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Brexit : peu d’espoir de trouver un accord dans la dernière ligne droite

Aucun progrès n’a été enregistré lors du huitième round de négociations sur la relation post-Brexit entre Londres et l’Union européenne. Aussi, il apparait de moins en moins probable qu’un accord de libre-échange soit trouvé pour leurs relations après le divorce, programmé pour décembre prochain – Londres est plus que jamais intraitable sur le terme des négociations. Les deux camps s’accusent encore une fois d’être responsables du blocage.

A un mois de l’échéance, tout indique donc aujourd’hui que les partenaires se dirigent vers un Brexit dur. Et ce d’autant que Bruxelles avait évoqué la nécessité d’un accord d’ici à la fin octobre pour permettre une ratification par les institutions européennes avant la fin de l’année. L’annonce la semaine dernière, par Boris Johnson, du projet de loi sur le marché intérieur [Internal Market Bill], modifiant unilatéralement le Traité a encore éloigné la possibilité d’une entente en temps et en heure. Le Premier ministre britannique a présenté la position de l’UE comme « un risque pour le Royaume-Uni et pour la paix en Irlande du Nord », avant d’estimer que ce texte venait « clarifier les positions et régler les incohérences ».

Pour rappel, l’accord de transition signé entre Londres et Bruxelles prévoyait que certaines dispositions européennes, notamment sur le commerce, s’appliquent pendant quatre ans en en Irlande du Nord, physiquement liée à l’UE par sa frontière avec la République d’Irlande. En bref, Londres veut s’arroger le droit d’annuler unilatéralement les décisions commerciales s’appliquant à la province d’Irlande du Nord – des pouvoirs censés être partagés avec les Européens, selon l’accord de Brexit conclu l’année dernière. Un recul qui a provoqué colère et incompréhension sur le continent.

Bruxelles durcit sa position

Il ne s’agit pas de la première tension dans des négociations qui s’éternisent. Mais depuis la rentrée les signes de défiance du gouvernement britannique se multiplient – ainsi qu’une communication tapageuse visant à présenter Bruxelles comme un partenaire inflexible et déraisonnable. Il y a tout juste quelques jours, Johnson avait fait circuler une rumeur selon laquelle le négociateur européen Michel Barnier allait être écarté pour tenter de débloquer les discussions – un nouveau d bluff pour tenter de diviser les 27. L’Europe a, malgré tout, su rester unie.

Au terme d’une semaine mouvementée, le Parlement européen a même fait savoir qu’il n’approuvera aucun traité commercial entre l’UE et le Royaume-Uni si l’accord de divorce n’est pas pleinement mis en œuvre. La Commission européenne menace désormais le Royaume Uni de poursuites judiciaires et de sanctions pour non-respect d’accords internationaux. « Les Européens ont mis du temps, mais ils ont à présent bien compris que l’opposition britannique était d’ordre idéologique, qu’elle n’avait rien de rationnel, sans aucun rapport avec l’équilibre réel des forces » estime Christian Lequesne, spécialiste des questions européennes à Sciences-Po.

Ce dernier estime que « Londres vit dans une espèce d’enchantement qui va à l’encontre de sa tradition de pragmatisme ». Un jugement sans appel, qui est en train de se généraliser au-delà des pays les plus enclins à un no deal, à la tête desquels on retrouve la France. Force est de constater qu’il existe un véritable et unanime manque de confiance des dirigeants européens à l’égard de Johnson, vu comme un opportuniste sans éthique, prêt à risquer le devenir de son pays dans un coup de poker. Le ministre des affaires étrangères irlandais, Simon Coveney, a estimé pour sa part que l’attitude du gouvernement « portait atteinte à la réputation du Royaume-Uni en tant que partenaire de confiance ». Une déclaration incendiaire pour le pays européen le plus favorable à un accord.

Un coup de poker manqué

S’il est sans doute opportuniste – son ascension fulgurante au pouvoir dans un pays divisé comme jamais dans son histoire récente en atteste – Johnson n’est pas pour autant inconscient. Aussi, s’il cherche à mettre de l’huile sur le feu, c’est bien pour servir un objectif politique – ici rassurer les Brexiters les plus dogmatiques, avant de revenir à la charge une dernière fois avec un amin tendue pour tenter de décrocher une forme d’accord en dernière minute. Mais cette stratégie divise, même dans son propre camp, ou certains commencer à craindre que cette danse au bord du précipice ne desserve le pays à terme.

Le projet de loi a ainsi été fustigé par deux anciens premiers ministres, le conservateur John Major (1990-1997) et le travailliste Tony Blair (1997-2007), qui ont appelé les députés à s’opposer à un texte « d’irresponsable, mauvais sur le plan des principes et dangereux dans son application ». Michael Howard, un ancien Président du Parti conservateur et Brexiter convaincu, aujourd’hui membre de la Chambre des Lord, s’est également fendu d’une sortie virulente : « Comment pouvons-nous reprocher à la Russie, à la Chine ou à l’Iran de ne pas respecter les règles internationales quand nous montrons un tel mépris pour nos obligations liées à un Traité ? »

What now ?

Dans ce contexte de crispation et compte tenu des délais, peut-il encore y avoir, d’ici au 31 décembre, un accord de libre-échange a minima ? Cela parait improbable. Et ce d’autant que « les préparatifs [à un no deal] ont déjà été faits », comme le rappelait récemment le ministre allemand des Finances, Olaf Scholz – un autre pays qui a longtemps été farouchement opposé à une sortie sans accord. De même, au Quai d’Orsay, depuis près de deux ans il n’est pratiquement plus question que de no deal, confiait récemment un diplomate ayant travaillé sur le dossier. Une situation que Londres semble avoir compris. Le gouvernement britannique se cherche en effet de nouveaux partenaires, comme le Japon avec qui il a signé premier accord commercial vendredi dernier.

Les relations à venir seront donc le plus probablement tranchées point par point, après le divorce. On a bien vu que le blocage état total sur plusieurs sujets, comme l’épineuse question de l’accès des navires de pêche européens aux eaux britanniques, point d’achoppement majeur. Un dénouement qui ne sera pas sans causer nombre de tracas pour les deux parties. Reste que les dégâts économiques du no deal mettront sans doute Londres dans une position assez inconfortable lors des négociations post-Brexit. Sans parler de l’impact du Covid-19 sur l’économie britannique, pays le plus durement touché d’Europe. Autant de facteurs qui devraient pousser Londres à faire de gros compromis pour accélérer la réécriture des relations avec Bruxelles et renforcer ses efforts de relance. L’alternative étant de s’entendre dans le mois que vient.

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