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L’Asie du Sud-est, futur théâtre de tensions

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La région du Sud-est asiatique est le théâtre de tensions croissantes entre les pays qui la composent, sur fond de rivalité larvée entre une Chine aux velléités expansionnistes et des États-Unis dont la présence et la prééminence dans cette partie du monde sont remises en cause.

La marche du monde n’aura pas offert de répit à un Joe Biden fraichement installé aux commandes de la Maison-Blanche et de l’autoproclamé « monde libre ». Quelques jours seulement après son investiture, le 46e président des États-Unis a ainsi annoncé un premier train de sanctions américaines à l’encontre de la junte militaire à l’origine du renversement, en Birmanie, du gouvernement civil d’Aung San Suu Kyi. « J’ai approuvé un décret nous permettant de sanctionner immédiatement les responsables militaires qui ont organisé ce coup d’État, leurs intérêts financiers ainsi que leurs familles proches », a déclaré Joe Biden le mercredi 10 février, exigeant la libération « immédiate » de celle que l’on surnomme parfois la « dame de Rangoon ».

Un courroux résonant avec les condamnations unanimes du putsch militaire par la communauté internationale, et qui n’en contraste que davantage avec l’apparente placidité avec laquelle Pékin a commenté l’évènement. La presse officielle chinoise a ainsi qualifié le coup d’État et l’arrestation d’Aung San Suu Kyi d’ « important remaniement ministériel » (sic) se contentant d’ajuster « la structure déséquilibrée du pouvoir » en Birmanie. Ne reculant devant aucune exagération, les médias inféodés au Parti communiste chinois ont même été jusqu’à suggérer que les officiers de la junte birmane avaient pu trouver matière à inspiration dans les émeutiers américains ayant, quelques semaines auparavant, envahi sous les encouragements de Donald Trump le Capitole de Washington. Dans la droite ligne de son opposition traditionnelle aux ingérences étrangères et sanctions internationales, Pékin a, enfin, encouragé la communauté internationale à ne pas « compliquer davantage la situation en Birmanie ». Circulez, il n’y a rien à voir, en somme.

L’Asie du Sud-est, l’une des régions les plus conflictogènes au monde

Aucune envolée pacifiste à déceler dans les appels au calme de Pékin, cependant. La Birmanie fait en effet figure de véritable pièce maîtresse du projet de nouvelles « routes de la soie » chinoises, reliant l’Asie au vieux continent, et le pays relève, à ce titre, d’un intérêt stratégique pour le régime de Xi Jinping. Le grand écart séparant les réactions chinoises et américaines sur les troubles à l’œuvre au Myanmar représente également la dernière illustration en date des tensions croissantes entre les deux superpuissances dans la région du Sud-est asiatique. Impensable il y a seulement quelques années de cela, la perspective d’un conflit ouvert entre la Chine et les États-Unis est de plus en plus ouvertement évoquée par les observateurs de la vie diplomatique et redoutée par certains dirigeants politiques eux-mêmes. Ainsi du Premier ministre australien, Scott Morrison, qui ne fait plus mystère de ses craintes de voir s’opposer dans la région Asie-Pacifique les deux plus importantes armées au monde.

Au-delà de la guerre économique faisant depuis plusieurs années rage entre Pékin et Washington, les tensions se cristallisent désormais autour de la mer de Chine méridionale, une zone maritime que les autorités chinoises revendiquent, depuis les années 2010, comme leur précarré militaire et commercial – des prétentions territoriales contestées par les pays environnants, comme les Philippines, le Vietnam ou la Malaisie. L’escalade régionale se manifeste également dans les relations sino-vietnamiennes : Hanoi, traditionnellement allié de Washington, a ainsi dû renoncer à deux importants projets d’exploration pétrolière au large de Vung Tao, une zone que Pékin considère appartenir à ses eaux territoriales. En réaction à ces velléités expansionnistes, de grandes manifestations anti-chinoises ont eu lieu au Vietnam, et la marine vietnamienne s’est dotée de nouveaux sous-marins russes – au risque de froisser l’Oncle Sam.

Quand les Lai Dai Han ravivent les tensions entre le Vietnam et la Corée du Sud

Au Vietnam toujours, ce sont les blessures de la guerre qui ont meurtri le pays à la fin du XXe siècle qui ravivent aujourd’hui les tensions avec la Corée voisine. Au cours du conflit, de nombreux soldats sud-coréens, parmi les centaines de milliers que Séoul avait dépêchés sur place en appui des forces américaines, se sont rendus coupables de viols de masse, perpétrés sur des milliers de filles et jeunes femmes vietnamiennes. De ces « noces barbares », comme les qualifie dans une tribune l’ancien ambassadeur français Jean Lévy, sont nés des milliers d’enfants qui aujourd’hui encore sont victimes d’exclusion sociale et économique dans leur propre pays : les « Lai Dai Han ». Un sujet épineux, qui mêle mémoire et rapports de forces diplomatiques. Car en dépit des preuves accablantes et des demandes répétées des quelques centaines de survivantes de ces horreurs, la Corée du Sud refuse obstinément de reconnaître sa responsabilité dans ces viols de guerre et des Lai Dai Han. Alors qu’Hanoi et Séoul partagent des intérêts communs économiques (de nombreuses entreprises coréennes sous-traitant au Vietnam) et stratégiques (contenir l’influence chinoise dans la région), ce dossier des Lai Dai Han obstrue et paralyse tout rapprochement entre les deux pays.

Un motif de tensions régionales supplémentaire, quand les questions mémorielles viennent se superposer aux conflits politiques et aux rivalités économiques. Hier comme aujourd’hui, l’Asie du Sud-est demeure donc une poudrière n’attendant, hélas, qu’une étincelle de trop pour s’enflammer.

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