Site icon La Revue Internationale

La Chine va-t-elle changer de modèle économique ?

Alors que l’Europe se reconfine, la Chine fait étalage de son succès dans la gestion de la pandémie de Covid-19. Pékin est pressée de faire oublier qu’elle se trouve à l’origine de cette série de crises, et tente d’adapter son modèle, fragilisé par la guerre commerciale avec Washington et les demandes de Bruxelles d’échanges commerciaux plus d’équilibrés. A cette fin, la semaine dernière, les 370 délégués du Comité central du Parti communiste chinois (PCC) ont fixé les grandes orientations du 14e plan quinquennal du pays (2021-2025). Il s’agit d’une étape clé pour lancer le grand bond vers le « statut de nation développée » en 2049, date de célébration du centenaire de la fondation de la République populaire de Chine, que le régime a déjà annoncé comme étant historique.

Derrière la terminologie un peu vague de « modernisation socialiste », la réponse du PCC est avant tout pragmatique : devant une croissance mondiale entravée par la pandémie de COVID-19, le Parti a mis en avant le concept de « circulation duale », nouvelle ligne directrice pour la deuxième économie mondiale. Ce principe s’appuie sur l’autonomie technologique d’une part, et le renforcement de la capacité du pays à défendre ses intérêts d’autre part. Cela passera par une focalisation accentuée sur son marché intérieur afin de soutenir ses efforts de croissance. Aussi, Pékin devra consolider le pouvoir d’achat des chinois, et élargir sa classe moyenne, ce qui nécessitera de finir sa transition de pays manufacturier, dépendant des exportations, vers le statut de puissance technologique à, part entière.

La « circulation duale »

« La Chine développera un marché intérieur fort et établira un nouveau modèle de développement », annonce le Quotidien du peuple, organe de presse du régime. Un positionnement qui renoue avec la vision de Mao Zedong – il affirmait que la Chine ne pouvait « compter que sur ses propres forces ». Un positionnement qui marque également un certain éloignement du projet « One blet one road (les nouvelles routes de la soie), qui reposait très largement sur les interactions avec le reste du monde. A l’époque de la conception de cette stratégie, « la Chine semblait toujours ouverte sur le monde et le multilatéralisme était en vogue », analyse Alicia Garcia Herrero, cheffe économiste Asie chez Natixis. « Cette fois, l’idée est de s’assurer que l’augmentation de la demande intérieure est satisfaite par la production nationale plutôt que par les importations ».

La Chine ne tourne pas pour autant le dos à ses partenaires économiques – elle se souvent trop bien que son repli sur soi lors de la dynastie Qing, au début de l’ère industrielle, a causé don déclin civilisationnel, et plus de 100 ans d’humiliations. Aussi, le pays « laissera les circulations nationales et internationales se renforcer mutuellement », explique le quotidien. Et pour cause : « Le moteur de la croissance domestique à lui seul ne suffira pas », estime Qu Hongbin, analyste chez HSBC. Aussi, Pékin prend soin de ne pas commettre la même erreur que les Etats-Unis, dont le repli (America first) l’a fait perdre en pertinence sur la scène internationale.

Aujourd’hui, la Chine assure à qui veut l’entendre que le protectionnisme commercial aggrave encore la crise. Et ce alors même qu’elle le pratique largement et que tout indique que c’est la fragilité des systèmes d’approvisionnement mondiaux qui a frappé les économies occidentales le plus fort lors du premier confinement et de la congestion des échanges internationaux. De fait, alors même qu’elle se recentre sur son propre marché, elle propose une sorte de « faites ce que je dis, pas ce que je fais » au reste du monde, dont elle a besoin pour maintenir sa croissance – au moins temporairement. Cet équilibre délicat, fait écho à la stratégie de rééquilibrage que Pékin avait décrétée au lendemain de la crise financière de 2008.

La Chine doit désormais faire face à ce que certains planificateurs chinois ont appelé « le dilemme de l’ascension ». Les frictions avec les marchés américain et européen, qui ont assuré sa croissance ces 20 dernières années, la contraignent à faire évoluer sa stratégie économique. « Les autorités chinoises s’y attendaient mais le coronavirus et la guerre avec Donald Trump n’ont fait qu’accélérer le processus, le pilotage de l’économie va devenir plus délicat et il va falloir gérer cette transition » analyse Antoine Bondaz, spécialiste de la géopolitique de la Chine et enseignant à Sciences-Po Paris. Un ajustement « est très important pour la Chine à un moment où l’environnement international se dégrade et ne lui est plus aussi favorable que par le passé », note-t-il.

Plus d’ambition, moins de croissance

Si la vision est là, la tâche ne sera pas pour autant aisée ; les inégalités sociales continuent d’augmenter et les chiffres du chômage sont mauvais. C’est pourquoi, en plus du triomphalisme habituel, XI Jinping dans son discours de clôture appelait le peuple chinois à se tenir prêt à « la lutte », aux « efforts », au « combat ». Les bénéfices d’une croissance ralentie (5% troisième trimestre, 2% sur l’ensemble de l’année) seront plus difficiles à redistribuer, et le pays dispose d’une marge de manœuvre elle aussi réduite.

« Le marché intérieur chinois est l’un des atouts de son économie, avec 1,4 milliard d’habitants et 400 millions de classes moyennes. Néanmoins, plusieurs aspects structurels, surtout d’ordre social, seront clés : essayer d’augmenter la couverture sociale pour accompagner les citoyens dans leurs arbitrages entre épargne et consommation ; améliorer notamment les pensions de retraite, mais aussi la capacité pour les étudiants à financer leurs études », note justement Alisée Pornet, économiste à l’AFD.

A cela il faut ajouter qu’en dépit de progrès impressionnants, la Chine accuse encore un certain retard dans les secteurs de haute technologie, sur lesquels ils comptent capitaliser pour leur croissance future. « L’expansion du commerce et des investissements internationaux est également une nécessité pour la Chine afin de réduire l’important fossé technologique avec les économies développées », rappelle ainsi Qu Hongbin.

« Il y aura de grandes proclamations victorieuses sur le virus, contrairement à l’Europe et les États-Unis, la puissance économique chinoise, la grande pauvreté éradiquée », prévenait Valérie Niquet, spécialiste de la Chine à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), « mais le système chinois est bloqué car on voit par exemple que le géant Huawei a vu fondre ses bénéfices après l’offensive de Donald Trump ». L’Europe n’est pas en reste, avec l’exclusion de Huawei des projets de développement de nombre réseaux 5G.

Aussi le modèle chinois doit bien se réinventer pour redevenir attractif – la pays était un temps considéré comme le « sauveur » de nos économies en crise. On l’a vu, l’engagement écologique en est une piste. Le nationalisme, à l’heure à Washington tire à boulets rouge sur Pékin, est une autre voie, mais elle pourrait bien se montrer contre-productive à l’heure à l’image du pays est clairement écornée. On connait désormais les grands axes de la nouvelle stratégie chinoise, reste à voir comment le pays les mettra en œuvre.

Quitter la version mobile