Site icon La Revue Internationale

Liban : quelles voies pour sortir de la crise ?

La tragédie a frappé une nouvelle fois à Beyrouth la semaine dernière, avec l’explosion de plus de 2700 tonnes de nitrate d’ammonium entreposés depuis 2014 dans le port de la ville. L’accident a tout bonnement ravagé le centre-ville, avec au moins 158 morts, plus de 6 000 blessés, des dizaines de disparus et des centaines de milliers d’habitants désormais sans-abri. L’ONU a évalué à 85 millions de dollars (72,1 millions d’euros) les besoins du Liban pour le seul secteur de la santé au lendemain de l’explosion.

Bien qu’elle soit aujourd’hui considérée comme accidentelle, aucune explication convaincante n’a été donnée pour justifier le stockage de cette cargaison explosive sur un site non sécurisé pendant plus de six ans. Une triste illustration de la faillite de l’Etat libanais, délibérément affaibli depuis la fin de la guerre civile dans les années 80 et aujourd’hui l’otage d’intérêts particuliers. La rue juge en effet largement la classe politique libanaise comme responsable de la catastrophe. Entre octobre 2019 et mars 2020, les libanais avaient déjà manifesté pour exprimer leur rejet de la classe politique. Des milliers de Libanais sont une nouvelle fois descendus dans les rues de Beyrouth dimanche pour réclamer la fin du système clientéliste.

Cinq jours après l’explosion, la communauté internationale a débloqué une aide d’urgence de 250 millions d’euros pour le Liban. La trentaine de dirigeants internationaux – Union européenne et pays membres, États-Unis, Chine, Russie, Jordanie, Égypte, pays du Golfe – et institutions multilatérales – Banque mondiale et Fonds monétaire international (FMI) notamment – qui sont derrière l’initiative ont exigé que cette aide soit « directement » distribuée à la population et qu’une enquête « transparente » soit menée sur les causes de la catastrophe.

Le rôle de la France

Premier dirigeant à s’être rendu à Beyrouth après l’explosion, Emmanuel Macron, a pris la tête de la coordination internationale visant à aider le pays – une initiative qui rappelle la visite de François Mitterrand à Sarajevo, en 1992, alors que la ville est encore assiégée par les Serbes. Plus largement, ce voyage s’inscrit dans la lignée des liens historiques étroits qu’entretiennent les deux pays. Rappelons ainsi qu’en 2005, après l’assassinat du Premier ministre Rafik Hariri en plein Beyrouth, la France avait obtenu le départ des troupes syriennes du pays.

Pendant la guerre civile libanaise (1975-1990), Valéry Giscard d’Estaing avait même envisagé d’envoyer des forces françaises à Beyrouth. C’est également la France qui a organisé à Paris, en 2018, la grande conférence de bailleurs de fonds pour le Liban, débloquant 11 milliards de dollars pour une relance économique, moyennant une réforme en profondeur de l’état. La somme n’a à ce jour toujours pas été versée, faute de changement politique au Liban. Par ailleurs, Emmanuel Macron, alors fraichement élu Président de la République avait également obtenu la libération du 1er ministre libanais retenu en Arabie saoudite.

« La France n’a pas la prétention de dicter aux dirigeants libanais ce qu’ils doivent faire », comme le rappelait Ardavan Amir-Aslani, avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Confrontées à ses propres difficultés dans le sillage du Covid-19, sa marge de manœuvre est réduite. Elle est toutefois en mesure de faire pression pour que l’aide versée à Beyrouth soit assortie des conditions de transparence et de réforme comme elle l’a fait par le passé.

Un défi politique immense

Privé de son port – sa principale source de revenus – la capitale libanaise risque désormais de perdre une part croissante du commerce régional, qui sera redirigé vers Dubaï ou Istanbul. Une tragédie pour un pays avant tout commerçant, qui ne produit pratiquement rien. De plus, le sort a frappé alors que le Liban traverse sa pire crise économique et financière depuis la fin de la guerre civile, marquée par une dépréciation sans précédent de la livre libanaise. « Le Liban va encore connaître une saignée considérable de ses élites et de sa classe moyenne », a avertit Henry Laurens, titulaire de la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France.

Dans les manifestations de dimanche, les slogans de la « thawra » (révolution) ont redoublé. Devant la montée des colères, le Premier ministre, Hassan Diab, a annoncé qu’il proposerait lundi en conseil des ministres la tenue d’élections législatives anticipées. Mais cette annonce elle-même fait débat. « L’opposition manque encore de maturité, des élections anticipées risquent de surtout bénéficier aux partis politiques traditionnels », met en garde Joseph Bahout, directeur de l’Institut Issam Fares. De quoi mettre feu aux poudres.

Des signaux positifs

Certains signes sont toutefois porteurs d’espoir. Sayyed Hassan Nasralla, dirigeant de l’organisation chiite pro-iranienne, le Hezbollah, a par exemple accueilli favorablement l’aide internationale promise au Liban, et ce alors même que son grand allié, l’Iran, n’y a pas participé. Un signal que les tensions régionales, dont a tant souvent souffert le Liban, pourraient ne pas faire obstacle à sa reconstruction et sa refonte politique. L’organisation fait aujourd’hui largement parti de la vie politique du pays, et dispose d’un soutien populaire important – il aurait donc été impensable de composer sans elle.

Certains pensent que « le seul parti libanais qui n’a pas désarmé » (Julien Theron, enseignant en conflits et sécurité internationale à Sciences Po) sera plus conciliante vis-à-vis d’une réforme compte tenu de l’affaiblissement de l’Iran ces dernières années. C’est le cas de l’analyste Anthony Bellanger :« Le Hezbollah coûte en moyenne 700 millions de dollars annuels à Téhéran. Mais les sanctions économiques américaines, la chute du prix du pétrole et la crise du covid19 ont asséché les finances de la République islamique. »

En outre, la participation au plan d’aide de la Russie, qui défend jalousement ses intérêts en Méditerranée orientale, notamment en Syrie, et de la Chine, qui se cherche des alliés pour déployer ses Nouvelles routes de la Soie dans la région, sont également encourageants. Ils le font, qui plus est, aux côtés de Washington, qui exerce d’ordinaire une pression maximale sur la formation chiite et contre les autres puissances dans la région. Ce semblant d’union est bienvenu dans un pays malgré lui est déchiré par des enjeux géostratégiques, qui bien souvent le dépassent.

Quitter la version mobile