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Chine et Corée du Sud connaissent des Jours Heureux

Allié historique des États-Unis et de l’Union européenne, la Corée du Sud semble pourtant bien décidée à effectuer un pivot stratégique qui bouleverserait quelque peu sa position sur l’échiquier régional et international. Un rapprochement sino-coréen paraît en effet se dessiner. Un revirement d’ampleur pour un pays qui, longtemps, a été considéré comme une excroissance occidentale dans la région.

Avec la Chine, une dépendance commerciale croissante

Depuis plusieurs mois déjà, la dépendance de la Corée du Sud vis-à-vis de la Chine en matière d’exportations et d’IDE connaît une croissance soutenue, selon un rapport de la Fédération des industries coréennes. La Chine a ainsi accueilli 24,3 % des exportations de la Corée du Sud au cours des sept premiers mois de l’année, soit une hausse de 1,5 point de pourcentage par rapport à l’année précédente. En juin, alors que la crise sanitaire sévissait encore et que le commerce international demeurait largement ralenti, les exportations ont augmenté de 9,7 % entre les deux pays. En parallèle, le poids des relations avec les autres régions du monde, USA et Union européenne en tête, dévissait à vitesse effrénée. Une attraction pour la Chine qui se confirme aussi au niveau des IDE. Ils ont en effet grimpé à 11,2 % des IDE globaux au cours du premier semestre, alors qu’ils n’étaient que de 3 % l’année précédente. En parallèle, l’ensemble des IDE en Corée du Sud a connu une chute brutale de 22,4 % en un an. Une réalité certes en partie conjoncturelle et conséquente à la diffusion du Covid-19, mais qui repose aussi sur une réorientation des stratégies diplomatiques et commerciales sud-coréennes.

La perception d’une Corée du Sud méfiante envers l’influence chinoise et plus résolument associée au monde occidental ne fait plus sens. Comme nous l’apprend Éric Martel, Docteur en Sciences de Gestion et chercheur associé au Conservatoire national des arts et métiers, les pays de la région, comme la Corée du Sud, Taiwan ou encore les Philippines adoptent finalement une posture relativement bienveillante envers l’expansion chinoise, qu’ils ne perçoivent pas comme une nation « militairement agressive » et, surtout, dont ils chérissent les liens commerciaux mutuels intenses.

Car depuis quelques mois déjà, les discussions entre la Chine et la Corée du Sud semblent s’intensifier. Le 24 août dernier, une rencontre entre Suh Hoon, principal conseiller à la sécurité nationale de Corée du Sud et Yang Jiechi, membre du Bureau politique du Comité central du Parti communiste chinois, a officialisé le renforcement des relations bilatérales entre les deux États. Sub Hoon a aussi affirmé désirer « avoir des échanges de haut niveau plus étroit avec la Chine ». Un langage diplomatique certes convenu, mais qui témoigne d’une tendance de fond dans la réorganisation stratégique régionale.

De même, la Corée du Sud prétend désormais, avec la Chine, soutenir « le multilatéralisme dans les affaires internationales ». Un élément de langage diplomatique, traditionnellement associé aux rivaux des États-Unis, comme la Chine ou la Russie, perçu comme un pied-de-nez indirect à une diplomatie américaine jugée unilatérale, sinon offensive. Désormais, Séoul ne cache même plus ses inclinaisons à l’indépendance stratégique ou, plus simplement, à pouvoir « changer de camp ». La déclaration, en juin 2020, d’un officiel Sud-Coréen affirmant que son pays pouvait désormais « choisir » entre Chine et États-Unis avait profondément irrité la diplomatie américaine, dont l’un des porte-paroles a rétorqué que la Corée du Sud avait pris le chemin de la démocratie dans les années 1980, se rangeant de facto du côté occidental.

Entre la Corée du Sud et les États-Unis, les relations tiédissent peu à peu

La crise sanitaire pourrait bien avoir accéléré cette tendance au rapprochement. Depuis plusieurs mois, les officiels Chinois saluent la qualité de la lutte conjointe contre le Covid-19 avec la Corée du Sud. « Un bon exemple de coopération pour la lutte mondiale contre la maladie à coronavirus » déclarait Xi Jinping en mai dernier, alors même que les critiques contre l’Empire du Milieu, accusé d’avoir volontairement sous-estimé l’ampleur épidémique, s’intensifiaient à l’échelle internationale.

La Chine profite aussi d’un tiédissement des relations avec les États-Unis, l’un des partenaires privilégiés de la Corée du Sud. En 2020, le pays a vu la facture américaine pour la protection du pays multipliée par cinq, sans préavis officiel. En effet, les États-Unis disposent de plusieurs bases sur le territoire, pour environ 29 000 hommes. Mais, les coûts assumés par la Corée du Sud n’atteignent — à peine — que 50 % des dépenses militaires américaines dans le pays, hors des soldes versées chaque mois aux militaires. Une augmentation subite de la facture peu orthodoxe et diplomatiquement critiquable, qui a durablement créé un sentiment d’inimitié chez les Sud-Coréens. Même parmi les franges les plus conservatrices de la population, traditionnellement attachées à la protection militaire américaine. D’autant que les dépenses militaires sont un sujet particulièrement sensible dans le pays. Si, en 2019, 60 % des Coréens souhaitent maintenir la couverture militaire américaine, 45 % d’entre eux refusent catégoriquement toute hausse du budget de défense à destination des États-Unis.

Désormais, tout semble prétexte à un regain de tensions diplomatiques entre les deux pays. Même la moustache arborée par l’Ambassadeur des États-Unis à Séoul a entraîné l’ire des populations, celle-ci rappelant la domination coloniale japonaise. Un simulacre de décapitation de l’Ambassadeur américain, inimaginable dans le pays il y’a encore quelques années, avait même été mis en scène par des manifestants à Séoul, en décembre 2019. La renégociation houleuse, début 2018 souhaitée par Donald Trump, de l’accord de libre-échange entre les États-Unis et la Corée du Sud, n’a pas non plus contribué à apaiser les griefs mutuels.

L’Europe désormais hors-jeu à Séoul ?

Autre victime collatérale du rapprochement sino-coréen, l’Union européenne semble désormais parfaitement ignorée de Séoul dans les affaires internationales. Dans le dossier nord-coréen, la voix des pays européens n’est désormais plus réellement écoutée. Comme le souligne Antoine Bondaz, doctorant rattaché à l’IRSEM, « Sud-Coréens, Américains et Chinois », qu’ils soient universitaires ou officiels, n’évoquent jamais le rôle de l’Union européenne et de la France et ne les considèrent pas comme des partenaires stratégiques, même sur le dossier nucléaire ». La Corée du Sud préfère régler ses affaires en famille : « Le problème coréen est traité de façon régionale par les acteurs en place ». 

Car le dossier nord-coréen semble être l’un des points d’achoppement. En effet, les impasses dans les pourparlers entre États-Unis et Corée du Nord et le manque de progrès apparents dans l’interventionnisme américain dans les affaires intercoréennes semblent pousser la Corée du Sud à se ranger dans le giron chinois. Si les États-Unis disparaissent peu à peu derrière l’influence chinoise, l’Union européenne, elle, ne rentre même plus en considération dans les orientations diplomatiques de Séoul…

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