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Vers une nouvelle ère diplomatique entre l’Europe et la Chine ?

La guerre froide entre Pékin et Washington laisse l’Union européenne dans une position inconfortable : comment dénoncer s’élever contre les dérives chinoises sans pour autant s’aligner sur la ligne diplomatique belliciste américaine ?

L’attitude erratique et décomplexée de l’actuelle administration américaine a privé les pays européens de leur principal– et quelque peu étouffant – allié historique. Il est devenu apparent que faire corps avec les Etats-Unis sur tous les dossiers internationaux était impossible à l’ère de l’« America first ». Aussi, les 27 tâtonnent pour trouver une politique internationale commune. Dernier exemple de cette diplomatie plus offensive, la France a décidé de limiter à un seul vol hebdomadaire la desserte de son territoire par des compagnies aériennes chinoises (Air China, China Eastern, China Southern). Cette décision a été prise en guise de représailles, Air France ayant faisant face à des restrictions similaires en Chine, visant à limiter l’arrivée de nouveaux malades de Covid-19 dans le pays.

La nouvelle a fait grincer des dents à Pékin, et ce d’autant qu’elle s’inscrit dans une tendance plus large des pays européens à demander des comptes à la chine là où longtemps ils se sont montrés timorés. De plus en plus, les européens expriment leur mécontentement. Au terme d’un sommet UE-Chine tenu à la fin du mois de juin par téléconférence, ils n’ont ainsi pas caché leur frustration sur plusieurs dossier chaud, en tête desquels on trouve les cyberattaques sur des hôpitaux et des centres de calcul du COVID-19 en Europe, la propagande et la désinformation, la relation économique, les droits de l’Homme, le statut de Hong Kong ou encore le climat. Bruxelles a décidé de mettre en œuvre des politiques plus vigilantes à l’égard de la Chine, qualifiée par la Commission de « rival systémique ».

Un dialogue sans illusions

L’idée n’est pas non plus de chercher l’affrontement direct comme le fait la Maison Blanche. « L’Europe ne sera pas le champ de bataille des Etats-Unis et de la Chine », affirmait récemment le commissaire européen à l’Industrie Thierry Breton. Pas question pour autant de s’effacer lorsque les intérêts ou l’intégrité européens sont menacés. « Il est essentiel d’avoir un dialogue avec la Chine pour défendre nos valeurs, mais nous avons des points de désaccord sur des sujets essentiels », résume le président du Conseil européen Charles Michel, pragmatique. Une position qui semble indiquer que les dirigeants européens ont compris que l’UE n’a pas d’amis mais des intérêts – une prise de conscience cruciale à l’heure ou Pékin utilise avant tout le multilatéralisme pour se tailler la part du lion.  

Les Européens ne doivent pas se comporter comme le dernier des herbivores dans un monde de carnivores rappelait justement l’eurodéputé allemand Sigmar Gabriel. Le désengagement américain a souligné la nécessité de la participation de bonne foi de la Chine à la lutte contre le changement climatique. L’asymétrie de plus en plus évidente dans les relations entre l’UE et la Chine a donné le « la », mais c’est la crise du coronavirus qui a accéléré les prises de conscience en nous révélant de manière incontestable notre profonde dépendance des pays européens à l’égard de la Chine. Nombre d’entreprises européennes ont depuis fait le choix de relocaliser leurs activités.

Le changement d’attitude de Bruxelles a d’ailleurs porté ses premier résultats : ayant abandonné ses poursuites devant l’OMC, Pékin a également entériné de facto que les Européens ne la considèrent pas comme une économie de marché. « Les conditions imposées à la Chine seront beaucoup plus exigeantes que dans le passé en termes de taxation mais aussi dans la vigilance apportée au fait que les entreprises chinoises ne se trouveront plus en position de force sur le marché européen en bénéficiant d’une manière déloyale du soutien de leur propre État », expliquait à ce propos Emmanuel Lincot, professeur à l’institut catholique de Paris, spécialiste de l’histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine.

Trouver sa voix

Il ne sera pas évident pour les 27 de trouver une voix commune, compte tenu de leurs cultures, histoires et priorités différentes. « Il ne suffit pas de proclamer que l’on va suivre sa propre voie ; encore faut-il la définir. Et comme toujours, à 27, c’est compliqué », note justement l’éditorialiste Sylvie Kauffmann. « Se détacher de la position américaine est vécu plus ou moins douloureusement à l’est et à l’ouest ». En outre, les intérêts commerciaux varient selon le modèle économique des Etats membres. Et la Chine sait bien jouer sur ces divisions internes, en particulier en temps de crise. Ses investissements massifs en Grèce, désormais en Italie, profitant de l’absence de solidarité budgétaire au sein de l’UE et des politiques d’austérité qui ont étranglé les états les plus fragiles, en attestent.

Les ministres des Affaires étrangères des 27 se retrouvaient hier pour étudier lundi une réponse commune au coup de force à Hong Kong, en totale violation des engagements internationaux de la Chine. Cette dernière rejette encore systématiquement ce qu’elle qualifie d’ « ingérences » dans sa politique interne. Si l’humeur a changé sur le vieux continent, compte tenu de sa puissance actuelle, peut-être est-il trop tard pour remettre en cause ces fondamentaux de la diplomatie chinoise. L’Union Européenne est cependant le premier partenaire commercial de la Chine, ce qui est un levier de pression conséquent. Mais il s’agit d’une arme à double tranchant, car les entreprises européennes ne pourront se développer sans présence en Chine.

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