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Brexit : le désarroi du Londongrad

CUL38. LONDRES, 04/07/2012.- Fotografía cedida por Sellar de una vista general de la orilla sur del río Támesis a su paso por Londres, en la que despunta el pináculo del "Shard", el edificio más alto de Europa, con 87 pisos y 310 metros de altura, que se inaugurará mañana. EFE/ Sellar/SOLO USO EDITORIAL.

Depuis le 31 janvier 2020, le Royaume-Uni n’est officiellement plus membre de l’Union européenne. Si les conséquences de ce retrait sont transversales, notamment en termes de circulation des individus et des capitaux, elles risquent aussi d’avoir des effets inattendus sur la petite communauté des riches oligarques russes ou issus des anciens pays du bloc soviétique qui avaient trouvé à Londres un havre de paix pour poursuivre leurs affaires dans l’espace européen. Et parfois, régler leurs comptes.

Londongrad : au cœur des manœuvres du FSB

C’est un rapport parlementaire britannique qui, en juillet 2020, a levé le voile sur un secret de polichinelle avec lequel s’accommodaient jusqu’ici très bien les autorités britanniques. La commission d’enquête du parlement a souligné l’influence insidieuse de la Russie sur différentes échéances électorales et référendaires, dont le très stratégique référendum sur le Brexit. Car le pays dispose de relais puissants, actifs et extrêmement ancrés dans la haute société anglaise, qu’ils ont réussi à infiltrer grâce à des moyens financiers quasi-illimités. En effet, les oligarques russes sont, depuis la chute de l’URSS, massivement venus s’installer en Grande-Bretagne, comptant sur l’assentiment avoué des pouvoirs publics britanniques, désireux d’attirer des grandes fortunes dans leur capitale. Ils seraient quelque 100 000 Russes à vivre à Londres. Pas tous milliardaires, certes.

Depuis trois décennies, les oligarques affluent en effet à Londres grâce à des campagnes de communication d’ampleur menées par les autorités britanniques. Ils y font des affaires, y fréquentent des boutiques de luxe et y meurent. Parfois dans des circonstances douteuses. Comme le 23 mars 2013, où Boris Berezovski, un opposant à Vladimir Poutine condamné pour blanchiment au Brésil et fraude et évasion fiscale en Russie, décède après, selon la thèse officielle des enquêteurs britanniques, s’être donné la mort. Une « mise en scène », selon ses proches, suffisamment crédible pour convaincre la police britannique. Ce que son entourage a toujours refusé de croire, sachant qu’il avait de peu échappé à un attentat quelque temps auparavant et que ses offensives contre le Kremlin le rendait indésirable.

Les opposants aux régimes en place dans l’ancien bloc soviétique sont en effet nombreux à Londres. Comme Alexandre Litvinenko, ancien membre du FSB, devenu lanceur d’alerte à l’origine de graves accusations sur les pratiques des services de renseignement russes en territoire étranger, mort en 2006 après un empoisonnement au plutonium 210, une substance radioactive. L’enquête, dix ans après, conclut à une opération spéciale du FSB, crispant les relations entre la Grande-Bretagne et la Russie. Un destin similaire connu, en 2018, par le couple Skrypal, des agents doubles du FSB longtemps emprisonnés en Russie avant de trouver refuge en Grande-Bretagne. Empoisonnés au Novitchok, ils réussirent cependant à s’en sortir. Là encore, cette tentative d’assassinat imputé au FSB a refroidi les relations entre les deux pays. Puis vint le choc du Brexit. Un faisceau d’évènements suffisant pour faire fuir les oligarques ? Non, selon le collectionneur d’art Igor Tsukanov, installé à Londres de longue date, interrogé par Les Échos : « Depuis l’électrochoc de Skripal, ce n’est certes plus ‘business as usual’. Pourtant nos relations culturelles n’ont jamais été meilleures et il y a même un boom dans ce domaine. La BBC produit une série télé sur Tolstoï ».

Des « réfugiés » politiques au parcours douteux

Qu’ils viennent de Russie ou des anciens pays du bloc de l’est, les « réfugiés politiques » à Londres traînent parfois un très lourd passif judiciaire pour criminalité économique, voire même grand banditisme. Comme Andrey Borodine, ancien président de la banque de Moscou, parti se réfugier à Londres après avoir obtenu l’asile politique en 2013, accusé d’avoir détourné des milliards de roubles dans son pays d’origine. Comme aussi Evgeny Chichvarkin, l’une des plus grandes fortunes de Russie et fondateur de Yevroset, le plus grand détaillant de téléphonie mobile du pays. Longtemps l’un des principaux opposants à Vladimir Poutine à travers son parti politique de centre-droit, il mène aujourd’hui son combat de Londres. Il a, lui aussi, été inquiété à plusieurs reprises par la justice russe pour de supposées malversations financières et des importations illégales de téléphones. Pourtant, Londres continue d’être un havre de paix et de sécurité pour une partie de ces « réfugiés », sauf quand ils se font rattraper par la justice.

Le plus connu de ces « multicondamnés » dans leur pays d’origine à utiliser le statut de réfugié politique est, sans doute, le kazakh Moukhtar Abliazov, condamné à 20 ans de prison dans son pays en 2017 pour avoir détourné la somme faramineuse de 6 milliards de dollars de la banque BTA, dont il était le principal dirigeant. Puis une nouvelle condamnation pour avoir commandité le meurtre de son ancien associé Yerzhan Tatishev en 2004. Même à Londres, pourtant habituellement peu regardante sur les profils qu’elle accueille, il a eu affaire à la justice britannique. En 2012, il est condamné à 22 mois de prison par la Haute Cour de justice pour avoir dissimulé une partie de ses biens à un magistrat, le forçant à fuir le pays. Indésirable aussi en France, où il est arrêté à Paris et placé en garde à vue en octobre 2020, Moukhtar Abliazov a tout de même bénéficié du statut de réfugié politique en septembre. « Les estimations actuelles du montant total détourné par Ablyazov dépassent les 10 milliards de dollars », estime pourtant le journaliste Gary Cartwright dans le livre-enquête Wanted Man consacré au milliardaire. La France : nouveau Londongrad ? Dans un entretien accordé au Monde, il s’en prend directement à Emmanuel Macron et se présente à nouveau comme un opposant, sans pour autant bénéficier d’une réelle assise électorale dans son pays d’origine.

Depuis plusieurs mois, l’avenir s’annonce plus sombre pour les oligarques. D’abord du fait d’un renforcement de l’arsenal législatif britannique, avec la mise en œuvre, en 2017, de l’Unexplained Wealth Order, introduit par le Criminal Finance Act, et permettant d’obliger certaines personnalités à justifier l’origine de leur fortune. Ensuite, du fait des attaques contre le régime des « résidents non domiciliés », qui offrait aux grandes fortunes russes la possibilité d’échapper à l’impôt sur une partie de leurs biens à l’étranger non rapatriés. Pour les plus controversés d’entre eux, les perspectives s’assombrissent, au vu du durcissement réglementaire qui semble désormais prédominer en Grande-Bretagne. Avec le Brexit, une partie des opposants politiques, vrais ou faux, parfois condamnés pour des malversations financières dans leur pays d’origine, pourraient chercher un nouveau pays d’accueil.

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