Le rapport Duclert a permis de compiler toutes les archives françaises sur le rôle que le pays a joué avant, pendant et après le génocide des Tutsis au Rwanda.
Un rapport sur les responsabilités de la France dans le génocide rwandais a été remis à Emmanuel Macron le 26 mars dernier. Plus de vingt ans après les exactions visant les Tutsis, entre 1990 et 1994, ses rédacteurs ont pu consulter l’ensemble des fonds d’archives qui traitent de l’engagement français dans le pays d’Afrique centrale. Deux ans de travail plus tard ils ont conclu à « un ensemble de responsabilités, lourdes et accablantes », au sein de l’État français, tout en écartant l’idée d’une complicité de génocide. « Ce travail aura notamment vocation à aider à constituer la matière historique nécessaire à l’enseignement de ce génocide en France » expliquent ses auteurs.
En plus de soupçons d’implication de l’armée française, après la mort du président rwandais Juvénal Habyarimana en avril 1994, nombre de personnes accusées d’avoir pris part au génocide ont trouvé refuge en France. Si des poursuites ont été intentées, la Cour de cassation s’est toujours opposée à leur extradition vers leur pays, en vertu du principe de non-rétroactivité de la loi – notamment en ce qui concerne Agathe Habyarimana, veuve de l’ex-président rwandais. À ce jour, seules trois personnes ont été condamnées définitivement par la justice française. Cette publication se veut donc une main tendue, si tardive soit-elle, à un pays toujours profondément meurtri par cet épisode. Pour rappel, la France n’a plus d’ambassadeur au Rwanda depuis 2015.
Un des grands tabous de l’histoire française
Le rapport revient sur l’engagement militaire de la France aux côtés des Hutu, et l’explique par « le positionnement du président de la République, François Mitterrand, qui entretient une relation forte, personnelle et directe, avec le chef de l’État rwandais ». Ce dernier, engagé dans un soutien entier aux efforts de démocratisation du pays. Mais « dans le même temps, aucune politique d’encouragement à la lutte contre l’extrémisme hutu et de déracialisation de l’État n’est décidée, en dépit des alertes lancées depuis Kigali, Kampala ou Paris », déplore le texte.
Cela s’est traduit par « la livraison en quantités considérables d’armes et de munitions au régime d’Habyarimana, tout comme l’implication très grande des militaires français dans la formation des Forces armées rwandaises. » Une reconnaissance officielle de la dérive politico-diplomatique française, bien que ce ce rapport ne soit en rien pas révolutionnaire. Tout juste permet-il de mettre noir sur blanc les erreurs et dérives d’un pays perdu entre deux époques. Rappelons ainsi que lors d’un déplacement à Kigali, Nicolas Sarkozy avait déjà déploré « de graves erreurs d’appréciation et une forme d’aveuglement ». Un aveuglement qui a contribué à la mort de 800 000 rwandais.
Interrogée sur la responsabilité établie par le rapport, une source à l’Élysée précise : « La principale responsabilité que l’on peut relever : une sorte d’obstination française à suivre une ligne politique unique et à faire abstraction de tout type de signal qui pouvait remettre en cause cette politique. La commission parle d’aveuglement intellectuel, voire, à un certain moment, de faillite intellectuelle dans la compréhension du contexte. Et elle en conclut à une forme de faillite collective, qui dépasse le cas de certains individus à appréhender une réalité rwandaise qui ne pouvait se résumer à des tensions soi-disant ethniques ou communautaires. »
Un commentaire qui passe sous silence les révélations sur les dysfonctionnements et l’opacité de l’État-major particulier de la présidence, qui de l’aveu du général Jean Varret, Chef de la mission militaire de coopération à Kigali de 1990 à 1993, « qui reprenait confiance chaque petit succès dans les anciennes colonies, au Tchad, en Libye, en Côte» et refusait de croire à « un partage du pouvoir entre hutu et tutsi ». « La commission a démontré l’existence de pratiques irrégulières d’administration, de chaînes parallèles de communication et même de commandement, de contournement des règles d’engagement et des procédures légales, d’actes d’intimidation et d’entreprises d’éviction de responsables ou d’agents », dénonce le rapport.
Un préalable à la réconciliation
Dans un bref tweet publié vendredi soir 26 mars, le gouvernement rwandais a salué « un pas important vers une compréhension commune du rôle de la France ». Mais sa réaction mitigée montre un pays encore partagé sur les conclusions du rapport Duclert. Et ce d’autant que le texte avait été communiqué au président Rwandais, Paul Kagame, en amont de sa publication pour e pas le prendre de court. Le président français aurait même discuté avec lui au téléphone, afin de s’entendre sur sa conclusion. Pour rappel, Kagame a lui-même commissionné un autre rapport d’enquête en 2017, qui doit encore remettre ses conclusions.
Ces échanges attestent tout de même d’un réchauffement diplomatique entre les deux pays. Emmanuel Macron a même prévu de se rendre à Kigali au début du mois de mai. Un nouveau signal positif après son soutien à l’élection de l’ancienne ministre des affaires étrangères de Paul Kagame Louise Mushikiwabo à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie et la création d’une journée officielle de commémoration du génocide des Tutsi en France le 7 avril. « La normalisation des relations n’était pas suspendue à la publication de ce rapport, mais cela va bien sûr booster un peu le processus », a commenté une source proche du gouvernement rwandais. « La commission a des mots assez durs envers le gouvernement français de l’époque. Elle ne va pas jusqu’à reconnaître la complicité de génocide mais, très franchement, on ne s’attendait pas à ça. »
Si les deux pays ne jouent pas exactement la même partition, il semble se dégager une acceptation d’interprétations divergentes sur la reconnaissance de faits commune. Un espoir pour les relations franco-rwandaises, empoisonnées depuis plus de 25 ans par les accusations et les non-dits. Cela souligne également comment faire face et reconnaitre les erreurs de son histoire est la seule manière de mettre un terme aux spéculations qui alimentent l’hostilité et les pensées complotistes. « Depuis trente ans, le débat sur le génocide est terrible, plein de mensonges, de passions » explique Vincent Duclert, historien, chercheur titulaire à l’Ehess, auteur du rapport. Peut-être qu’avec la publication de ce rapport, une page est en train de se tourner.