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Le pétrole, lui aussi malade du Covid

La liste des victime collatérales de l’épidémie de coronavirus se rallonge. L’industrie du pétrole essuie elle aussi les plâtres du ralentissement économique causé par la pandémie. De fait, durant le confinement la consommation de pétrole a connu une très forte baisse (environs 20%) en particulier dans le secteur du transport. Or, le transport représente 60% de consommation mondiale d’or noir. Ce secteur est aujourd’hui dépendant à 97% du pétrole – une situation décrite comme une « addiction » par Emmanuel Hache, directeur de recherche à l’IRIS. Plus largement, malgré une reprise du fait de la relance économique opérée par les pays qui se déconfinent, on estime désormais que la consommation mondiale annuelle connaitra une baisse de 10% par rapport aux chiffres de 2019.

« Ce sont des perspectives de rentabilité à court terme beaucoup moins intéressantes que d’habitude pour l’industrie pétrolière, qui réagit à travers le monde depuis le début de l’année par des réductions des investissements, des réductions de ses coûts d’exploitation, des réductions de ses forages, par une baisse de sa production et par des réductions de personnel, puisqu’il s’agit de réduire les coûts d’exploitation » note Francis Perrin, directeur de recherche à l’IRIS spécialiste des problématiques énergétiques. Une baisse qui intervient dans un contexte déjà difficile, causé notamment pas un bras de fer entre la Russie et l’Arabie saoudite. Le 6 mars dernier, qui l’OPEP demandait ainsi aux autres producteurs de réduire leur débit, a dû faire face à un refus catégorique de Moscou.

L’idée était de conserver un baril peu cher afin d’étouffer l’industrie de pétrole de schiste américaine. Cette dernière nécessite en effet un coût de vente élevé pour être rentable, contrairement aux producteurs russes. Sous l’effet de ces désaccords entre pays producteurs, suivis qu’un ralentissement mondial sans précédent, la séquence prix du baril a été très volatile : l’année a commencé avec un baril à 60 dollars – un prix déjà assez bas – avant de tomber à 18 dollars durant a crise, pour remonter à timidement 40 dollars actuellement. Cette reprise est d’autant plus modérée que beaucoup d’incertitudes économiques persistent – l’OCDE table ainsi sur baisse de 6% du PIB mondial, un bilan qui s’alourdirait en cas de seconde vague du virus.

L’émergence de groupes multi-énergie

Entre gambits géopolitiques et pandémie, les producteurs pétroliers accusent le coup. Lundi 8 juin 2020, le pétrolier britannique BP a annoncé qu’il supprimerait 10 000 emplois – soit près de 15% de ses effectifs. Dans le même temps, le géant pétrolier saoudien Saudi Aramco a lui aussi procédé à des licenciements massifs. Déjà pénalisée par des cours fluctuants l’an dernier, les bénéfices de la compagnie se sont rétractés de 25% au premier trimestre de 2020. Plus largement, les compagnies pétrolières devraient réduire leurs investissements d’un tiers en 2020 pour préserver leurs liquidités face à l’effondrement des cours du brut d’après l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Une tendance qui souligne le pessimiste des extracteurs.

Le 4 juin dernier dans Le Monde, le PDG de Total, Patrick Pouyanné, estimait pour sa part que : « La question de la pérennité des compagnies pétrolières est posée », avant d’enfoncer les clou : « Le marché qui va croître, ce n’est pas celui du pétrole, mais celui de l’électricité ». Un avis qui se généralise. « Dans le monde de l’énergie on sait depuis longtemps que le monde va consommer de plus en plus d’électricité », confirme Francis Perrin. Ce dernier estime ainsi que ces évolutions vont mener à l’apparition de « groupes multi-énergie » (électricité, gaz, pétrole, renouvelables, nucléaire) plutôt que des entreprises essentiellement tournées vers l’or noir.

Ce phénomène marque un changement notable par rapport aux dernières évolutions du secteur, qui était jusqu’à présent, porté par la hausse mondiale de la demande énergétique. Aussi, si la part du pétrole dans les mix énergétiques mondiaux baissait, la production d’or noir continuait jusque-là d’augmenter. C’est cette dynamique qui pourrait s’être enrayée. « Le pic pétrolier se rapproche, nous disions auparavant qu’il arriverait autour de 2030. Nous pensons maintenant qu’il pourrait arriver en 2027 ou 2028 », juge ainsi Per Magnus Nysveen, analyste de l’agence Rystad . A-t-on réellement atteint le pic de la demande fin 2019 ? Il est prématuré de la dire, et la réponse se fera au cas par cas. Mais les nuages s’accumulent incontestablement pour une industrie jusqu’alors choyée.

Vers une sortie du pétrole ?

La transition s’annonce très difficile pour les économies pétro dépendantes comme l’Algérie, le Nigéria, le Venezuela ou encore l’Iran, avec un risque de tourmente économique durable et un renforcement de la défiance vis-à-vis de l’état. Pour ces pays, pour la plupart dépourvus de filet sécurité économique, la situation risque d’être catastrophique en termes de développement, mais leur production pourrait également sérieusement en pâtir. En parallèle, la métamorphose nécessaire des pays du Golfe, qui doivent investir leurs revenus hydrocarbures afin de créer de toute pièce un tissu économique viable, ne sera elle non plus pas évidente – et ce d’autant qu’il s’agit d’un défi symétriquement opposé aux enjeux auxquels font face les pays occidentaux.

Ces contraintes les pousseront sans doute à davantage se tourner vers la Chine, dont l’émergence et la démographie assurent une consommation croissante et fiable. Une situation qui pourrait créer un véritable risque de pénurie en Europe. « Le gâteau à se partager va être plus petit, or d’autres pays, comme la Chine, déploient une véritable géostratégie du pétrole pour sécuriser leurs approvisionnements », observe Matthieu Auzanneau, directeur du groupe de réflexion The Shift Project. « La production de l’ensemble des pays d’ex-URSS, qui fournissent plus de 40 % du pétrole de l’UE, semblent être entrées en 2019 dans un déclin systématique. La production pétrolière de l’Afrique (plus de 10 % des approvisionnements de l’UE) paraît promise au déclin au moins jusqu’en 2030 ».

La prise de conscience de ce risque va sans doute accélérer une transition énergétique jusque-là très timide en Europe. Mais elle pourrait bien en faire de même en Amérique du Nord. Les prix actuels, après un période de vaches maigres, sont en effet une mauvaise nouvelle pour les exploitants de pétrole non conventionnel (pétrole de schiste aux Etats-Unis, sables bitumineux au Canada et l’offshore profond). Les producteurs américains ne sont en effet rentables que lorsque les cours dépassent les 50-55 dollars. Aussi la situation devient difficilement tenable pour la secteur : au total, 18 sociétés américaines de schiste se sont déclarées en faillite depuis le début de l’année d’après le cabinet Haynes & Boone. Et le plus dur reste à venir.

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