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Hongkong : la réponse courageuse de Londres à Pékin

Le bilan du Premier ministre britannique Boris Johnson était jusqu’alors, peu reluisant. Ayant accédé au pouvoir sur fond de crise identitaire majeure, il a accumulé les faux-pas, entre les accusations d’incompétence de plus en plus nombreuses, l’affaire Cummings, divisant au cœur même du parti conservateur, les méandres sans fin du Brexit ou sa réponse inadaptée au covid-19, ayant largement ignoré les appels à la prudence de ses partenaires européens (le seuil des 40 000 morts a été dépassé cette semaine – 62 000 selon l’Office national des statistiques). Mais le gouvernement britannique a créé la surprise en annonçant son intention de proposer des « passeport d’outre-mer » (British national Oversees) à des millions de citoyens de Hong Kong – initiative aussi courageuse que louable.

Boris Johnson souhaite ainsi modifier les règles afin de permettre à tout détenteur du passeport BNO de rester en Grande-Bretagne pour un an, renouvelable plusieurs fois, et surtout, de pouvoir y travailler et, à terme, d’obtenir la pleine citoyenneté britannique. Un tel document serai accessible à toute personne née avant 1997, lorsque Hong Kong a été rétrocédée à la Chine par le Royaume-Uni. Dans le collimateur de Londres, une nouvelle loi sur le sécurité nationale, adoptée fin mai par Pékin, qui interdit toute interférence de forces étrangères à Hong Kong, autorise les organes chinois de justice et de police à s’établir à Hong Kong.

Ces mesures constituent une violation directe de l’autonomie promise au Royaume-Uni pour les 50 ans suivant la rétrocession de sa colonie. Une semaine plus tard, Londres a riposté avec force : « Si la Chine va de l’avant et justifie ces craintes, la Grande-Bretagne ne pourra pas en conscience hausser les épaules et passer à autre chose ; au contraire, nous honorerons nos obligations et nous fournirons une alternative » explique Johnson dans une tribune à la fois publiée dans le Times (pour le lectorat britannique) et au South China Morning Post (pour le lectorat hongkongais). S’il ne s’agit aujourd’hui que d’une annonce, elle permettrait si le gouvernement donne suite, d’ouvrir la voie à la citoyenneté britannique à environ 3 millions de personnes supplémentaires.

L’inévitable durcissement à Hong Kong

« Ces nouvelles règles permettraient à un tiers des Hongkongais de passer en Grande-Bretagne ! Cela viderait littéralement le territoire de ses forces vives et le ruinerait. Or Hong Kong est encore indispensable à Pékin », soulignait justement le journaliste et historien Anthony Bellanger sur France Inter. Car si de fait, la place de ce petit territoire de 7,5 millions d’habitants dans l’économie chinoise s’est réduite à mesure que la Chine continentale poursuivait son impressionnante expansion, il s’agit encore de la porte d’entrée pour plus d’un tiers des investissements étrangers en Chine et d’une place financière majeure. Pékin, consciente de cette dépendance, n’a de cesse de resserrer le contrôle sur ce territoire en pleine insurrection contre l’autoritarisme du Parti communiste chinois (PCC).

La forte vague de contestation qui a embrasé Hong Kong l’an dernier a été très pénalisante pour Pékin, en pleine campagne de communication pour vanter les succès de son régime. A cela il faut ajouter accélération de la guerre froide sino-américaine, qui fragilise encore davantage son économie, alors même que le système économique mondial, dont elle dépend encore largement, est toujours congestionné, et que nombre de ses partenaires occidentaux parlent de renationaliser une partie de leur production. Sans oublier que Pékin porte la responsabilité du coronavirus (malgré des tentatives pesantes tentative de réécrire l’histoire). Dans ce contexte délicat, Xi Jinping aura   voulu montrer qu’il ne se laissait pas intimider par l’escalade verbale d’un Donald Trump en campagne.

L’annonce de cette loi est intervenue dès l’ouverture des réunions des deux Assemblées parlementaires chinoises. Elle s’offre donc le luxe d’être à la fois à la fois tonitruante nationalement et savamment planifiée internationalement. Après tout, Pékin bafoue ses engagements internationaux (le principe « un pays, deux systèmes »), et les pays occidentaux, défenseurs habituels de la démocratie, sont empêtrés dans la gestion du coronavirus et des divergences européennes. Il s’agit donc d’un risque très bien calculé. Il s’est par ailleurs accompagné de l’adoption le 4 juin, par le Parlement de Hongkong sous contrôle de Pékin, d’une loi hautement symbolique punissant l’outrage au drapeau national et à l’hymne national chinois, et de l’interdiction de la commémoration du massacre de Tian An Men à Hong Kong, pour de prétendues raisons sanitaires.

La violation assumée d’un traité international

C’était sans compter sur le courageuse réponse britannique. Depuis, le Torchon brûle entre Londres et Pékin. Le PCC a d’ailleurs appelé le Royaume-Uni à « cesser immédiatement toute ingérence » dans les affaires hongkongaises et a exigé hier que Londres « s’éloigne au plus vite du précipice ». Une rhétorique habituellement suffisante pour faire taire toute critique occidentale quant à la gestion de ses affaires intérieures. Il s’agit après tout de la deuxième puissance économique mondiale, d’un membre permanent du Conseil de sécurité te d’une puissance nucléaire. En outre, l’importance des échanges économiques avec le Chine suffit souvent à faire plier les contradicteurs.

Pékin est au fait de la situation. Elle a annoncé pour la première fois que le traité sino-britannique de 1984 sur Hong Kong, reconnu par l’ONU, n’était qu’une « annonce unilatérale de la Chine, et non une promesse faite à Londres, encore moins un prétendu engagement international ». Ce faisant, elle assume ouvertement sa violation d’un traité international – une première inquiétante. Aussi, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, le Canada et l’Australie ont dénoncé une « contradiction directe avec ses obligations internationales » dans un communiqué commun. Mais seule Londres, pour l’instant, a pris de véritables mesures pour pénaliser Pékin.

« Pour un gouvernement qui a défendu le Brexit pour mettre fin à l’immigration, c’est un geste remarquable », note le journaliste du Guardian Patrick Wintour. D’après lui, cette décision s’explique par un « fort sentiment de culpabilité » de Londres, qui a l’impression d’avoir abandonné Hong Kong à son sort. Un cas à part, qui fait penser que le pays risque de se trouver bien seul en Europe, où la réaction a été bien timorée. « On a vu des communiqués critiquant la loi chinoise, mais pas d’action (…) Il y aura des protestations internationales, mais rien de sérieux dans un climat passablement tendu », déplorait l’analyste Pierre Haski au lendemain de l’annonce de la loi sur la sécurité nationale par Pékin. Et les faits sont en train de lui donner raison.

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