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Boris Johnson, orphelin du trumpisme

On annonce déjà la victoire de Joe Biden comme un « nouveau départ » pour les Etats-Unis et pour leur politique internationale. Si Trump s’ingénie encore à mettre des bâtons dans les roues de son successeur, en sabotant la coordination entre ses équipes et l’administration du vainqueur de l’élection présidentielle, élu avec 306 grands électeurs, nul ne peut plus sérieusement contester la victoire du candidat Démocrate. Une mauvaise nouvelle pour les alliés de Trump, ppoussés à une certaine servilité par ses exigences de loyauté absolus.

Si Trump a encore quelques alliés fidèles qui refusent d’admettre que l’empereur est nu – on peut citer le premier ministre hongrois Viktor Orban ainsi que son homologue de Slovénie, pays natal de sa femme force est de constater qu’il n’y a aujourd’hui plus foule pour le soutenir. Dans la plupart des capitales qui avaient affiché leur proximité avec la Maison blanche ces quatre dernières ont (Jérusalem, Brasilia, Ankara ou encore dans un mesure Moscou…), la fébrilité est palpable.

La victoire de Biden annonce un relatif « retour à la normale » dans les affaires internationales, au plus grand soulagement de la plupart des alliées historiques de Washington. A contrario, ceux qui avaient tiré parti des déséquilibres causés par Trump et avaient soutenu cet allié incommode sont aujourd’hui dans un certain embarras. Alors que le vent tourne une question se pose : comment s’adapter à cette nouvelle donne sans donner trop ouvertement l’impression de retourner sa veste ?  

La fin de l’idée de « destinée commune »

La question est particulièrement délicate pour Boris Johnson, embourbé dans les négociations post-Brexit avec Bruxelles. Il sera sans doute le premier à payer le prix de sa « special relationship » avec Trump, n’ayant clairement pas parié sur le cheval Biden. Et pour cause : ce dernier voit d’un mauvais œil une sortie de l’Union européenne sans accord, sans parler d’une violation des engagements pris avec Bruxelles dans l’accord de sortie. Plus largement, l’entourage de Biden voit largement le Brexit comme une erreur historique.

« On ne peut pas accepter que l’Accord du Vendredi Saint, qui a apporté la paix en Irlande du Nord, ne devienne un dommage collatéral du Brexit », écrivait-il après avoir rencontré le chef de la diplomatie britannique Dominic Raab en septembre dernier. « Tout traité commercial entre les États-Unis et le Royaume-Uni doit être corrélé au respect de l’Accord et viser à empêcher le retour d’une frontière dure. »  

De quoi mettre un coup d’arrêt au récit de « destinée commune » bâti par Johnson et Trump dans le sillage du Brexit. Biden« l’Irlandais » (sa grand-mère lui parlait en gaélique quand il était enfant) n’a pas fait de secret autour du fait qu’un accord commercial avec Londres n’était pas du tout sa priorité. On sait de plus que ce dernier prône un retour au multilatéralisme, et sa position vis-à-vis de l’UE sera certainement beaucoup plus favorable qu’un Trump qui voyait tout projet d’union comme un obstacle à sa politique du fait accompli.

Un « message alternatif »

Le positionnement de Biden aux antipodes des engagements, mais aussi des intérêts britanniques immédiats, explique pourquoi Downing Street s’est empressée publier un message pour le féliciter de sa victoire : « Les Etats-Unis sont notre plus important allié et j’ai hâte que nous travaillions ensemble à nos priorités communes, du changement climatique au commerce et à la sécurité ». Une main tendue – ou coup de poignard dans le dos de Trump, selon ses aprtisans – qui a pris de vitesse les pourtant très anti-Trump Angela Merkel, Emmanuel Macron ainsi que les présidents du Conseil et de la Commission européenne. Downing Street comptait ainsi rappeler au nouveau dirigeant que les points de convergence entre les deux nations vont bien au-delà des seules prises de position communs avec Trump.

Et pourtant, dans la précipitation, Londres a commis une bévue qui entache quelque peu la sérénade. En augmentant la luminosité de son communiqué, au-dessus du nom de Joe Biden, on distingue très bien le nom « Trump » et plus loin on peut lire «pour un second mandat…». Un porte-parole de Downing Street a rapidement assuré s’agissait tout au plus d’une « erreur technique », déplorant « que certaines parties d’un message alternatif [soient] restées visibles dans le fond du graphique », avant de continuer, « comme vous pouvez vous en douter, deux communiqués avaient été préparés en avance pour les résultats de cette élection très serrée ».

Même si la défense de Londres est tout à fait justifiée – et tous les services diplomatiques avaient certainement eux-mêmes anticipé les deux résultats de cette élection – la bourde rappelle douloureusement les deux tribunes prévues par Boris Johnson en lendemain du référendum du Brexit – l’une favorable et l’autre défavorable à l’UE – afin de capitaliser sur ce vote quel qu’en soit l’issue. Aussi, l’impact de son soutien quasi immédiat à Biden, censé compenser les collusions avec Trump, en sera certainement amoindri.

Des convergences fortes

Tout n’est pas pour autant sans espoir pour la diplomatie britannique. Il faut d’abord rappeler que les choses ne vont pas changer du tout au tout avec la présidence Biden, « sous l’effet de la présidence de Donald Trump et de son travail de sape, mais aussi de l’émergence de pôles de puissance éclatés là où l’Amérique était encore une hégémonie finissante » estimait ainsi justement Pierre Haski sur France Inter. « Joe Biden n’aura ni le désir, ni surtout les moyens, de réinstaurer cette hégémonie ». Aussi, Washington ne commettra sans doute pas l’erreur d’aliéner (encore davantage) ses alliés les plus proches, dont Londres fait évidemment partie.

 « Il y a encore une relation spéciale entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni, qui porte sur le partage des données de renseignement, les forces spéciales et le nucléaire. Dans ces domaines, les deux pays se font plus confiance qu’aucun autre, en raison de relations de travail toujours très suivies entre les fonctionnaires et les personnels militaires des deux côtés de l’Atlantique », souligne pour sa part Tim Oliver, maître de conférences à l’Institut d’études diplomatiques de l’université Loughborough. Et ce d’autant qu’il existe encore une communauté d’intérêt sur plusieurs dossiers majeurs entre Londres et Washington.

En outre, il est fort à parier que Biden ne gaspillera pas son capital politique sur des questions internationales compte tenu des enjeux majeurs de politique intérieure auxquels il fait face (Covid, endettement, chômage, société profondément divisée…). Une chance pour les autorités britanniques qui, fâchées avec la Chine sur l’épineux dossier hongkongais, doivent travailler avec les Etats-Unis. Et s’il faut anticiper un changement de méthode sous Joe Biden, la relation sino-américaine ne changera pas du tout au tout. Vu de la Maison blanche, la Chine demeure le principal rival, qu’il convient de combattre par tous les moyens. A l’heure où Bruxelles tergiverse, Londres sera un allié de choix.

Le Royaume-Uni, qui accueillera cette année la COP26 à Glasgow, devrait également trouver des positions communes avec Biden sur la question du climat. Mais c’est probablement sur la question de l’OTAN que Londres a sa carte la plus décisive à jouer. « Le tandem Obama-Biden avait toujours considéré que l’Otan était une alliance exemplaire », note Sylvain Kahn, historien-géographe, professeur à Sciences Po Paris. Johnson pourra jouer sur cette vision pour garder un lien fort avec Washington à l’heure où une partie de l’UE, à l’image d’Emmanuel Macron, estime que l’organisation est « en état de mort cérébrale », et qu’il convient pour l’UE renforcer son indépendance stratégique.

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