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De quel pays héritera Joe Biden ?

Le Démocrate Joe Biden a été élu 46eme président avec une avance de plus de 5 millions de voix à la fin des opérations de décompte – même si Donald Trump n’a, à ce stade, pas encore reconnu sa défaite. Le milliardaire se trouvait samedi sur un terrain de golf au moment de l’annonce de la victoire de son adversaire – victoire qui s’est jouée dans les grandes villes, contrastant significativement avec l’Amérique rurale (la Pennsylvanie et la Géorgie en sont des illustrations éloquentes). Malgré les accusations de fraude massive par la Maison Blanche les médias, y compris la chaine conservatrice Fox News, ont largement relayé l’obtention d’une majorité de grands électeurs par Biden.

Si beaucoup ont résumé ce scrutin à un référendum pour ou contre Trump, la réalité est plus complexe. La personnalité pour le moins controversée du 45eme Président des Etats-Unis a joué un rôle important dans la mobilisation au profit de son adversaire, malgré une absence de « raz-de-marée bleu », pourtant annoncé par les sondages. C’est là la première leçon de ce scrutin : la victoire a été beaucoup trop serrée pour être confortable côté Démocrate. Biden a toutefois affiché ses deux priorités : la lutte contre la pandémie, qui a déjà fait plus de 237 000 morts aux Etats-Unis, et la réconciliation d’une Amérique divisée comme jamais.

Quel parti démocrate pour les Etats-Unis ?

Cette réconciliation, notamment raciale, intervient après une campagne marquée par des protestation contre les violences policières et les discriminations des afro-américains, mais aussi des prises de position flirtant ouvertement avec l’extrême droite et les théories du complot relayées par l’alt-right dans le camp Trump. Aussi, l’ancien vice-président de Barack Obama a choisi Kamala Haris – première femme et première noire – à la vice-présidence comme un gage à cette Amérique indignée. Ce faisant, le candidat a, en quelque sorte, donné le change aux mouvements militants qui l’ont porté à la Présidence – en premier lieu, Black Lives Matter, à qui il doit largement sa victoire.

Les militants des droits civiques se sont en effet massivement mobilisés pour inscrire les citoyens américains sur les listes électorales et réintégrer des franges de la population qui s’étaient détournées de la politique. Plus largement, la « gauche sociale semble en tout cas s’être montré plus loyal, plus discipliné qu’en 2016, année où on lui avait imputé une partie de la défaite d’Hillary Clinton face à Donald Trump » notait Julie Gacon ce matin. Leurs actions expliquent d’ailleurs le taux de participation historique lors de ce scrutin. Elles annoncent également le rôle politique croissant que sera amené à occuper la minorité noire dans la politique américaine à compter de ce vote.

A contrario, la position de centriste de Biden, censée rallier davantage d’indécis et d’électeurs Républicains « modérés » n’a pas porté ses fruits, d’où un résultat bien plus serré que ce que les sondages avaient anticipé. Aussi, il est fort à parier que Biden devra quelque peu « gauchiser » sa position afin de ne pas perdre cet électorat dont le parti Démocrate à cruellement besoin pour compenser les déséquilibres électoraux crées par le système des grands électeurs américain. Le grand écart que doit désormais faire Biden rappelle les divisions profondes qui avaient marqué les primaires Démocrates, lors desquelles il avait failli perdre face au très progressiste Bernie Sanders.

La gauche démocrate n’a d’ailleurs pas attendu bien longtemps avant de le rappeler à ses responsabilités. La député, Alexandria Ocasio-Cortez, figure de proue de cette nouvelle génération d’activistes parmi les Démocrates, a accordé une interview au New York Times Samedi, où elle mettait son candidat en garde :  « L’histoire de notre parti tend à montrer que la base est galvanisée par la perspective de l’élection, mais que ces communautés sont rapidement abandonnées après l’élection ». Elle a également annoncé vouloir un « speaker » à la Chambre des représentants qui représente l’évolution du parti : « Je m’engage à ce que le candidat le plus progressiste possible soit nommé à cette place. Si Nancy Pelosi est la candidate la plus progressiste, je la soutiendrais. »

Il faudra toutefois attendra l’annonce de son cabinet avant de voir dans quelle mesure Biden tendra la main à la frange progressiste du parti. Il s’était déjà positionné en faveur d’un renforcement de la sécurité sociale (malgré des atermoiements sur le « medicare for all ») et d’une politique plus verte (avec le « green new deal » et un retour dans l’accord de Paris).

Le début d’une transition difficile

Avec ce scrutin, Donald Trump s’apprête à rejoindre la courte liste des présidents qui ne font qu’un seul mandant : George H. W. Bush (1989-1993), Jimmy Carter (1977-1981), Herbert Hoover (1929-1933) et William Taft (1909-1913). Pour autant, l’ombrageux homme d’affaires n’a pas raccroché les gants. Il revendique toujours la victoire avant l’heure et tente par tous les moyens de jeter le soupçon sur le processus démocratique. Une attitude qui n’est pas une grande surprise : c’est la crise du modèle américain qui a permis à Trump de l’emporter en 2016, et ce alors même qu’il avait nettement perdu le vote populaire.

Jusqu’à présent, ses tentatives n’ont pas été un succès retentissant, à l’image du fiasco qu’a été sa conférence censée lancer sa contre-offensive. Tenue sur le parking d’une entreprise d’aménagement paysagiste, située dans une zone industrielle de Philadelphie, elle était vraisemblablement le résultat d’une bourde de communication entre son avocat personnel, Rudolph Giuliani, son conseiller, Corey Lewandowski. Un nombre croissant de hauts responsables du Grand Old Party se sont en outre progressivement éloignées de sa position au cours des derniers jours. Mais s’il risque bien de finir par lâcher son candidat, le parti devrait garder la maîtrise du Sénat, à moins d’une double défaite conservatrice en Géorgie lors de deux seconds tours disputés, le 5 janvier. Leur chef de fil, Mitch McConnell pourrait alors refuser de confirmer des personnalités trop à gauche.

En outre, « les fondamentaux du « trumpisme » n’ont pas disparu, et ne disparaîtront pas » rappelait l’éditorialiste Pierre Haski. D’après lui, les divisons qui ont porté Trump au pouvoir sont encore bien réelles : crise identitaire des Américains blancs qui se sentent menacés, colère face à une mondialisation génératrice d’inégalités, manque de confiance dans l’establishment… Le président sortant à en effet incarné « la synthèse de ces colères américaines ». Enfin si Trump est perdant, il n’est pas hors-jeu pour autant : il reste 72 jours entre aujourd’hui et l’intronisation de Joe Biden, durant lesquels il pourrait décider de tout faire pour savonner la planche à son successeur.

La question de la grâce présidentielle semble par exemple un point de tension probable. « Bill Clinton, le dernier jour de sa présidence, a émis 176 grâces présidentielles, dont son propre frère » rappelait Anthony Bellanger sur France Inter. Trump, acculé par les dettes et les scandales, pourrait également tenter de se gracier lui-même afin de couvrir sa sortie, alors même que la plupart des Démocrates rêvent de le voir derrière les barreaux pour une vie de faussaire, un mandat chargé de scandales et des accusations de collusion avec des puissances étrangères.  « Donald Trump pourrait démissionner quelques jours avant la fin de son mandat. Mike Pence deviendrait alors président des États-Unis et pourrait alors gracier son prédécesseur en toute légalité » explique Anthony Bellanger. Avec Donald Trump, tout est en effet possible, et la transition promet d’avoir son lot de mauvaises surprises pour une équipe Biden, qui aurait bien tort de baisser la garde trop tôt.

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