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Quel bilan pour les années Merkel ?

Une page d’histoire se tourne. Avec les élections fédérales prévues le 26 septembre prochain Angela Merkel quittera le pouvoir après 16 ans à la tête de l’Allemagne. Prémices de cette transition, ce weekend la CDU, le parti chrétien démocrate, organisait son congrès (virtuel) pour désigner son nouveau président. Une perspective déroutante tant, à force de longévité, Angela Merkel faisait en quelque sorte parti du décor politique, si bien qu’il sera difficile d’imaginer une Union européenne sans elle. Aussi, cet évènement posait une question : comment prendre la suite de ce colosse de la politique, une femme politique qui a marqué son pays et l’UE jusque dans son ADN ?

Malgré les orages et les crises, la sortie de la Chancelière se fait par la grande porte : son parti est encore en tête des sondages, avec 36% des intentions de vote, et elle bénéficie à titre personnel de plus de 70% d’opinions favorables. « Lui succéder semble tellement compliqué qu’il existe même des voix dans son parti pour murmurer qu’une cure d’opposition serait presque plus simple », s’amusait à ce propos l’éditorialiste Jean-Marc Four. En outre, le nouveau dirigeant du parti ne sera pas forcément le candidat chrétien-démocrate au poste de chancelier fédéral. Pour autant, cette victoire lui confère une avance sensible, et le vote permet de prendre la température chez les conservateurs.

C’est finalement Armin Laschet, ministre-président du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, qui s’est imposé samedi avec 52,8 % des voix. Ce père de famille catholique né en ex-Allemagne de l’Ouest semble sur le papier être tout l’inverse de Merkel, protestante sans enfant ayant grandi en Allemagne de l’Est. Pourtant il se place résolument dans son sillage, avec sa ligne pro-européenne de centre droit – à l’heure où beaucoup à droite préconisent un durcissement afin de contrer la montée de l’extrême droite. Il dispose du même caractère tempéré, aussi, sauf imprévu majeur, il ne faut pas s’attendre à une révolution majeure dans la ligne politique de la droite allemande pour les années à venir.

Les deux tranchants de la modération

Angela Merkel aura marqué la politique allemande et européenne par son pragmatisme et sa pondération. Une réserve qui lui a aussi valu d’être critiquée pour son manque de vision – elle réagissait plutôt qu’elle ne pilotait – ou ses « pieds froids » quant aux grandes réformes de l’UE que beaucoup estiment nécessaires afin d’assurer sa pérennité devant des enjeux diplomatiques complexes et la montée des populismes nationalistes. C’est d’ailleurs ce dernier phénomène qui aura coûté la victoire à sa dauphine Annegret Kramp Karranbauer. Cette dernière n’aura pas su s’imposer comme la candidate naturelle, notamment du fait de sa gestion très maladroite des velléités de l’aile droite du parti de s’allier avec l’AFD (extrême droite) en Thuringe.

Le bilan des 16 années Merkel est aussi ponctuellement marqué par des polémiques, comme la gestion controversée de la crise des dettes souveraines et le sort peu enviable réservé à Athènes (la dette nationale grecque est restée la même alors que son économie s’est réduite de 25%, le revenu national brut a baissé d’un tiers et la pauvreté touche désormais un habitant sur trois). Son intransigeance lui a alors valu d’être critiquée pour ses positions conservatrices – pour une période exceptionnelle certains demandaient une politique exceptionnelle – voire léonines. La Chancelière avait alors été accusée de systématiquement préférer les intérêts industriels et financiers allemands aux intérêts européens. « La crise de la zone euro, ça a été trois ans passés à retenir Angela Merkel par la culotte pour l’empêcher de sauter par-dessus bord du navire euro », affirmait en 2012, un conseiller de Nicolas Sarkozy.

Outre le sexisme assez inélégant de la formule, on retiendra que l’europhilie de l’Allemande était loin d’être une évidence. Pourtant, avec sa réponse ambitieuse à la crise des réfugiés de 2015, elle a prouvé sur le tard qu’elle pouvait également prendre des risques politiques et mener une politique « du cœur ». Il en va de même pour son soutien total, aux côté d Paris, à un plan de relance européen ambitieux pour faire face à la crise économique causée par la pandémie de Covid-19. « Merkel a fait un véritable saut », analyse à ce propos l’historien néerlandais Luuk Van Middelaar. Ce faisant elle s’est avérée une excellente gestionnaire de crise malgré une absence caractéristique de « réflexe européen ». Cette fois, elle pas attendu d’être « au bord du précipice pour agir » souligne un diplomate proche du dossier.

Quelles perspectives pour la politique internationale allemande ?

Cette ouverture sur le tard vient de la compréhension que l’intérêt allemand c’est aussi l’intérêt européen. « On peut le comprendre très bien lorsqu’on a en mémoire les intérêts qu’a l’Allemagne au maintien d’une Europe qui fonctionne. Non seulement des intérêts commerciaux, plus de 60 % de son commerce est fait avec le marché unique – les Allemands ont besoin de clients prospères – mais aussi des « effets retard » que peuvent avoir en Allemagne même et dans les démocraties en Europe, à la fois le départ des Britanniques, et les effets politiques, les probables succès de partis populistes s’il y a une dégringolade des économies », note ainsi Hélène Miard-Delacroix, professeure d’histoire et de civilisation de l’Allemagne contemporaine à Sorbonne Université.

Il ne fait pas de doute qu’Armin Laschet, notoirement francophile, soutienne cette vision qu’il n’a eu de cesse de soutenir. Pour autant, la ligne politique allemande sera déterminée avec le vote de Septembre, et l’alliance de gouvernement que choisira le vainqueur. « La droite allemande est aujourd’hui largement en tête dans les sondages. Si elle le reste, se posera la question du besoin, ou non, d’une coalition pour gouverner, et celle du périmètre de celle-ci. Poursuite de la grande coalition avec une social-démocratie en crise ? Première alliance avec les Verts au niveau national ? Gouvernement avec les libéraux allemands, en perte de vitesse et qui se sont éloignés de leurs valeurs fondatrices, européennes et humanistes ? », analyse justement l’ancien ministre Matthias Fekl.

Seule certitude à ce stade, quel que soit le vainqueur, il y aura peu d’avancées sur la question de l’autonomie stratégique européenne, encore taboue outre-Rhin. Les récents accords signés avec Pékin ont montré une volonté relative d’autonomie par rapport à Washington – et peuvent largement être vus comme une réponse tardive à la politique de Donald Trump. Mais la victoire rassurante de Joe Biden devrait donner de l’eau au moulin des partisans d’un alignement stratégique avec les Etats-Unis. Il ne faut pour autant pas se faire d’illusion : la priorité américaine se situe aujourd’hui nettement dans le Pacifique, et à ce titre l’UE ne peut faire l’impasse sur une politique plus unie face à la multiplication des points de tension, que ce soit dans son voisinage direct (Ukraine, Biélorussie, Turquie, etc.) que sur les grandes dossiers internationaux (guerres commerciales, changement climatique…).

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