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Biélorussie : Loukachenko choisit la Russie

La Biélorussie est revenue au cœur de l’actualité la semaine dernière dans une séquence digne d’un mauvais film d’action hollywoodien. La dernière dictature d’Europe n’a pas hésité à détourner un avion de la compagnie Ryanair reliant Athènes à Vilnius  sous la contrainte d’un Mig, pour le contraindre à se poser sur son territoire. Prétextant la présence d’une bombe à bord, l’opération visant en réalité à l’arrestation de l’opposant politique Roman Protassevitch. Ce dernier aurait été trouvé « par hasard » assurent les autorités biélorusses, qui accusent désormais le Hamas palestinien de la tentative d’attentat – un mensonge si grossier qu’il a des airs de provocation.

Protassevitch est peu connu en dehors de son pays d’origine. Il s’agit pourtant de l’ancien rédacteur en chef de la chaîne Telegram Nexta, pilotée depuis Varsovie – un outil incontournable des protestataires, qui l’utilisent en masse pour organiser les manifestations contre le gouvernement et diffuser les images des violences policières. Il est accusé par Minsk d’avoir organisé des « émeutes de masse », des actions « portant gravement atteinte à l’ordre public » et des « incitations à l’inimitié sociale ». Il encourt quinze ans de prison. Il fait également ‘objet d’accusations de terrorisme, et risque d’être exécuté dans le dernier pays d’Europe où la peine capitale est appliquée.

L’affaire fait grincer des dents en Europe, ce qui pose une question majeure : qu’avait à gagner Alexandre Loukachenko, autocrate à la tête du pays depuis 1994, en menant ce détournement d’avion ? Comme souvent, l’objectif poursuivi ici est de se maintenir au pouvoir. Le dictateur était sorti ébranlé par les grandes manifestations de l’an dernier, déclenchées par sa réélection frauduleuse, en août. Aussi, pour Olga Gille-Belova, maître de conférences au département d’études slaves de l’Université Bordeaux Montaigne, avec cette arrestation finalise se reprise en main du pouvoir – toute l’opposition biélorusse est aujourd’hui en exil ou en prison.

La protection russe

Cet acte de « piraterie d’état » a inévitablement scandalisé en Europe. Un sacrifice mineur pour un pays qui n’a pratiquement plus rien à perdre avec l’UE. Les trois milliards d’euros d’aides promis par l’Union européennes sont en effet largement conditionnées à un changement de régime. Inutile de préciser que Minsk n’en verra pas la couleur après le détournement de la semaine dernière. C’est en effet un front uni des 27 qui a réagi à l’affaire, annonçant une nouvelle volée de sanctions. Mais là encore, la tâche est délicate : comment pénaliser le régime sans toucher la population ?

Le blocus aérien dont la Biélorussie fait désormais l’objet n’est pas idéal, en ce qu’il affecte justement les citoyens et non le régime. A voir si les mesures sectorielles qui devraient suivre sont plus ciblées (en visant le personnel de police, les services secrets locaux et les hauts fonctionnaires – qui font déjà pour la plupart l’objet de sanctions). Mais pour l’UE, la marge de manœuvre est limitée. En ce d’autant que le pays est soutenu – politiquement mais aussi économiquement – par le voisin russe.

Rien ne prouve que Moscou ait donné son blanc-seing à cette opération, mais force est de constater que Loukachenko se sent très protégé par la Russie. Il a rencontré Vladimir Poutine en fin de semaine pour relancer les relations commerciales, et Moscou s’est engagée à verser 1,5 milliards d’euros d’aides en Septembre dernier, après une vague de contestations ans précédent. Le Kremlin sait que Minsk risque de demander davantage (c’est partenaire compliqué, qui n’a de cesse de jouer sur sa position de tampon entre la Russie et l’OTAN) mais c’est un des derniers alliés de la Russie dans la région, ce qui joue en sa faveur. Et ce qu’autant que l’Ukraine a définitivement rompu avec Moscou.

Le retour des lignes dures

Quel qu’ait été son rôle dans cette opération, la Russie fait donc pleinement partie de l’équation. Et ce à un moment où ses relations avec l’EU se sont considérablement détériorées. En atteste l’importante mobilisation militaire à la frontière Ukrainienne, visant à exposer la vulnérabilité du pays. Si les raisons réelles de ce déploiement sont inconnues, il est probablement opportuniste, l’objectif poursuivi variant selon la réaction occidentale. A cela il faut ajouter les révélations selon lesquelles les services de renseignement russes étaient responsables de l’explosion mortelle dans un dépôt d’armes tchèque en 2014. Les mêmes agents auraient ensuite participé à l’attaque à l’agent neurotoxique de Salisbury en 2018. Enfin, les tensions sont également montées d’un cran du fait du traitement de l’opposant politique Alexei Navalny.

Les timides tentatives de rapprochement avec Moscou, suivant notamment l’élection d’Emmanuel Macron, semblent bien lointaines. Dans le discours le plus ferme jamais prononcé par un haut représentant de l’UE, Josep Borrell a condamné, le 28 avril dernier, toute une série d’actions russes, notamment la « provocation » de l’Ukraine. La Russie a « choisi d’approfondir délibérément la confrontation » et « semble avoir décidé d’agir comme un adversaire » d’après le diplomate. Le front plus uni que l’UE forme avec Washington depuis l’élection de Biden, embarrasse sans doute aussi le Kremlin. Et si Loukachenko a souvent joué sur la rivalité entre les deux blocs pour obtenir des concessions des deux côtés, sous pression de la rue il semble clairement avoir choisi son camp. Devant la contestation et les appels à plus de démocratie, Loukachenko a choisi la répression, la Biélorussie a choisi la Russie.

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