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Un nouvel accord sur le nucléaire est-il possible avec Iran ?

Rafael Grossi, directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique a annoncé, dimanche soir février avoir trouvé avec l’Iran une « solution temporaire » de trois mois pour maintenir une surveillance « satisfaisante » des sites nucléaires du pays. Ce dernier était en visite en Iran depuis le 20 février dernier. Cette entente marque une avancée relative à l’heure où Téhéran voulait restreindre les visites sur les sites militaires, faute de levée des sanctions américaines. « L’accès sera réduit, ne nous voilons pas la face, mais nous serons en mesure de maintenir le degré nécessaire de surveillance », a expliqué Rafael Grossi.

Ce dernier pourra « s’acquitter de son obligation de montrer que le programme nucléaire iranien reste pacifique », a assuré le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif. « Une fois que tout le monde aura fait sa part et rempli ses obligations, alors il y aura [une reprise] des discussions ». Des échanges qui montrent une ouverture sur ce dossier après la politique de « pression maximale » exercée par l’administration Trump – qui était sorti unilatéralement de l’accord international sur le nucléaire de 2015, le JCPOA. Depuis l’élection de Joe Biden, les canaux de discussions sont bien rouverts, bien que l’opinion publique américaine le contraigne à une très grande prudence.

Des réserves renforcées par les manquements répétés des iraniens aux termes de l’accord, en représailles du départ de Washington et des sanctions qui ont suivi, notamment une semaine avant l’entrée en fonction du nouveau Président américain. Téhéran a en effet entrepris d’accentuer la pression sur les autres parties à l’accord. Après avoir longtemps montré patte blanche, les iraniens jouent sur la peur américaine d’un enrichissement express. Le Mossad affirme que le pays pourrait se doter d’assez de matières fissiles pour produire une bombe nucléaire entre 2 mois et demi et 5 mois. Des données qu’il faut prendre avec des pincettes – la CIA parle de dotation depuis 1976 ! Et ce d’autant que cette durée hypothétique n’inclut pas les potentiels tests qu’il faudrait réaliser avant d’avoir une arme nucléaire opérationnelle.

Les premiers signes d’une ouverture

États-Unis, France, Allemagne et Royaume-Uni s’étaient réunis jeudi dernier pour faire le point. Les occidentaux devaient envoyer un signal positif – un petit pas dans la bonne direction, alors qu’un diplomate Iranien déclarait récemment avoir « zéro confiance dans les Etats-Unis ». En outre, Téhéran a été effarouchée par la réponse timide et peu efficace des Européens à la politique unilatéraliste de Trump. Aussi, le Guide suprême montre les muscles et demande le statu quo ante Trump – soit la levée préalable et vérifiée de toutes les sanctions américaines – tout en sachant très bien qu’il a besoin d’un accord : chômage intenable, inflation à 30%, monnaie en chute libre, paupérisation continue des classes moyennes, division par 4 des revenus du pétrole, échec cuisant dans la gestion du Covid…

Pour l’heure, Washington envoie des signaux d’ouverture, notamment en soutenant ouvertement la médiation européenne et en annonçant vouloir revenir dans l’accord. Mais attention à ne pas être trop gourmands, comme avec la proposition française d’élargir le traité aux missiles balistiques et aux « activités déstabilisatrices de l’Iran dans la région ». Téhéran n’acceptera certainement pas ces nouvelles conditions, qui fixeraient par ailleurs un précédent peu reluisant pour le droit international – soit la sortie arbitraire d’un traité pour revenir en exigeant des contraintes supplémentaires. Les réserves iraniennes semblent donc fondées – en particulier vu la prolifération d’armes dans son voisinage immédiat. Attention toutefois à ne pas faire d’angélisme. Il s’agit bien là d’une affaire de realpolitik et ce d’autant que les intérêts en jeu sont nombreux.

Les enjeux régionaux

Les tractations en cours se heurtent en effet aux pressions des autres acteurs régionaux, en tête desquels on retrouve Israël et l’Arabie saoudite. Le premier, qui s’oppose à un retour américain dans l’accord, s’irritait d’ailleurs d’être ignorée par un Biden nouvellement élu, alors que le pays occupe généralement une place de choix dans l’ordre du jour international des Etats-Unis. D’après le quotidien israélien Haaretz, « le message de Biden est clair : les choses ne seront plus comme elles étaient au cours des quatre dernières années […] et il y a un prix à payer à la romance diplomatique que Netanyahou a menée avec Trump. Netanyahou a ainsi gravement sapé l’un des axiomes de la politique étrangère israélienne : préserver le soutien bipartite aux Etats-Unis. »

L’Arabie Saoudite ne semble pas en meilleure posture, avec un prince hériter pratiquement mis hors-jeu par la diplomatie américaine du fait du retour de l’affaire Jamal Khashoggi sur le devant de la scène. Avril Haines, la Directrice du Renseignement de l’administration Biden a ainsi annoncé la publication d’une note de la CIA impliquant nommément Mohammed Ben Salman dans l’assassinat du journaliste saoudien. Jusqu’alors, Trump avait couvert son allié et partenaire commercial. Aussi, il n’est guère surprenant que l’émirat multiplie les signaux pour tenter de se racheter – des manuel scolaires ont ainsi récemment été purgés de passages qui expliquaient que les « Juifs cherchent à dominer le monde » ou qu’un mari pouvait frapper son épouse si elle s’écartait du droit chemin, la peine de mort a été abolie pour les mineurs et des prisonniers politiques emblématiques ont vu leurs peines allégées.

Le risque de « tout ou rien »

Le durcissement de ton de Washington avec Riyad et la suspension des ventes d’armes à destination du pays expliquent sans doute aussi la fermeté de la proposition française d’élargissement de l’accord. Paris y voit certainement une opportunité de se rapprocher de l’Arabie saoudite à moindre effort – ce qui souligne la complexité de ce dossier qui se joue sur des terrains multiples. Et ce d’autant que la Russie et la Chine, les deux bêtes noires de Washington, qui étaient cosignataires de l’accord de 2015, ne sont pour l’heure pas à la table des négociations. Il est fort à parier qu’ils aient des intérêts propres à défendre, qui changeront la donne. A cela, ajoutons que le rapport de force entre ultraconservateurs et « modérés » en Iran semble condamné à s’inverser, ce qui rétrécira encore les voies diplomatiques.

Autant dire que les obstacles sont nombreux. Et tenter de tous les écarter d’un seul geste est totalement illusoire. « Dire qu’on ne peut rien résoudre si on ne résout pas tout, c’est la garantie de ne rien faire », estime Jeffrey Lewis, expert en contrôle des armements au Middlebury Institute of International Studies. « Mieux vaudrait expliquer la vérité : on a des problèmes lourds avec l’Iran, mais concentrons-nous sur le fait de l’empêcher d’acquérir l’arme nucléaire. Par ailleurs, parler ainsi des missiles iraniens signifie qu’on ne comprend pas la prolifération des missiles au Moyen-Orient, importés ou fabriqués sur place. Les Egyptiens, les Israéliens, les Turcs, les Syriens aussi ont un programme de missiles. Personne ne va y renoncer. C’était il y a vingt ans qu’il fallait traiter de la question balistique iranienne. »

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