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Un virage proeuropéen pour Mark Rutte ?

Le néerlandais Mark Rutte formera son quatrième gouvernement de coalition après être arrivé en tête des élections législatives.

Le premier ministre libéral sortant a gagné 36 sièges sur 150, contre 33 précédemment, et devient ainsi le dirigeant d’Europe Occidentale en poste depuis le plus longtemps. Une victoire portée par une forte participation (82,6 % de mobilisation) malgré la crise due au Covid-19. Le scrutin s’est également caractérisé par l’éparpillement du vote à travers le spectre politique : seuls trois des 37 partis en lice ont obtenu un score supérieur à 10%.

Cette tendance a pénalisé le parti populiste de la Liberté (PVV) de Geert Wilders, concurrencé sur sa droite par le Forum pour la démocratie, du juriste Thierry Baudet. Même constat dans les rangs de la gauche sociale et des verts, qui selon toute vraisemblance ne joueront pas de rôle déterminant dans la formation d’un nouveau gouvernement. Divisés par les querelles de chapelle et une multitude de partis concurrents, ces formations n’ont pas su envoyer le signal de volontarisme et de discipline que les électeurs semblaient chercher en pleine pandémie, et au début d’une crise économique. Double peine alors que Rutte se dit hostile à une alliance avec une « nébuleuse de partis de gauche ».

La surprise est en revanche venue du parti social-libéral (D66), qui faisait déjà partie de la précédente équipe. Porté par sa tête de liste, Sigrid Kaag, la formation proeuropéenne se retrouve en deuxième position. Cette dernière, une diplomate polyglotte qui a notamment fait carrière aux Nations unies, après un départ timide, a permis à sa formation de gagner 5 sièges. A ce titre, elle devient indispensable pour toute majorité de gouvernement. Suivent les chrétiens-démocrates du ministre des Finances, Wopke Hoekstra, qui avec 14 sièges pourraient boucler la boucle. « Dans une négociation, les discussions peuvent toujours tourner au vinaigre, mais Mark Rutte pourrait se tourner vers une coalition de centre-gauche », explique Rinus van Schendelen, professeur émérite de l’université Erasmus de Rotterdam.

L’écrasant enjeu sanitaire

Cette nouvelle consécration pour Rutte valide son surnom de premier ministre « Téflon ». L’austérité guillerette de ce dirigeant résiste encore une fois à l’usure du pouvoir, et ce malgré une montée des mécontentements contre sa politique néolibérale qui a creusé les inégalités aux Pays-Bas. Un fait d’armes d’autant plus impressionnant qu’il se remettait tout juste d’un vrai-faux scandale administratif lié à des allocations familiales, pour lequel il avait été obligé de présenter la démission collective de son gouvernement en janvier. Mais c’est bien la pandémie qui aura le plus compté : à la faveur de la crise du Covid, Rutte donne l’impression d’avoir maîtrisé la situation.

« Il y a clairement deux sujets dans la tête des électeurs, les politiques sanitaires et la relance économique », estime Galen Irwin, spécialiste des comportements électoraux à l’université de Leyde. « J’imagine qu’une majorité n’aurait pas été mécontente si les élections n’avaient tout simplement pas eu lieu, et que le gouvernement était resté en place ». En outre, la pandémie a aussi marqué la campagne en creux : les restrictions et mesures de distanciation sociale ont compliqué la tâche à ceux qui voulaient faire physiquement campagne.

La campagne ne s’est donc pas faite sur le climat ou l’environnement, malgré les espoirs de GroenLinks (sept sièges, – 7) qui avaient vu leur popularité croite considérablement au début de l’épidémie. Les difficultés économiques et le prolongement de la crise sanitaire ont solidement réencré le débat autour d’une austérité économique rassurante en pleine tempête. Une leçon d’autant plus notable qu’il s’agit des premières élections d’une logue série en Europe (avec l’Allemagne et la France en ligne de mire). Avis, donc, aux autres gouvernants européens – et aux partis qui comptaient changer la donne en faisant campagne sur d’autres thématiques.

Un revirement europhile ?

Pour autant, le second enseignement de ce vote, illustré par le bon score des socio-démocrates, est une envie d’Europe, là où Rutte s’était régulièrement montré critique des institutions bruxelloises, jugées comme trop bureaucratiques et trop coûteuses. Il sera sans doute contraint de mettre de l’eau dans son vin, poussée à sa gauche par D66 – mais l’homme est coutumier des réinventions politiques à l’aune des tendances du moment. Il faudra donc probablement compter sur une politique proeuropéenne et technocratique aux Pays bas. Une tendance déplorée par Wierd Duk, éditorialiste conservateur au journal Telegraaf :« L’alliance du VVD et de D66 est une vraie victoire pour les classes supérieures, ces fameux gens “de partout”, cosmopolites, aisés, qui vivent dans les grandes villes, au détriment des gens “de quelque part”, plus pauvres, moins mobiles ».

Cette nouvelle donne pourrait aussi changer les équilibres européens. Amsterdam s’était en effet érigée en porte étendard du conservatisme libéral « frugal », derrière lequel s’étaient rangés le Danemark, l’Autriche et la Suède.  Une position de rejet de l’agenda positif de la construction européenne qui lui a valu un second surnom à Bruxelles : « Monsieur Non ». Mais les choses ont commencé à changer : « Ces derniers mois, il a aussi pris des positions en faveur d’une Europe « puissance » (un mot longtemps tabou à Bruxelles), en faveur d’une intégration européenne plus forte, sur la défense, l’éducation ou la santé. Ou en faveur de la majorité qualifiée sur certaines décisions, contre cette règle d’or de l’unanimité qui souvent empêche l’Europe d’agir », soulignait Marc Four dans un édito sur France Inter. Autant de signes qui indiquent une position plus ouverte vis-à-vis de l’UE.

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