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L’élection de Joe Biden, une bonne nouvelle pour l’Ukraine ?

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L’Ukraine est le théâtre d’un regain de tensions internes, sur fond d’impossible lutte contre une corruption endémique, comme en témoignent l’émotion suscitée par la rétrogradation d’une haute dirigeante de la banque centrale, Kateryna Rozhkova, ancien pilier du régime de Viktor Ianoukovitch, ou les manifestations dénonçant une récente décision de la Cour constitutionnelle. L’élection de Joe Biden pourrait offrir un soutien de poids au président ukrainien Volodymyr Zelensky dans sa lutte contre les vieux démons et oligarques pro-russes minant l’avenir de son pays.

« L’Ukraine est optimiste quant à l’avenir du partenariat stratégique » avec les Etats-Unis : à l’unisson de la quasi-totalité des chefs d’Etat et de gouvernement de par le monde, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, s’est félicité de la victoire de Joe Biden sur Donald Trump. Et le dirigeant du pays d’Europe de l’est de se lancer, sur son compte Twitter, dans l’énumération des sujets pavant, selon lui, la voie des futures relations diplomatiques entre les deux pays : « sécurité, commerce, investissement, démocratie et lutte contre la corruption ».

Une nouvelle ère pour les relations américano-ukrainiennes ?

L’Ukraine attend désormais, on ne peut plus légitimement, d’être considérée comme un partenaire à part entière des Etats-Unis – et non un simple théâtre de barbouzeries aux relents de guerre froide. Alors que le pays se débat toujours, six ans après les sanglants évènements de la place Maïdan, dans un conflit larvé avec les forces séparatistes pro-russes dans l’est de son territoire, et que sa vie politico-économique reste gangrenée par la corruption – sans parler des dramatiques conséquences de la crise sanitaire, qui l’ont contraint à faire appel au FMI –, la « victoire de Biden devrait être une bonne chose pour l’Ukraine, car il a démontré un réel intérêt pour les réformes (engagées) dans le pays », estime dans les pages Washington Post l’analyste financier Timothy Ash, selon qui l’Ukraine « a désespérément besoin d’un champion pour faire avancer (son) programme de lutte contre la corruption ».

La lutte sans fin contre la corruption

L’élection de Joe Biden tombe à point nommé pour Zelensky qui, hasard du calendrier, fait face à la plus grave crise politique et constitutionnelle depuis qu’il a été élu en avril 2019. Le 30 octobre, le président ukrainien a en effet demandé au parlement de soutenir un projet de loi visant à limoger les juges de la Cour constitutionnelle – et menacé de dissoudre ce même parlement s’il ne le suivait pas. En cause, la suppression par la Cour, trois jours plus tôt, de l’obligation faite aux fonctionnaires et politiciens de déclarer publiquement leurs revenus, une mesure-phare du programme anti-corruption de Volodymyr Zelensky. Inacceptable, pour un président qui a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille.

La réaction du président ukrainien est à la mesure de l’indignation provoquée par la décision de la Cour constitutionnelle dans la société civile. Dès l’annonce de son verdict, des centaines de manifestants ont spontanément envahi les rues de Kiev, se réunissant sous les fenêtres de la Cour et brandissant des pancartes sur lesquelles on pouvait lire des messages tels que « Fuck corruption », « Cour corruptionnelle d’Ukraine » ou « envoyons ces traîtres de juges à Rostov » – une ville russe limitrophe de l’Ukraine. La décision des magistrats ukrainiens a également rencontré la vive opposition d’ONG, comme Transparency International, et de la communauté internationale, dont l’Union européenne et le FMI, ce dernier s’étant fortement impliqué dans l’adoption de législations assainissant le climat des affaires et empêchant, notamment, la reprivatisation des banques nationalisées.

L’affaire Rozhkova, témoin de la difficulté de l’Ukraine à tourner la page Ianoukovitch

C’est dans ce contexte fébrile que l’affaire Rozhkova électrise le débat public ukrainien. La Banque nationale d’Ukraine (NBU) vient en effet de rétrograder l’une de ses principales dirigeantes, Kateryna Rozhkova, soupçonnée après la révélation par la presse d’enregistrements audio de s’être servie de son influence pour permettre à plusieurs banques en faillite de continuer à exercer leurs activités de crédit, en toute illégalité. Parmi ces établissements moribonds, la Platinum Bank, au sein de laquelle Mme Rozhkova a occupé un poste à responsabilité entre 2013 et 2015 grâce auquel la dirigeante aurait accordé de généreux prêts à des entreprises insolvables, réputées proches du clan de l’ancien président, Viktor Ianoukovitch. La Platinum Bank entretenait elle-aussi des liens étroits avec le président déchu Ianoukovitch, les actionnaires et propriétaires de l’établissement, les hommes d’affaires Kaufman et Granovsky, étant des alliés fidèles de l’ex-homme fort de Kiev.

Les conversations dévoilées en novembre 2016 suggèrent que Mme Rozhkova, qui a plus tard reconnu l’authenticité des enregistrements, conseillait la direction de la Platinum Bank sur la meilleure manière de poursuivre ses activités, en dissimulant notamment l’identité de ses propriétaires véritables. Une autre discussion révèle par ailleurs l’intention de la cadre de la banque centrale ukrainienne de falsifier les informations transmises par l’institution au FMI.

Symbole des difficultés à réformer un pays gangrené par la corruption et le népotisme, la rétrogradation de Mme Rozhkova divise profondément la société ukrainienne ainsi que les observateurs financiers et partenaires du pays. La disgrâce de Kateryna Rozhkova était pourtant prévisible et même, dans une certaine mesure, souhaitable. Son maintien à l’un des postes clés de l’administration ukrainienne aurait envoyé un signal désastreux, accréditant la réputation d’un pays irréformable car gangrené de l’intérieur, jusqu’au plus haut sommet – comment imaginer en effet qu’avec une réputation comme la sienne, Kateryna Rozhkova puisse, depuis son poste à la NBU, mettre en œuvre le programme du FMI, dont l’une des priorités est de réduire les fonds consacrés aux banques en faillite ?

L’affaire témoigne des difficultés de l’Ukraine à mettre fin aux pratiques héritées de l’ère Ianoukovitch, et ce même au sein des institutions supposément en charge du contrôle de la vie économique. Le poids et l’influence des « oligarques » dénoncés par le président Zelensky sont toujours très présents en Ukraine, un pays qui reste irréductiblement déchiré, jusque dans sa géographie, entre son passé russe et ses aspirations occidentales. L’arrivée imminente de Joe Biden à la Maison Blanche fera-t-elle pencher la balance ?

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