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Jacinda Ardern : nouveau mètre étalon du progressisme ?

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Coqueluche des progressistes à travers du monde, Jacinda Ardern remettait son titre en jeu lors des élections législatives néozélandaises. Si elle bénéficie d’une couverture très favorable – en particulier à l’étranger – l’usure d’un premier mandat sur fond de pandémie ne lui garantissait pas la victoire. Le politologue Stephen Levine de l’université Victoria de Wellington avait même estimé qu’« Il n’est pas du tout inconcevable que Jacinda ne soit la femme que d’un seul mandat. L’opinion internationale voit les choses en gros, pas la situation au quotidien ».

Autrement dit, il fallait que la Première ministre sortante prouve qu’elle était également populaire dans son propre pays. C’est maintenant chose faite. La travailliste a obtenu samedi 49,1 % des suffrages, ce qui va lui permettre d’avoir la majorité absolue au Parlement (64 des 120 sièges disponibles). Il s’agit, à ce titre, de la première responsable politique à pouvoir diriger le pays sans avoir à former de coalition depuis l’adoption du nouveau système électoral du pays, en 1996.

Son score est d’autant plus impressionnant quand on le compare à celui de la deuxième grande formation politique du pays, le Parti national, crédité de seulement 27 % des votes (35 sièges). Celle que tout le monde appelle simplement « Jacinda » s’impose donc une seconde fois et consolide sa position après neuf ans de règne conservateur. Et ce, malgré des sondages qui donnaient ce dernier gagnant (46%). Sa communication sans faute sur son bilan, les obstacles qu’elle a rencontrés et le chemin qu’il reste à parcourir, aura finalement su désarmer les attaques de ses détracteurs.

La « méthode » Jacinda

La Covid n’aura pas fait que des victimes. Surfant sur sa réponse exemplaire à la pandémie – 25 morts sur 5 millions d’habitants, et plus aucun cas actif – Jacinda a su imposes les thèmes de la campagne. « [Elle] a réussi à faire de ce scrutin, une élection centrée sur le Covid-19. Or les Néo-Zélandais lui font confiance pour gérer les situations de crise. Elle est très efficace pour analyser les faits, prendre les bonnes décisions quitte à ce qu’elles soient difficiles, puis pour emporter l’adhésion de la population grâce à ses qualités de communicante », note Lara Greaves, politologue à l’université d’Auckland.

Mais plus largement, sa victoire bien un plébiscite de sa méthode de gouvernance. C’est « la victoire de l’éthique en politique » analysait Pierre Haski dans une chronique très enthousiaste sur France Inter. Son mélange d’empathie et de fermeté a su faire mouche auprès d’un électorat confronté à des années de turbulence. Elle aura ainsi fait e choix impopulaire de cloîtrer ses cinq millions de concitoyens pendant six semaines et de fermer ses frontières, les résultats à la clé. Un stoïcisme dont elle faisant récemment encore un fois sa marque de fabrique lorsqu’un séisme s’est déclaré en pleine interview.

Son mandat aura également été marqué par l’attaque par un suprémaciste blanc contre la mosquée de Christchurch – la pire attaque terroriste de l’histoire néo-zélandaise. Elle a réagi en faisant immédiatement voter l’interdiction de la vente d’armes automatiques et les chargeurs de haute capacité et en lançant une croisade contre les grandes plateformes numériques jugées trop laxistes dans la diffusion de désinformation. Dans le même temps, elle s’est montrée pleine de compassion pour la communauté musulmane, victime de cette attaque.

La réponse à la crise économique sera sociale et environnementale

Une réélection aussi triomphale est cependant surprenante en plein milieu d’une récession économique, un contexte d’ordinaire pour le moins peu favorable en politique – au deuxième trimestre, le PIB a néozélandais a chuté de 12,2 % , et l’économie devrait reculer de 7,2 % sur l’année. Si ces reculs sont relatifs par rapport aux crises qui frappent Europe et États-Unis, du fait de sa taille plus modeste, l’économie du pays est plus vulnérable à ce tels chocs. Mais ce constat n’était pas motif de panique. Ces difficultés n’ont fait que renforcer la Première ministre dans sa résolution : la réponse à la crise économique sera sociale et environnementale.

Jacinda Ardern n’a pas fait de secret sur la nécessité de « se serrer les coudes dans les périodes incertaines » et d’œuvre à la réduction des inégalités. Elle a notamment fait campagne sur son projet de relever à 39 % les impôts sur le revenu des plus riches afin de réduire la dette publique – une volonté de justice fiscale qui aura su largement convaincre. « Elle est une dirigeante modérée, une centriste, je ne pense pas qu’elle va conduire une politique de gauche radicale. Mais avec une telle majorité, elle va sans doute vouloir accélérer le rythme des réformes », estime Richard Shaw, professeur de sciences politiques à Massey University.

Un tel succès – basé sur la transparence, la proximité non feinte avec l’électorat mais aussi une intransigeance à ses valeurs fondamentales – pourrait servir de modèle aux autre gouvernements ou partis progressistes ayant une volonté de prise de pouvoir. Et ce d’autant alors que les questions climatiques, économiques et sanitaires soulignent les défaillances du modèle actuel, et que les appels pour une alternative se multiplient. Reste à savoirs si la classe politique saura écouter une femme vivant à l’autre bout du monde, qui n’a même pas encore 40 ans.

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