres a été ramenée sur le devant de la scène par une double déclaration contradictoire du Premier ministre britannique.

Vendredi 12 juin, Boris Johnson a fermé la porte à une extension de la période de transition au-delà du 31 décembre, avant d’annoncer trois jours plus tard qu’il estimait que les positions du Royaume-Uni et de l’Union européenne n’étaient « pas si éloignées que cela » et d’appeler à la conclusion d’un accord d’ici la fin de l’année. Dans le même temps, Downing Street a annoncé que les importateurs britanniques de marchandises européennes auraient jusqu’à la mi-2021 pour se mettre en conformité avec le nouveau régime douanier, relâchant une partie de la pression. Un « nouvel élan » qui ne surprendra pas ceux qui ont suivi le dossier, tant la stratégie de Londres a été de souffler le chaud et le froid – avec un succès tout relatif devant l’intransigeance bureaucratique froide bruxelloise.

Sortir à tout prix ?

Avec cette annonce, Johnson ignore royalement la lettre commune de la première ministre écossaise, Nicola Sturgeon, et du premier ministre gallois, Mark Drakeford, qui l’appelaient à reporter la sortie de l’UE. Les deux dirigeants y assuraient que « personne n’irait reprocher au gouvernement de changer sa position à cause de la crise due au coronavirus, surtout après que l’UE a clairement fait savoir qu’elle est prête à accepter cette extension ». Mais Johnson n’a jamais caché son envie de s’affranchir au plus vite des règles communautaires encore contraignantes pendant la période de transition. D’aucuns appelaient pourtant à une prolongation afin de bénéficier plus longtemps d’un statut privilégie pour ses échanges commerciaux avec l’UE pendant son confinement.

Pour rappel, eu Europe, le Royaume-Uni est le plus durement touché par la pandémie de coronavirus (il compte près de 42 000 morts officiels et fait face à un risque de chute de 11,5 % du PIB en 2020). Mais plutôt que de vouloir profiter du confortable statu quo pour se relever, le gouvernement britannique semble vouloir avoir les coudées franches pour sa relance – ce qui n’est pas de nature à rassurer Bruxelles, qui se méfie des manœuvres britanniques pour concurrencer déloyalement l’Europe de sorte à compenser les importantes pertes colossales provoquées par le Brexit. Aussi, devant ce parti pris, une question se pose : l’absence de progrès significatifs est-elle une contingence des phénomènes majeurs qui ont fait vaciller le monde ou une stratégie ?

Le retour de Johnson, jamais avare en optimisme et en slogans, peut ainsi être sincère, mais il est également possible qu’il soit d’un nouveau message à l’opinion publique britannique visant à faire porter l’échec des négociations sur Bruxelles. Beaucoup estiment que le dirigeant britannique n’a en réalité pas encore tranché, et qu’il veut conserver toutes les options sur la table. « Deux écoles s’affrontent autour de Boris Johnson : ceux qui sont sur une posture de négociations dure mais veulent un accord, et ceux, dans l’entourage de son conseiller spécial, Dominic Cummings, qui n’en veulent pas. Boris Johnson n’a pas encore tranché et je pense qu’il ne le fera pas avant septembre », affirme ainsi une source proche du dossier.

Le Royaume-Uni a besoin d’un allié fiable

« Tout dépend principalement d’une chose : l’acceptabilité politique des dégâts économiques occasionnés », analyse justement Olivier de France, directeur de recherche à l’IRIS. De fait, Londres espérait tirer parti des tensions entre Union Européenne et Etats-Unis – le mot « découplage » s’est imposé dans leurs rapports diplomatiques ce derniers mois – pour compenser ses pertes côté européen. Mais Trump s’est avéré être un allié beaucoup plus exigeant que prévu – il n’était d’ailleurs pas prévu au moment du Brexit. Son intransigeance a atteint un nouveau sommet, lorsque la Maison Blanche a exigé que Londres « choisisse son camp » entre la Chine et les Etats-Unis, avant de menacer de l’exclure du réseau de renseignement des « Five Eyes », s’elle acceptait Huawei dans son réseau 5G.

L’ambassadeur chinois à Londres, Liu Xiaoming, a immédiatement menacé le gouvernement britannique de représailles en cas d’exclusion de son poulain (le retrait d’un projet de centrales nucléaires en partenariat avec EDF, et d’un projet de ligne de TGV au Royaume-Uni). La Chine n’entend pas laisser Washington « vassaliser » Londres, car contrairement à la guerre froide, qui était un conflit militaire indirect, la rivalité entre Pékin et Washington se joue sur le seul terrain économique. La Chine n’a en effet pas l’ambition d’instaurer le communisme à l’échelle mondiale et l’économie chinoise est aujourd’hui complètement intégrée à l’économie mondiale. Et l’ouverture du marché britannique avec le Brexit représente une trop belle opportunité pour passer son tour.

Londres a donc besoin d’un allié fiable. Dans ce contexte, l’UE fait à nouveau figure de favorite. Et ce d’autant qu’un Brexit dur, couplé à la récession liée au coronavirus risque d’impacter durement une économie britannique déjà fragilisée. D’où, sans doute, une reprise des discussions, cette fois en la présence directe des dirigeants des deux camps (Boris Johnson et les trois grandes figures européennes, Ursula von der Leyen, Charles Michel et le Président du Parlement, David Sassoli). Mais rien ne garantit que les européens, déjà aux prise avec la réforme de l’UE, soient très disposés à entendre les demandes anglaises. Et ce d’autant que le « take back control » britannique est en contradiction totale avec l’élan pour plus d’intégration défendu par la nouvelle équipe européenne.

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