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Discours sur l’état de l’Union européenne : un nouveau souffle ?

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« Nous avons la vision, nous avons le plan, nous avons les investissements. Il est désormais temps de nous mettre au travail ». A en croire la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, l’Europe est en ordre de marche. Un an après sa prise de fonction, dans son discours sur l’état de l’Union, l’ancienne ministre d’Angela Merkel a affiché une volonté de voir l’UE s’affirmer en temps que puissance géopolitique, capable de parler d’une seule voix. Vaste programme.

L’Union européenne est bien mal équipé pour faire front commun. Les intérêts des Etats membres divergent fréquemment, et les interlocuteurs de l’UE réussissent souvent à jouer de ces divergences pour la paralyser. Aussi, Ursula von de Leyen a proposé une solution ambitieuse pour recréer de la cohésion au sein du bloc. Elle a plaidé en faveur de l’adoption d’un texte équivalent à la loi Magnitsky – un dispositif utilisé par les Etats Unis afin de prendre des mesures économiques punitives plus rapidement.

Actuellement, la volonté des Etats membres de peser sur des négociations connexes en monnayant son soutien bloque encore trop souvent la prise de décision au sein des institutions européennes. A cela, il faut ajouter des dissonances stratégiques – notamment liées à une relation douloureuse avec Moscou parmi les pays ayant subi l’occupation soviétique. Ces difficultés laissent l’UE bien démunie à l’heure où « de grandes puissances se retirent des institutions ou bien les prennent en otage pour servir leurs propres intérêts », a souligné la Présidente de la Commission.

La Chine a, par exemple, très bien su jouer des tension internes en volant au secours de l’Italie au plus fort de la crise du Covid, alors que l’UE piétinait sous l’obstruction des « frugaux ». Washington utilise pour sa part très bien la peur de Moscou pour ralentir l’émancipation géopolitique de l’Union européenne. Et la Russie a su jouer sur les liens religieux et sur la solidarité toute relative de Bruxelles avec la Grèce pour y placer ses pions. L’absence d’unité européenne laisse donc la voix libre à un dangereux clientélisme qui sape plus en avant l’unité du bloc.

Unanimité ou majorité qualifiée ?

Afin de donner son plein potentiel à la mesure, von der Leyen a proposé de passer d’une réponse géopolitique européenne qui requiert l’unanimité de ses membres à une majorité qualifiée. Une proposition qui priverait les pays européens d’une partie de leur souveraineté diplomatique. Ironiquement, elle ne pourra être adoptée qu’a… l’unanimité. « C’est un tournant pour l’Union européenne qui était devenue atone en matière de défense des droits de l’homme », estime cependant l’analyste Pierre Haski. Et pour cause : la remise en cause de la sacro-sainte règle de l’unanimité indique un changement de philosophie profond.

Elle relève qu’une volonté de fluidifier le fonctionnement des institutions européennes, ce qui a terme devrait renforcer l’Union dans son ensemble. Cette approche revient à reconnaitre qu’en matière européenne, le tout dépasse la somme des parties – condition sine qua non d’une Union efficace. C’est la même logique qui animait la décision de mutualiser partiellement la dette européenne pour aider les Etats membres à sortir du marasme économique causé par le Coronavirus. L’âpreté des négociations qui ont permis cette mutualisation – et la baisse sensible des ambitions par rapport au projet initial de la Commission – annoncent toutefois des échanges tendus.

Les états les moins enclins à une fédéralisation de l’Union voient en effet dans la remise en cause du principe d’unanimité, même si elle est cantonnée à un seul domaine, le début d’une longue dérive vers un changement de souverainisme majeur en Europe. Actuellement, l’Union fonctionne autour d’une délicat équilibre entre le Parlement européen (dépositaire de la souveraineté populaire) la Commission européenne (qui incarne la souveraineté institutionnelle) et le Conseil de l’Europe (organe de la souveraineté des Etats membres). Mais dans les faits, c’est ce dernier qui joue le rôle le plus déterminant du fait de la règle de l’unanimité.

Le retour du rapport de force

Certains considèrent que leur souveraineté de petits Etats, moins peuplés, est directement menacée par une ouverture à la majorité qualifiée, car les intérêts risqueraient d’être noyés dans la masse – notamment celle des « cigales » européennes du Sud. L’organisation actuelle de l’Union leur permet à contrario de peser à plein sur la politique européenne et de faire payer chaque compromis au prix fort. A la tête de ce groupe, on trouve le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, dont l’opposition systématique aux réformes européennes lui ont valu le surnom de « Monsieur Non ».

S’il n’avait, jusqu’à peu, pas à personnellement monter au créneau – rôle souvent joué par les britanniques – depuis le Brexit, c’est le nouveau caillou dans la chaussure d’une Commission qui pousse pour davantage d’intégration. Et si récemment sa ligne s’est durcie, c’est aussi parce qu’il s’agit d’une année électorale au Pays-Bas, et qu’il ne souhaite surtout pas donner l’impression à ses électeurs qu’il autorise Bruxelles à jeter l’argent par les fenêtres. Une attribution qui agace les autres dirigeants, notamment le volontaire – certains disent autoritaire – Président français. « Ce genre de positionnement finissait mal » a-t-il récemment commenté, en référence au Brexit.

Ces désaccords de plus en plus visibles font craindre que les annonces de Madame von der Leyen restent des vœux pieux, rendus inopérants par une nouvelle paralysie des institutions qu’elle cherche justement à réformer. Un tel blocage poserait plusieurs questions : Quelle autres compromis pourront être faits pour obtenir le soutien des « frugaux » – qui se sont déjà taillés la part du lion du plan de relance post-covid ? Ce soutien est-il seulement possible ? La solution au manque d’enthousiasme de certains Etat membres devant un renforcement du rôle politique de l’Union est-elle une Europe à deux vitesses ?

Un tel choix risquerait d’affaiblir les Etats qui se lanceraient, moins nombreux, dans l’aventure du fédéralisme. Il est fort à parier qu’il renforcerait également la discorde, forçant l’UE à davantage prêter le flanc aux nations qui usent du clientélisme pour diviser les européens. Certains avancent toutefois que la peur d’être laissés sur le bas-côté poussera les frugaux au compromis si des signaux d’une Europe bicéphale se font trop pressants. A nouveau du rapport de force, donc. « Chacun est ici pour défendre les intérêts de son propre pays » expliquait Rutte à la presse pas plus tard que lundi dernier. Dont acte.

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