Un juge de la Cour suprême a annulé les condamnations pour corruption de l’ancien président Lula dans le cadre de l’opération anticorruption Lava Jato. L’icône de la gauche brésilienne organise déjà son retour dans la vie politique.
Lundi dernier, dans une décision inattendue un des douze juges de la Cour suprême brésilienne a prononcé l’annulation des condamnations de l’ancien président Luis Inácio da Silva (2003-2010). D’après Edson Fachin, la condamnation de Lula pour corruption n’est pas valable pour cause de vice de forme. Le jugement avait été rendu dans le cadre de l’opération anticorruption Lava Jato (lavage express), qui s’est achevée il y a un mois. Cette enquête massive menée par la police fédérale du Brésil a été permise non sans ironie par une mesure mise en place par Lula lui-même dans les années 2000. Elle a depuis secoué nombre d’acteurs majeurs de l’économie brésilienne.
C’est dans ce cadre que Lula avait été accusé d’avoir perçu des pots-de-contre l’octroi de marchés publics, entre autres liés à la compagnie pétrolière d’Etat Petrobras. Une décision aujourd’hui renversée par le juge Fachin. C’était par ailleurs déjà la Cour suprême qui l’avait faire sortir de prison, où il avait été enfermé sans avoir épuisé tous ses recours. Il avait ainsi été libéré en novembre 2019, après un an et demi d’incarcération. Cette fois, le bureau du procureur a annoncé son intention de faire appel de la décision et il appartiendra désormais aux onze juges de l’assemblée plénière de la Cour suprême de décider si l’annulation des condamnations doit être maintenue ou non.
Une affaire politique
D’après la décision de la Cour, la condamnation de Lula était un nouvel exemple du droit utilisé à des fins politiques – ce que défendaient depuis toujours les partisans de Lula. Nombreux sont ceux qui soulignent que Sergio Moro, juge anticorruption qui dirigeant l’affaire, est devenu par la suite ministre de la justice du gouvernement Bolsonaro. Ce dernier devait en effet concourir pour la Présidence du pays contre un Lula porté par des sondages favorables.
Une enquête menée par the Intercept a depuis confirmé le « vide » de l’affaire Lula. « Dans le dossier de condamnation de Lula, le juge Moro reconnaît que Lula est condamné pour des faits ‘indéterminés’. C’est-à-dire qu’il est incapable d’expliciter un lien de causalité entre l’entreprises publique Petrobas et le supposé appartement que Lula aurait reçu mais dont il n’a jamais reçu de titre de propriété », note ainsi Gaspard Estrada est directeur exécutif de l’Observatoire Politique de l’Amérique latine et des Caraïbes.
Les enquêtes sur ce procès hautement politique ont en effet fait ressortir des conversations privées sur l’application Telegram prouvant que le juge Moro, qui devait pourtant être impartial, avait volontairement écarté des preuves à la décharge de Lula. D’autres accusations pour fabrication et occultation de preuve, mais aussi pour intimidation de juge qui auraient pu contester la condamnation, sont également apparues.
Mais il ne faut pas voir dans la décision du juge Fachin une reconnaissance directe de ces contestations. « La décision qui a été rendue par le juge Fachin s’apparente plus à une manœuvre politique qu’à souhait de rendre justice à l’ancien président puisque en prenant cette décision inattendue – y compris pour les propres membres de la Cour – le juge Fachin a surtout évité que le juge Sergio Moro soit mis en cause par les autres membres de la Cour suprême pour la façon dont il a mené l’opération Lava Jato », estime Gaspard Estrada.
Vers un duel au sommet en 2022 ?
Si l’affaire judiciaire n’en est pas encore à son dénouement, la voie est désormais libre pour un troisième mandat de Lula au Brésil. Ce dernier était déjà favori pour l’élection d’octobre 2018, mais n’avait pu se présenter, étant rendu inéligible par sa condamnation. Il est aujourd’hui crédité de 50 % d’intentions de vote – alors que Jair Bolsonaro ne bénéficie que de 38% d’opinions favorables, payant notamment le prix de sa gestion désastreuse de la crise sanitaire du Covid-19 : le pays compte au moins 272 000 morts. « C’est inédit, même les plus privilégiés ne sont plus épargnés : le fait d’avoir accès au secteur privé garantissait d’être soigné, plus maintenant ! », alertait récemment le docteur Fabio Ghilardi, infectiologue dans plusieurs grandes structures privées de São Paulo.
En outre, l’économie brésilienne est très durement touchée. L’aide d’urgence aux ménages les plus fragiles n’est par exemple plus versée depuis janvier. Des difficultés largement empirées par l’inaction du gouvernement Bolsonaro, qui a refusé de mettre en œuvre les mesures les plus basiques pour faire face à la pandémie. « On en est là à cause d’une politique négationniste et négligente », accuse Maria Helena Valente, professeur au département de pédiatrie de l’Université de São Paulo. Conscient de la menace, Bolsonaro a opéré un changement de discours tardif sur l’importance des vaccins. « C’est moins risqué pour lui d’avoir l’air d’une girouette que de payer le prix d’un discours antivaccin » résume Michael Mohallem, professeur de Droit à la Fondation Getulio Vargas.
S’il est aujourd’hui dans une position inconfortable, Bolsonaro n’est pas pour autant hors-jeu. Celui qui a bâti son succès sur dénonciation de la corruption et de l’inanité de la gauche sait jouer des divisions d’une société brésilienne à couteaux tirés. « Bolsonaro est un homme politique forgé dans les flammes de la confrontation. Il a besoin d’un ennemi et rêvait de ce retour de Lula dans l’arène », estime Marcio Coimbra, politologue de l’université Mackenzie de Brasilia. Ce dernier a qualifié Lula de « taulard » et de « charogne » en fin de semaine dernière. Une sortie qui annonce la couleur d’une confrontation qui ne fera pas dans dentelle. Et si on compte une demi-douzaine de prétendants à la présidence brésilienne, aucun candidat centriste ne se dégage pour le moment, rendant ce duel au sommet sur fond de polarisation extrême de la société brésilienne, plus que probable.