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À Londres, l’influence trouble des oligarques russes

Londongrad - La Revue InternationaleLondongrad - La Revue Internationale

Ils s’appellent Boris Berezovki, Roman Abramovitch ou encore Farkhad Akhmedov. Tous ont pour point commun d’avoir, un moment ou un autre, appartenu à la petite famille des oligarques russes expatriés dans la capitale britannique, désormais affublée du sobriquet de Londongrad. Avec l’assentiment avoué de leur pays d’accueil, ils s’y sont installés par dizaines, profitant d’un régime fiscal avantageux, d’une armada de juristes et d’avocats de très haut niveau et d’autorités peu regardantes sur l’origine de leur fortune. Sans compter aussi, les boutiques de luxe très british qui émaillent les quartiers chics de Londres. 

Pour attirer les oligarques, le grand jeu de séduction de Londres

La Grande-Bretagne n’a jamais lésiné pour attirer les oligarques russes. Londres a en effet multiplié les stands dans les foires commerciales moscovites, fréquentées par le nec plus ultra des élites russes, ou encore acheté des pages de publicité dans des magazines haut-de-gamme. Mission réussie : « Londres a la plus grande population de milliardaires russes en dehors de Moscou », explique Richard Gray, porte-parole d’Harvey Nichols, l’une des plus fameuses marques de luxe britannique. Surtout, Londres a mis très tôt en œuvre un cadre réglementaire ultra-permissif. Un golden visa a, en 2008, été proposé aux grandes fortunes étrangères. Trop tentant pour les oligarques de l’Est, qui s’y sont engouffrés par centaines.

À la chute de l’URSS, alors que les restes de l’empire soviétique subissaient un chaos politique et économique destructeur, les grandes fortunes russes ont souhaité placer leurs actifs à l’ouest, afin de les sécuriser. Pourquoi la Grande-Bretagne ? La France, son charme et son art de vivre, ne manquent pourtant pas d’atouts pour des oligarques qui possèdent aussi de nombreuses propriétés sur la Côte d’Azur. Mais, pour ces grandes fortunes allergiques aux taxes et impôts et soucieuses de préserver l’origine de leur argent, le climat fiscal français est plus anxiogène. « Les inspecteurs du fisc français sont pires que les bandits russes » s’amuse un homme d’affaires russe qui explique que « la France (leur) demande de payer des impôts sur toute (leur) fortune, ce qui n’est pas le cas (à Londres) ». Londongrad n’a pas de couleur politique. Opposants comme fidèles de Vladimir Poutine s’y retrouvent dans une guerre froide qui, ponctuellement, prend une tournure meurtrière. À tel point que la capitale anglaise semble parfois devenir une extraterritorialité du FSB, comme en témoigne l’empoisonnement fatal attribué aux services de renseignement russes du lanceur d’alerte Alexandre Litvinenko en 2006.

On y retrouve aussi les traditionnelles manœuvres d’influence imputées à la Russie, soupçonnée d’avoir interféré dans les élections législatives en 2016 et, deux ans auparavant, dans le référendum relatif à l’indépendance écossaise. Et de manière beaucoup plus fine que les bots qui pullulent sur les réseaux sociaux. Les oligarques auraient en effet infiltré l’intelligentsia britannique, tissant un réseau d’ampleur auprès de diplomates et de parlementaires. « La menace la plus importante faite aux institutions du Royaume-Uni », résume une source proche du dossier citée par CNN.

Londongrad : des règlements de compte aux affaires judiciaires

Les oligarques russes amènent avec eux leurs affres judiciaires. En 2011, la Haute Cour de Londres a dû traiter le cas du procès intenté par Boris Berezovki, ancien proche du Kremlin reconverti en opposant, à son ancien associé Roman Abramovitch, le tumultueux patron du club de foot Chelsea, qu’il a contribué à amener sur le toit de l’Europe. Un dossier complexe, où se mêlent une multitude de sociétés-écrans, de yachts, de propriétés en France et de gangsters venus des républiques périphériques de la Russie. Boris Berezosvki sera finalement débouté et connaîtra un destin funeste. Retrouvé mort le 23 mars 2013, les autorités britanniques retiendront la thèse du suicide, même si des doutes persistent encore.

Londres a aussi assisté à la saga judiciaire du « divorce du siècle », impliquant Farkhad Akhmedov, son ex-femme Tatiana Akhmedova et leur fils, Temur Akhmedov. Si la scène se passe à Londres, c’est parce que Tatiana Akhmedova y a longuement habité. Après 20 ans de mariage, Farkhad Akhmedov est supposé céder à son ancienne femme, de qui il a divorcé en 2015, 41,5 % de sa fortune, estimée selon Forbes, à 1,4 milliard d’euros en mars 2008. Mais l’oligarque russe, d’origine azérie, ne reconnaît pas le jugement de la Haute Cour de Justice de Londres qui l’y oblige et aurait fait en sorte de faire disparaître sa fortune des radars. Pour ce proche de Poutine, pas question de lâcher un rouble à son ex-femme, ce qui reviendrait à violer les décisions de justice britannique qu’il refuse de reconnaître.

Un véritable défi pour les enquêteurs britanniques. Sachant qu’il serait aussi aidé par son fils, Temus Akhmedov, qui l’aurait aidé à cacher une grande partie de ses avoirs. Notamment en refusant de fournir aux avocats des documents et ordinateurs qui auraient pu les aider dans l’affaire et en dissimulant une partie des actifs de son père. Il fuit, désormais, les procès en se réfugiant à Dubai et Moscou. C’est désormais à Dubaï, où son yacht, le Luna, est immobilisé, que Farkhad Akhmedov poursuit son combat judiciaire, se faisant même passer pour un pieux musulman afin d’obtenir les faveurs du tribunal islamique, après avoir été débouté par une cour commerciale.

D’autres grandes affaires de divorces entre grandes fortunes russes se jouent à Londres. Comme par exemple le cas de l’ancien propriétaire des épiceries Hédiard, Sergueï Pougatchev et de son ancienne compagne, Alexandra Tolstoï, descendante de la légende de la littérature russe. Là encore, la décision d’un tribunal russe, qui a ordonné à Sergueï Pougatchev de verser une rente à son ancienne femme, n’a pour l’instant aucun effet sur lui.

Brexit : haro sur les grandes fortunes russes ?

Mais le Brexit semble refroidir les ardeurs des oligarques russes, qui s’inquiètent des conséquences à court-terme. D’autant que, depuis l’affaire Sergueï et Ioulia Skripal, qui a vu deux supposés agents doubles se faire empoisonner à Londres par le FSB, les relations entre les deux pays se sont tendues, avec des renvois mutuels de diplomates. Depuis 2017, le Royaume-Uni a aussi tenté de muscler son cadre réglementaire, en mettant en place un mécanisme d’Unexplained Wealth Order, qui contraint les personnes visées à révéler les origines de leur fortune. Un véritable tremblement de terre pour la communauté russe de Londres, peu transparente sur ce sujet.

Le statut de « résident non domicilié » a aussi été retoqué en mars 2018, rendant imposable les revenus offshore, qui ne l’étaient pas auparavant. De plus, après les associations anticorruptions, c’est désormais au tour du comité parlementaire de renseignement (ISC), de se saisir de la question. Le rapport dénonce notamment la complaisance des élites britanniques envers les oligarques russes et les supposés liens de proximité entre elles avec, toujours en ligne de mire, des montagnes d’argent transitant par un réseau de sociétés-écrans, dont les origines sont toujours douteuses. Bientôt la fin de partie pour les oligarques russes ?

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