Les relations diplomatiques entre le Japon et la Corée du Sud semblent plus dégradées que jamais, les deux pays rivalisant en provocations. Des tensions récurrentes qui font tanguer leurs économies et plongent leurs racines dans leur douloureuse histoire commune, instrumentalisée par des dirigeants qui peinent à relancer une croissance durable depuis la crise des années 1990.
Friture sur la ligne Tokyo-Séoul. Lundi 15 juin, les autorités sud-coréennes ont officiellement convoqué l’ambassadeur du Japon dans le pays. Une initiative diplomatique rare, témoignant de la dégradation latente des relations entre les deux pays asiatiques. En cause cette fois-ci, la colère de Séoul qui reproche aux autorités japonaises d’avoir autorisé la réouverture touristique de l’île d’Hashima, ancien site industriel et minier du sud de la péninsule aujourd’hui à l’abandon, sans faire mention des centaines de prisonniers coréens enrôlés de force et maltraités sur ce site historique.
Des tensions qui remontent au début du XXe siècle
Ce regain de tensions n’est, en fait, qu’un énième épisode dans une série de provocations mutuelles. En août dernier, le Japon avait ainsi décidé de rayer la Corée du Sud de sa liste des pays bénéficiant d’une forme de traitement de faveur économique. Réplique immédiate de Séoul, qui a aussitôt enlevé Tokyo de sa « liste blanche » commerciale. Un mois plus tôt, Tokyo avait soufflé sur les braises, en restreignant fortement l’exportation de matériaux de technologies de pointe vers la Corée du Sud. En représailles, Séoul avait menacé de suspendre un accord sécuritaire liant les deux pays, organisant notamment le partage d’informations entre leurs services de renseignement respectifs.
« Les relations entre les deux pays sont en dent de scie depuis que la Corée du Sud est devenue une démocratie dans les années 1980 », rappelle la chercheuse Karoline Postel-Vinay, du CERI-Sciences Po. Leur dégradation qui puise ses racines dans le passé colonial du Japon, dont les armées ont occupé la Corée de 1905 à 1945, période durant laquelle des milliers de Coréens ont été mis, de force, au service d’entreprises japonaises — exactions pour lesquelles Séoul demande toujours réparation. Non sans arrières pensés, cependant : « cette histoire est très instrumentalisée », relève Mme Postel-Vinay, le pouvoir sud-coréen agitant régulièrement le chiffon rouge des douloureuses années de la Seconde Guerre mondiale pour alimenter des rancœurs nationalistes à l’approche des scrutins électoraux.
Quand la défense des victimes est instrumentalisée
Un rapport à l’Histoire et à ces douloureuses années d’occupation japonaise qui a varié dans le temps : alors que le sujet était largement tabou jusqu’au début des années 1990, la crise économique et l’arrêt brutal de la folle croissance coréenne ont projeté l’Histoire au cœur des débats de société.
Une prise de conscience salutaire, mais qui a largement été récupérée, instrumentalisée et alimentée par toute une classe politique sud-coréenne secouée par le ralentissement du développement économique, pour qui la réclamation de réparations de guerre est progressivement devenue le seul argument électoral. Figure archétypale de cette dérive, Yoon Mee — hyang, député du parti de gauche au pouvoir et présidente de l’association « Conseil coréen pour la justice et la mémoire » qui réclame la reconnaissance par le Japon des « femmes de réconforts », esclaves sexuelles coréennes mises au service de l’armée impériale japonaise lors de la Seconde Guerre mondiale.
Une reconnaissance officielle du Japon qui a déjà eu lieu en 2015, avec d’importants dédommagements financiers de plusieurs millions d’euros, ce qui n’a pas empêché l’association de continuer d’organiser meetings et manifestations, notamment devant l’ambassade nippone à Tokyo. Il faut dire que bon de nombreuses personnalités publiques coréennes, le sujet est un tremplin politique… et une manne financière : en mai dernier, les locaux de l’association ont été perquisitionnés par le parquet de Séoul et sa dirigeante, Yoon Mee — hyang, est actuellement accusée de fraude, de détournement de fonds et d’abus de confiance. En parallèle, les militantes « historiques » du mouvement, les dernières victimes encore en vie, accusent Yoon Mee – hyang d’avoir utilisé la cause des femmes de réconfort comme tremplin pour sa carrière politique.
Une rupture profonde du mouvement, qui illustre à quel point l’instrumentalisation de l’Histoire gangrène le rapport de la société coréenne à son propre passé : alors que depuis 1992, des manifestations d’étudiants sont organisées continuellement devant l’ambassade nippone à Séoul pour réclamer justice, les véritables victimes se désolidarisent d’actions et d’un mouvement qu’elles jugent désormais récupérés à des fins moins respectables : interrogées en mai dernier par le journal Le Monde, Lee Yong-soo, 91 ans et elle-même ancienne victime, dénonce un mouvement qui est devenu « un mensonge », « qui ne fait enseigner la haine aux jeunes ».
À l’heure où la question mémorielle fait à nouveau l’actualité en Europe et aux États-Unis, la Corée du Sud demeure un contre-exemple intéressant à observer pour l’Occident, où la poursuite d’une forme de « justice » historique avec son voisin japonais vire à l’instrumentalisation politique, voire à l’enrichissement personnel. Une dérive qui finit immanquablement par dénaturer la cause défendue, aussi noble soit-elle.