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Trump : un chef de file indéboulonnable et encombrant

Donald Trump a survécu à une nouvelle tentative de destitution – cette fois pour avoir encouragé l’attaque du Capitole le 6 janvier dernier.

Il fallait le soutien 17 sénateurs républicains pour atteindre la majorité qualifiée des deux-tiers et faire condamner l’ancien Président des Etats-Unis dans la procédure de destitution lancée à son encontre pour avoir encouragé l’attaque du Capitole le 6 janvier dernier. Au final seuls sept ont décidé de rompre les rangs samedi, et de reconnaitre sa culpabilité.

Ce vote marque la fin sans surprise d’un procès historique, malgré la prestation catastrophique de ses deux avocats, recrutés en dernière minute après la démission de son équipe légale. 45 sénateurs républicains avaient en effet indiqué qu’ils considéraient la procédure comme anticonstitutionnelle, car elle visait un président qui n’était plus en exercice. Trump devient ainsi le seul Président de l’histoire des Etats-Unis à faire l’objet de deux procédures de destitution, mais également la première fois qu’un ancien président était sur le banc des accusés et que les jurés étaient aussi les victimes.

Lors du procès le principal intéressé, qui nous a habitués à tout commenter de tweets incendiaires – tout, même les relations amoureuses de vedettes hollywoodiennes – brillait par son absence. Reclus dans sa résidence à Mar-a-Lago, en Floride, il aurait été encouragé par son entourage à garder le silence. Plus largement, il a refusé de prendre la parole en tant que témoin. « Il n’a rien à gagner à y aller », soulignait Marie-Cécile Naves, politologue à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). « Tout d’abord, s’il y allait, il devrait faire des déclarations sous serment. Or, il ment perpétuellement. Et puis, il est presque assuré d’avoir le soutien des sénateurs républicains. »

Fracture profonde chez les Républicains

Le résultat de ce vote, bien qu’insuffisant pour faire condamner Trump, expose toutefois les fractures du Grand Old Party. Il s’agit en effet du plus grand nombre de membres du parti du président votant pour son incrimination de l’histoire américaine. Un chiffre qui s’explique notamment par le calendrier politique : deux des sept ont annoncé qu’ils ne se représenteraient pas en 2022, alors trois autres ont été réélus en 2020 pour six ans, les mettant à l’abri de la vindicte immédiate de ses supporters les plus acharnés. Les deux autres jouaient gros. Aussi, beaucoup s’accordent à dire que le résultat aurait été tout autre si les élus républicains avaient pu s’exprimer à bulletins secrets.

En effet, l’accusation elle n’est que très peu contestée et beaucoup de ceux qui ont voté l’acquittement du président ont tout de même dénoncé ses agissements. Mitch McConnell, chef de file des conservateurs au Sénat a ainsi estimé qu’« Il n’y a aucun doute, aucun, que le président Trump est, dans les faits et moralement, responsable d’avoir provoqué les événements de cette journée ». Il a toutefois refusé de voter pour sa destitution – et d’appeler sa formation à le suivre – au motif que Trump était un ancien président, et de ce fait ne pouvait pas être jugé par le Sénat. Il a toutefois ajouté que la justice ordinaire avait encore son mot à dire.

Cette position délicate, témoignage s’il le fallait encore de la faillite morale du parti. Elle montre à quel point les élus républicains ne souhaitent pas s’aliéner une base encore très favorable au Président sortant. D’après un récent sondage, il conserve ainsi le soutien de la majorité de ses supporters pour 2024, alors que deux-tiers des Républicains se disent prêts à considérer rejoindre un nouveau parti politique s’il le créait. Le Los Angeles Times résume la situation comme il suit : « une guerre va certainement continuer à diviser les républicains pour des mois, voire des années, en tant que parti qui s’est largement défini par sa loyauté envers un homme qui cherche à déterminer son identité maintenant qu’il n’est plus au pouvoir ».  

Une remontée difficile

De fait, l’ombre de son possible retour en politique pèse encore autant sur le GOP qu’elle le pénalise en l’empêchant d’aller de l’avant. « Nous reviendrons d’une manière ou d’une autre », avait-il promis avant de quitter définitivement la Maison-Blanche. « Dans les mois qui viennent, j’aurai beaucoup de choses à partager avec vous et suis impatient de continuer notre incroyable aventure pour la grandeur de l’Amérique » a-t-il confirmé dans un communiqué à l’annonce de son acquittement. La sortie de l’ancien Président a toutefois été sensiblement moins remarquée que ses habituels tweets – aussi paie-t-il le prix de son exclusion du réseau social qui l’accuse d’avoir enfreint ses règles.

Pour autant, Trump manœuvre en coulisses pour retrouver son public. Il a ainsi été révélé qu’il négociait un deal avec les dirigeants du réseau social favori de l’alt-right américaine : Parler. « Ces derniers lui proposaient 40% des parts du site ; en échange, Trump s’engageait à y publier ses messages en exclusivité et à attendre quatre heures avant de les rediffuser sur Twitter ou sur Facebook » révèle le site BuzzFeed. Le processus a toutefois été temporairement interrompu, Trump étant encore en exercice au moment des pourparlers – ce qui est parfaitement illégal. En outre, son retour de fortune poussera peut-être le réseau social à réfléchir à deux fois avant de s’engager avec lui.

Pour autant, cela atteste de sa volonté de rester présent sur la scène politique américaine. « Il a un ego surdimensionné et il n’accepte pas la défaite. Dans ce cas, soit il la réécrit, soit il l’annule d’une manière ou d’une autre », prévient Alexis Pichard, chercheur en civilisation américaine à l’université Paris Nanterre et auteur du livre Trump et les médias, l’illusion d’une guerre. « Pour lui, la manière de compenser cette défaite serait de revenir en 2024 et de battre Joe Biden. » Un pari risqué malgré le soutien apparemment inébranlable de la base républicaine, Trump s’étant aliéné une bonne partie des « modérés » de son parti et des indépendants qui ont fait sa victoire en 2017.

Le retour des affaires

Pour l’heure, il est fort à parier que l’ancien Président soit occupé par le sauvetage économique de la Trump Organization, qu’il doit « maintenir à flot, car il fait face à une baisse de revenus en raison de la pandémie et d’une image ternie », analyse la BBC. Sa marque est devenue « toxique » résume pour sa part Tim Calkins, professeur de marketing à la Kellogg School of Management. En atteste la vague de boycott d’entreprises et de municipalités qui a frappé son empire dans le sillage de l’attaque du Capitole et qui s’est accentuée avec la multiplication des épées de Damoclès judiciaires qui continuent de le menacer.

Légalement, Trump n’est en effet pas sorti d’affaire. C’est désormais avec la justice ordinaire qu’il devrait avoir maille à partir.  L’ancien Président fait en effet face à une kyrielle d’affaires pour fraude fiscale, conflit d’intérêts, violations des règles de financement des campagnes électorales, pressions politiques, obstruction, agressions sexuelles, entre autres choses. La plus pressante : une enquête pour de potentielles violations des lois électorales ouverte par l’Etat de Géorgie après la révélation d’un appel d’intimidation au secrétaire local pour l’inciter à « trouver » les 12 000 voix manquantes pour remporter l’Etat lors de la présidentielle.

L’enquête pourrait s’intéresser également aux agissements de ses anciens conseillers et alliés, dépositaires de biens des secrets de sa très opaque organisation. Notamment son avocat personnel, ex-maire de New York, Rudy Giuliani – un homme poursuivi pour 1,3 milliard de dollars de dommages après avoir propagé une des théories du complot, faisant l’objet d’une demande de retrait de licence d’avocat par la commission judiciaire du Sénat de l’État de New York, et avec lequel Trump est en froid depuis qu’il refuserait de payer ses honoraires, le blâmant pour l’échec de sa stratégie de contestation de la victoire de Joe Biden. Une situation qui promet un sommeil difficile.

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