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Un centenaire douloureux pour le Grand Liban

Le 1er septembre 2020, la célébration du centenaire du Grand Liban interviendra à une période particulièrement sombre de l’histoire du pays. Le 4 août, l’explosion dans le port de Beyrouth de plusieurs milliers de tonnes de nitrate d’ammonium a laissé des quartiers entiers de la capitale libanaise en ruine. La catastrophe a alimenté la colère d’une population déjà excédée par l’incurie de sa classe politique, accusée de négligence et corruption. Depuis le début du mouvement de contestation, 17 octobre 2019, de milliers de libanais manifestent partout dans le pays pour dénoncer le clientélisme et la corruption des élites du pays. Si le mouvement n’a pour l’instant pas réussi à se changer en force politique active, c’est qu’il lui manque une plate-forme politique claire ains que des figures de proue qui pourraient transformer l’essai et piloter la réforme de l’état. 

C’est en effet l’organisation même de l’état qui a mené à la situation actuelle. « Et en 1943, musulmans et chrétiens s’unissent contre l’arbitraire de la France de De Gaulle, qui n’a jamais été très tendre outre-mer. C’est ce qui donne un pacte national qui sera non écrit tant il est complexe, sensible, où la présidence revient à un maronite et le premier ministère à un sunnite. Et c’est une formule qui est toujours en œuvre aujourd’hui, même si la guerre dite civile de 1975-90 l’a sensiblement amendée » rappelle ainsi l’historien Jean-Pierre Filiu. Depuis, la population chiite devenue majoritaire au sein de la communauté musulmane, ajoutant le Hezbollah à une équation déjà imparfaite. Cette impasse politique avec des institutions déconnectées a permis l’émergence d’une économie de rente depuis trente ans pour les élites du pays.

Un nouveau Premier Ministre pour l’ « union nationale »

Sous la pression du Président français, Emmanuel Macron, revenu comme promis trois semaines après sa visite à Beyrouth, le Président libanais Michel Aoun a annoncé la nomination d’un nouveau premier ministre, l’actuel ambassadeur en Allemagne, Mustapha Adib – un choix qui doit encore être entériné lors de consultations parlementaires dans la journée. L’heure de la réforme est-elle venue donc ? Pas certain. Certes, Michel Aoun appelle à la création d’un « Etat laïc » qui serait en mesure de « protéger le pluralisme, de le préserver en le transformant en unité réelle ». Mais le choix de ce poids lourd de la communauté sunnite risque bien d’être rejetée par le mouvement de contestation populaire qui exige le départ de la classe politique et la fin d’un système confessionnel.

S’il faudra maintenant attendre la composition du gouvernement pour avoir de la visibilité sur la politique à venir, nombreux sont ceux qui estiment que plutôt que de réformer le pays en profondeur, la classe politique libanaise cherche avant tout à conserver le pouvoir. Un signal peu encourageant a par ailleurs été envoyé le 18 août dernier, lorsque le Tribunal spécial international pour le Liban a rendu un jugement très superficiel sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri. Le Hezbollah, responsable de l’attentat, n’a en effet pas été impliqué au-delà du seul commanditaire. De quoi faire peser de gros doutes sur le dénouement d’une enquête internationale sur la tragédie qui a frappé le port de Beyrouth et de quoi renforcer le sentiment d’impunité des classes dirigeantes.

Le bras de fer entre la société civile et la classe dirigeante

La volonté populaire de changement se heurte aujourd’hui à toute la classe politique libanaise. De fait, malgré ses promesses, Michel Aoun se situe à la pointe de la résistance au changement – mais il net loin d’être le seul à tenir cette position. « Après la visite de Macron, cette classe de prédateurs a cru que la sympathie internationale suscitée par la catastrophe allait assouplir les conditions posées à un sauvetage économique et financier » analyse Emile Hokayem, de l’International Institute for Strategic Studies (IISS) à Londres. En outre, le Hezbollah s’accommode lui aussi très bien du statu quo, qui lui permis de faire croitre son influence et se richesse au fil des années. « Il y a un veto du Hezbollah sur d’autres noms, ainsi que la volonté de certains acteurs d’empêcher une personnalité proche des réformateurs d’arriver au pouvoir, même pour un gouvernement de mission ou de transition » note Emile Hokayem.

Une situation qui illustre bien « la capacité de la classe politique libanaise à se jouer de sa propre population et des acteurs étrangers » estime Emile Hokayem. Ce dernier estime que « désigner Adib, c’est choisir le chef pâtissier du Titanic comme commandant de bord, alors que le navire prend l’eau ». Enfin consciente de la défiance qu’elle sollicite, l’élite libanaise compte bien faire obstruction au changement. « On touche là à la contradiction majeure de la démarche d’Emmanuel Macron : il demande à la classe politique de faire un « pas de côté » ; mais c’est demander aux clans politiques de se suicider, ce qu’aucun n’est prêt à faire, à commencer évidemment par le Hezbollah pro-iranien » note justement Jean-Pierre Filiu.

« Aujourd’hui que le peuple libanais s’est soulevé contre le carcan communautaire, tracer la voie d’une telle émancipation, et donc d’une authentique citoyenneté, serait sans doute la plus belle commémoration de ce centenaire. » estime-t-il dans les colonnes du Monde. Un souhait juste, mais force est de constater que la route est encore longue.

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