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Bataille de Guerguerat : l’opportunisme désespéré du Polisario

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Dans le Sahara occidental, une récente attaque du Front Polisario, suivie d’une réponse ferme de l’armée marocaine, pourrait aboutir à un regain de tensions entre les forces indépendantistes et le Maroc. C’est en tout cas le pari risqué du Polisario qui cherche à agiter le chiffon rouge de l’instabilité pour s’attirer les faveurs de l’opinion publique internationale. Car depuis des décennies, les options du mouvement marxiste s’amenuisent à mesure que la communauté internationale semble se ranger du côté du royaume chérifien.

Le Sahara occidental, au cœur d’une dispute territoriale entre le Front Polisario et le Royaume du Maroc, fait face depuis quelques jours à un regain de tensions. En réaction à une ultime provocation du mouvement armé marxiste dans la zone tampon de Guerguerat, le Maroc a répondu fermement avec l’envoi de troupes sur place.

Si tous les observateurs s’accordent à dire que la réponse du Maroc ne devrait pas créer l’escalade, il n’en fallait pas plus pour que le Polisario clame la fin du cessez-le-feu. Arc-bouté sur une posture dure, le Front a en effet proclamé l’état de guerre et exige la fin de l’occupation de la partie du Sahara occidental sous contrôle marocain.

L’opportunisme désespéré du Polisario

Depuis cette étincelle, le Polisario accumule les escarmouches et les provocations sans conséquence. L’objectif inavoué est d’attirer le royaume chérifien dans ses filets par le biais de nouvelles attaques : il s’agit d’une tactique de harcèlement caractéristique du Front Polisario – et des mouvements marxistes en général – qui est généralement suivi d’un discours de victimisation, censé gagner le soutien de la communauté internationale, notamment des opinions publiques occidentales, davantage sensibles au narratif du faible face au fort.

La résurgence de ce conflit oublié est toutefois singulière et s’inscrit dans un contexte géopolitique plus global. Entre la guerre civile libyenne, les ambitions turques sur les plateformes offshore, ou encore l’explosion des attaques djihadistes dans la bande sahélo-saharienne, l’Afrique du Nord a tout d’une poudrière. Le pari du Polisario consiste donc à agiter le chiffon rouge d’une escalade et d’une reprise du conflit, dans l’objectif de pousser la communauté internationale à céder à ses exigences tout en faisant pression sur Rabat.

Un autre événement de politique intérieure explique également la fébrilité du mouvement marxiste : depuis plusieurs semaines, l’appareil diplomatique algérien est paralysé par la convalescence de son président, soigné en Europe. Le Front entend tirer parti de cette tétanie pour mettre ses soutiens algériens au pied du mur, en redessinant une ligne pro-Polisario qui n’a eu de cesse de s’étioler au fil des ans. « Il semblerait que le Polisario ait cherché à profiter de cette situation pour tenter de pousser à son avantage » confirme Kader Abderrahim, directeur de recherche à l’IPSE. Pour ces différentes raisons, le Front veut orchestrer l’escalade d’un conflit oublié en poussant le Maroc à la faute. Las, la ficelle était trop grosse, et les autorités marocaines ont su évoluer finement sur la ligne de crête entre fermeté et volonté d’apaisement.

Le Maroc, entre fermeté et apaisement

La réponse marocaine tranche radicalement avec les positions bellicistes du Polisario. Certes, Rabat a bel et bien dépêché des forces, mais aucun coup de feu n’a été tiré, l’État demeure résolument défensif mais multiplie, « en même temps », les appels au calme.

Le Palais a d’ailleurs prévenu que les forces royales respecteraient le cessez-le-feu, mais feraient preuve de fermeté si la sécurité du royaume était engagée. Des arguments auxquels la communauté internationale s’est montrée sensible : les monarchies du Golfe, pourtant rarement alignées en matière de politique internationale, ont en effet apporté un soutien inconditionnel à Rabat.

De son côté, empêtré dans les résultats d’élections nationales controversées, Washington n’a même pas daigné réagir officiellement. Toutefois, il est de notoriété publique, depuis des révélations du Wall Street Journal en 2019, que l’administration américaine est opposée à l’indépendance de ce territoire.

La diplomatie française comme européenne, soucieuse de ne froisser ni l’allié marocain ni l’allié algérien, appellent de leur vœux à une détente entre les différentes parties. Toutefois, Paris a toujours pesé publiquement en faveur de Rabat sur la question du Sahara occidental, et dans son communiqué, l’Europe n’a pas mentionné l’autodétermination des peuples sahaouris et le referendum au Sahara occidental, revendications phares du Polisario. L’ONU, démissionnaire sur le dossier depuis 2004 (Kofi Annan à l’époque avait envisagé mezza voce le retrait de la MINURSO en charge de la mise en place d’un référendum), semble s’accorder avec la communauté internationale et réclame, dans des termes convenus, un retour au statu quo, qui a pour avantage de faire consensus au sein d’instances internationales en désaccord.

Ces appels à l’apaisement s’accordent donc opportunément avec la ligne de Rabat, qui, par sa volonté de consensus, apparaît en phase avec la communauté internationale et l’ONU.

La stabilité, juge de paix au Sahara occidental ?

Les deux stratégies s’opposent donc et les parties s’observent, en chien de faïence. D’un côté, un Polisario en rupture avec la communauté internationale, soucieux d’instrumentaliser les craintes d’instabilité pour avancer ses pions. Une analyse partagée par l’expert américain, Calvin Dark, pour qui « le Polisario se nourrit des conflits, des menaces et de l’instabilité ».

De l’autre, un Maroc qui fédère diplomatiquement ses alliés et les parties prenantes. Les récents gages donnés par Rabat en termes d’ouverture et de stabilisation des frontières, sa lutte opiniâtre contre les trafics illicites, et son combat contre le terrorisme, font du Maroc un allié précieux en Afrique du Nord. Pour l’heure, les réactions diplomatiques laissent penser que le Polisario a misé sur la stratégie perdante.

En faisant le choix du conflit plutôt que de l’apaisement, le mouvement sahraoui a polarisé davantage les deux postures, poussant paradoxalement ses alliés dans les bras d’un Maroc plus mesuré et pacifiste. En revanche, la question des conséquences stratégiques de ces nouvelles tensions reste, à ce stade, irrésolue : Guerguerat sera-t-il un micro-événement au sein d’un conflit enkysté depuis trente ans, ou annonce-t-il le chant du cygne d’un Polisario en panne d’options diplomatiques ?

Crédit photo: Nick Brooks / Flickr – soldats du Polisario, en 2005.

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