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Le Conseil de l’Europe affaibli par ses contradictions internes

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L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, l’un des organes statutaires de l’institution fondée le 5 mai 1949, a lancé, à la fin du mois de janvier, une audition parlementaire pour faire la lumière sur l’empoisonnement de l’opposant russe Alexey Navalny, dont le traitement a largement ému au sein de l’Union européenne. Un processus nécessaire, mais qui risque de rester sans effet, tant le Conseil de l’Europe a dû adapter ses principes fondateurs pour accroître son influence en accueillant en son sein plusieurs pays autoritaires, dont les atteintes aux principes démocratiques et aux droits de l’Homme sont aujourd’hui largement documentées.

Aux origines, de la défense des droits humains à l’intégration de pays autoritaires

Le Conseil de l’Europe portait, dès sa création, l’objectif ambitieux d’unir les États européens autour de valeurs communes et d’un texte de référence : la Convention européenne des droits de l’Homme. Principes fondateurs auxquels le Conseil de l’Europe s’est très régulièrement heurté, comme en 1996, avec l’adhésion spectaculaire de la Russie. Une décision contestée qui avait alors permis à l’institution de gagner 150 nouveaux millions d’habitants et d’agrandir son espace d’influence de 17 millions de km2. Mais cette intégration, accordée après plusieurs années d’atermoiements dans un contexte postsoviétique tendu, avait interrogé sur la capacité du Conseil de l’Europe à faire respecter ses valeurs. En effet, depuis sa création, l’intégration d’un pays au sein du Conseil de l’Europe est conditionnée au respect des droits de l’Homme, à la primauté du droit, mais aussi à la garantie d’institutions démocratiques.

La Russie n’a pas été le seul exemple d’intégration douteuse d’un pays autoritaire au sein du Conseil de l’Europe. L’Azerbaïdjan, par exemple, est classé à la 146e place de l’Index des démocraties, à des niveaux comparables à Cuba ou au Soudan. Amnesty International dénonce des atteintes récurrentes la liberté d’expression, le caractère « endémique » de la torture et des mauvais traitements ou encore le harcèlement dont feraient l’objet les avocats et journalistes. Des accusations, auxquelles n’échappent pas la Turquie depuis l’avènement d’Erdogan et des politiques répressives menées contre les Kurdes ou, dans une moindre mesure, la Moldavie ou l’Albanie, qui ne brillent pas non plus pour leur respect de la démocratie à l’échelle internationale. Des pays qui, bien souvent, ne se gênent pas pour aller totalement à l’encontre de la Convention européenne des droits de l’Homme, qu’ils ont pourtant signés et ratifiés.

Une institution au cœur de complexes jeux d’influence

Si la réputation du Conseil de l’Europe est aujourd’hui amoindrie, c’est parce qu’il a été au cœur de plusieurs scandales. Entre 2012 et 2014, l’Azerbaïdjan a dépensé plusieurs dizaines de millions d’euros dans ce qu’il est aujourd’hui communément nommé la diplomatie du caviar. Une stratégie d’influence destinée à conquérir l’amitié d’élus européens, notamment Français, pour redorer l’image du pays à l’étranger et rendre plus acceptable sa politique intérieure. Invitations à des évènements sportifs et culturels à Bakou, distribution de boites de caviar ou encore investissements dans les circonscriptions de certains élus ont été au cœur de la stratégie d’influence de l’Azerbaïdjan. Dont la révélation au grand public a fait chuter certains élus européens. Comme par exemple l’Espagnol Pedro Agramunt, dont le rôle clé dans l’adoption de décisions favorables au régime de Bakou et les liens avérés avec le pays, ont fait l’objet de soupçons. Comme, aussi, les Allemands Eduard Lintner, ancien cadre de la CSU ou encore Karin Strenz, députée de la CDU, épinglés pour avoir touché des sommes d’argents de sociétés écrans plus ou moins liées à l’Azerbaïdjan.

En France, cette diplomatie du caviar a pu se concrétiser par le truchement de l’Association des amis de l’Azerbaïdjan, dont le conseil d’administration pouvait se targuer de compter en son sein des figures politiques aussi influentes que Rachida Dati, Thiery Mariani ou encore Jean-Marie Bockel.

En 2017, la révélation d’un vaste système de corruption de 2,9 milliards de dollars, permis par un système complexe de sociétés écrans, n’ont pas du tout fragilisé la place de l’Azerbaïdjan au sein du Conseil de l’Europe. Entre 2012 et 2014, alors que la diplomatie du caviar battait son plein, la divulgation de documents bancaires a révélé l’existence de ce système dont les premiers récipiendaires furent les élites azerbaïdjanaises. Une enquête de l’ORCPP a ainsi révélé que plusieurs cadres dirigeants du pays étaient impliqués dans ce réseau de blanchiment dont, par exemple, Ali Nagiyev alors chargé de la lutte contre la corruption en Azerbaïdjan. Vaste tâche dans un pays qui, selon Transparency International, est classé à la 126e place à l’indice de perception de la corruption. Pourtant, selon l’OCCRP, Ali Nagiyev aurait lui-même, ainsi que ses enfants, reçu plus de 350 000 euros de ce vaste système de blanchiment. De même, 1,25 million de dollars aurait été transféré vers l’une des sociétés d’investissements immobilier contrôlée par ses fils et domiciliée à Prague.

« Alors que la corruption a paralysé l’éducation et le système de santé, la famille au pouvoir et ses affidés s’enrichissent aux dépens des Azerbaïdjanais » dénonçait, en septembre 2017, Khadija Ismaïlova, journaliste azerbaïdjanaise dans le Monde. Peu étonnant, dans ce contexte, qu’Ali Nagiyev ait pu être nommé chef du service de sécurité de l’État d’Azerbaïdjan et nommé lieutenant-général, plus haut grade militaire du pays.

Malgré les scandales et les atteintes aux droits de l’Homme, les pays restent dans le Conseil

En 2019, la Russie a fait son grand retour au sein du Conseil de l’Europe, alors même que le pays avait été exclu depuis l’annexion de la Crimée en 2014, actant de facto le résultat d’un processus de conquête territoriale agressif fondamentalement contraire au droit international. Un renoncement qui a intrigué plusieurs élus polonais, ukrainiens, baltes ou encore, comme David Bakradze, géorgiens, qui se sont interrogés sur les principes de l’institution « Si cette organisation a pour rôle de défendre les droits de l’homme, les valeurs et la démocratie, je ne vois pas une seule raison pourquoi nous devrions prendre la décision de réintégrer la Russie à l’assemblée », avait alors plaidé le Géorgien David Bakradze. En effet, aujourd’hui encore, la Crimée est toujours illégalement occupée par la Russie, malgré la mise en œuvre d’un référendum fantoche en 2014. La Russie n’a, non plus, jamais cessé d’entretenir financièrement et opérationnellement les mouvements séparatistes du Donbass, région dans laquelle le conflit meurtrier qui déchire cette région des confins de l’Union européenne n’est pas encore apaisé.

Plus récemment, le Conseil de l’Europe a témoigné de son incapacité à faire respecter les principaux fondamentaux des droits de l’Homme pendant le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan au Haut-Karabagh, malgré des appels récurrents de sa Secrétaire générale. Inaudibles aussi les appels de la Cour européenne des droits de l’homme, à libérer le leader pro-kurde Sehalattin Demirtas, toujours incarcéré depuis 2016 par la Turquie.

Les défenseurs de l’intégration des pays « autoritaires » au sein du Conseil de l’Europe arguent souvent qu’elle permet aux opposants de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme et ainsi de contourner les juridictions nationales. La Russie est le pays le plus condamné par la CEDH, avec près de 200 arrêts et 180 condamnations. Ce qui n’a pas, pour autant, modifier un tant soit peu sa politique en matière de respect des droits humains.

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