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En Iran, la lutte contre les « mal voilées » par un régime en fin de course

Hamid Enayat est un analyste, militant des droits de l’homme et opposant politique iranien basé en France.

Ce que les médias pro-gouvernementaux en Iran appellent la « méfiance du public » est la reconnaissance de la fébrilité d’une société excédée par quarante ans d’une dictature qui se maintien au nom de Dieu. Aux deux extrémités du spectre, un gouvernement embourbé dans des crises incurables, qui s’accroche au pouvoir au prix d’une violence au quotidien, et la colère d’un peuple qui peut se soulever à tout moment.

« L’économie décline de jour en jour et s’approche de la désintégration de l’État. Les problèmes économiques affectent les moyens de subsistance, la culture et les normes, mais par-dessus tout, ils créent une méfiance qui est profondément ancrée dans la société, avertissait le journal officiel Arman le 21 septembre dernier. Nous sommes face à une société qui ne fait plus confiance à la rhétorique du gouvernement, de son ministre de l’économie, ni du gouverneur de la banque centrale. »

Pour rester au pouvoir, le régime islamiste a besoin de museler la société iranienne. En novembre 2019 cette dernière avait réagi à la hausse soudaine du prix de l’essence par une révolte populaire qui a embrasé plusieurs villes, suivie d’une féroce répression – plus de 1500 tués parmi les manifestants.

Récemment, les autorités ont mis en œuvre un certain nombre de mesures répressives qui visent en premier lieu les femmes, souvent au-devant des manifestations anti-régime en Iran. Le prétexte est comme à l’habitude les « mal voilées » et le code vestimentaire obligatoire imposé aux femmes dans le pays.

L’Imam d’Ispahan, Tabataba’i-Nejad, a appelé le 2 octobre à « rendre la société peu sûre pour les auteurs des violations du code vestimentaire » dans les parcs et il a demandé plus de fermeté aux policiers. « Le bâton doit toujours être levé pour lutter contre les mal voilées ». Son collègue de la province de Khorassan, Abolghassem Yaghoubi, a pour sa part déclaré : « Les forces de l’ordre doivent rendre la vie dangereuse aux agitateurs qui ont des intentions perverses … Il existe dans la population un phénomène de mal-voilées et de non-voilées qui est comme un virus et il faut le combattre (…) Il faut donc aussi prendre en compte les virus autres que le coronavirus. »

 Le commandant adjoint des forces de police a également annoncé « la planification et la mise en œuvre de quatre projets de surveillance, dans les voitures, les passages, les grands magasins, les lieux de divertissement, les trottoirs et sur Internet pour lutter contre les mal voilées ».

Depuis plus de trois décennies, le régime iranien opprime, humilie et harcèle les femmes par le biais de plus de vingt organes nationaux sous le couvert de la lutte contre les « mal voilées ». Outre sa misogynie médiévale, en agissant ainsi, le régime cherche à contrôler la société et empêcher de nouvelles révoltes. Le chef du pouvoir judiciaire, Ibrahim Ra’issi a déclaré à ce sujet : « il ne faut pas autoriser que les rues et les quartiers soient le foyer des voyous ».

En plus de patrouilles répressives, le Conseil national de sécurité (organe de contrôle et de répression dépendant du ministère de l’Intérieur) a ordonné la création de centres d’opérations dans les quartiers pour coordonner l’activité des divers organes de répression dans l’éventualité d’un soulèvement populaire que les responsables estiment « très probable » et qui pourraient survenir à la première étincelle.

Pour le moment, la crise sanitaire provoquée par Covid 19 est venue au secours du régime et a  empêché la société de protester. Ali Khamenei, le guide suprême des mollahs, n’avait-il pas déclaré dans un sermon que « nous devrions faire de cette crise une opportunité » ? Cette opportunité a été mis au service de la survie du régime et c’est ce qui explique, selon les observateurs, l’absence de mesures sérieuses pour combattre le virus mortel. Celui-ci a déjà fait plus de 123.100 décès, alors que le pays entier sombre dans le rouge à l’aune d’une troisième vague d’infection.

L’absence des libertés et la baisse vertigineuse du niveau de vie n’ont fait qu’ajouter aux souffrances d’un peuple qui vit pourtant sur un sol riche en ressources naturelles. Après plus de quarante ans d’une dictature intégriste, la société iranienne semble être à un tournant. Les mois à venir pourraient porter de sérieux bouleversements dans l’antique pays.

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