Site icon La Revue Internationale

Élections en Afrique : la biométrie électorale, coup de pouce démocratique

De plus en plus d’États africains ont recours à la biométrie électorale, afin d’identifier les électeurs et de renforcer la sécurité et la transparence des scrutins. Permettant de réduire le risque de fraude, la biométrie électorale s’étend sur le continent grâce à des pionniers comme l’homme d’affaires Sidi Mohamed Kagnassi. Nécessaire, elle n’est pas pour autant suffisante, et ne saurait remplacer l’adhésion des citoyens au processus démocratique.

De plus en plus utilisée, la biométrie électorale séduit en Afrique

Comment garantir le principe de sincérité du vote, quand le principe “un électeur, une voix” n’est pas toujours respecté ? C’est une question que beaucoup d’États se posent, particulièrement en Afrique, où le calendrier électoral est riche de nombreux scrutins. En 2020 et 2021, pas moins de 30 élections présidentielles ou législatives ont eu, ou vont avoir lieu sur le continent africain. Et avec elles la crainte de scrutins pas toujours apaisés : votes d’électeurs fantômes, morts ou étrangers, mauvaise distribution des cartes électorales…

Pour Pierre Jaquemot, chercheur associé à l’IRIS, la plupart des tentatives de fraudes sont réalisées à partir du fichier électoral. Il existe un motif d’espoir cependant, qui passe par les progrès de la biométrie électorale. “La plupart des opérations électorales africaines utilisent désormais la biométrie pour améliorer l’enregistrement des électeurs, ainsi que la gestion de la base de données, la vérification de l’éligibilité des électeurs, l’enregistrement et le comptage des votes et la transmission des résultats des élections à un organe de centralisation”, écrit-il dans un article paru en 2019 dans la Revue Internationale et stratégique, intitulé “Les élections en Afrique, marché de dupes ou apprentissage de la démocratie”. 

A l’occasion de l’élection présidentielle de 2021, le Niger y a vu le moyen de sortir du recensement manuel des électeurs, source potentielle d’irrégularités. Le scrutin s’est déroulé avec succès, le président sortant ayant accepté “de quitter le pouvoir de bonne grâce tout en organisant des élections plus transparentes basées pour la première fois sur un fichier électoral biométrique » a précisé le président élu Mohamed Bazoum, à l’occasion de sa prestation de serment le 2 avril 2021.  Récemment, ce sont aussi le Burkina Faso et le Congo qui ont eu recours à la biométrie pour sécuriser leurs fichiers électoraux. Avec succès : fin 2020 au Burkina, un comité ad hoc a conclu que le fichier biométrique était fiable et prêt pour les élections du 22 novembre 2020.

En mars 2021 au Congo, le scrutin présidentiel a été jugé crédible par les observateurs internationaux. Toutes les sensibilités politiques ont ainsi participé à une élection qualifiée d’”inclusive, transparente, démocratique et pacifique” par les ONG internationales, l’Union africaine et la Conférence internationale de la région des grands lacs (Cirgl). L’Union africaine a noté que “les chantiers de l’introduction de la biométrie et de l’apurement des listes électorales restent encore engagés”.  Et pour cause : si la biométrie peut contribuer à la vie démocratique, sa mise en place et son succès aujourd’hui en Afrique sont le fruit d’une évolution progressive. 

Un succès qui repose sur les progrès accomplis depuis des années

Le cas de la Côte d’Ivoire est emblématique des progrès accomplis dans l’organisation de processus électoraux apaisés ces dix dernières années. Le recours à la biométrie électorale y est ancien. Il n’empêchera cependant pas la crise politico-militaire de 2002-2007. En 2007, à la suite de l’accord politique de Ouagadougou entre les belligérants de la crise ivoirienne, la société Sagem remporte l’appel d’offre devant ses concurrents Semlex, Oberthur, Gemalto et Zetes. Elle est alors désignée par les parties comme opérateur technique en charge de l’identification et du recensement électoral. En 2013 au Mali, Sagem remporte le contrat des cartes Nina (Numéro d’identification national). La même année, le Cameroun recourt à la biométrie à l’occasion de ses élections municipales et législatives. Les citoyens ont dû retirer des cartes électorales biométriques pour voter. C’est dans cette direction que les progrès de la biométrie électorale se dirigent. En 2013, Clément Aganahi, expert en technologies électorales auprès de l’ONU et de l’UE, déclarait : “La meilleure situation, ce serait celle de faire les listes électorales à partir des cartes d’identité biométriques, qui seront des éléments d’identifications gérés par l’État et qui permettent, à chaque processus électoral, une inscription sur les listes électorales plus actuelle, plus exacte et permettant de donner le véritable droit de vote aux vrais citoyens du pays.” 

Le véritable progrès, c’est ensuite que les oppositions se saisissent de l’opportunité que représente la biométrie électorale. Au Nigeria en 2015, 56 millions d’électeurs se sont rendus aux urnes, équipés de leur carte d’électeur personnelle. Dans un pays qui a connu de nombreux scrutins marqués par des usurpations d’identité, ou des votes de mineurs, le système a fait figure de petite révolution. D’autant que le scrutin s’est déroulé dans le calme, et a abouti à l’élection de Muhammadu Buhari, pour la première alternance démocratique de l’histoire du Nigeria. De quoi inspirer d’autres partis d’opposition : au Tchad en 2015, l’opposition s’est appuyée sur l’exemple nigérian pour demander la mise en place de kits d’identification électorale. 

Un procédé qui ne peut pas tout résoudre 

Devant cet engouement pour la biométrie électorale, il serait tentant d’y voir une forme de remède miracle aux maux démocratiques du continent. Pourtant, si celle-ci peut contribuer à sécuriser les listes électorales, elle n’est pas exempte de risques. Quelques jours avant le premier tour de l’élection présidentielle du 11 avril au Tchad, Jeune Afrique a fait état de soupçons de fraudes : des cas d’enrôlements biométriques de mineurs ont ainsi été constatés dans certaines régions frontalières. D’autres témoignages évoquent des cartes imprimées en plusieurs exemplaires. Pour Zakri Blé Damonoko Anicet, juriste à l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest-Unité, “Les enseignements tirés des expériences des différents pays africains tendent à montrer que certes, la biométrie a des vertus qu’on ne pourrait nier, mais son introduction dans le processus électoral ne suffit pas à garantir la tenue de scrutins crédibles et transparents”. La biométrie électorale ferait alors figure de condition nécessaire, mais pas suffisante pour garantir la tenue d’élections crédibles et démocratiques.

Une limite particulièrement prise en compte lors de la dernière élection présidentielle en Côte d’Ivoire. Pour l’enregistrement des électeurs et l’impression des cartes électorales, un contrat a été signé entre la firme française Idemia (ex-Morpho), conjointement avec l’entreprise Albatross Technologies, fondée par Sidi Mohamed Kagnassi, et la Commission électorale indépendante. Afin de limiter les risques, une expérimentation a d’abord été menée dans les régions de la Nawa, du Gboklè et de San Pedro, permettant à 11 331 citoyens de se faire enrôler dans tout le pays entre le 23 décembre 2019 et le 14 février 2020. “Une nouvelle ère pour l’identification en Côte d’Ivoire”, selon les termes de Sidiki Diakité, ministre de l’Administration du territoire et de la décentralisation. Un exemple qui montre qu’il est possible d’associer biométrie électorale et sensibilisation de la population aux enjeux du scrutin. Pour Marie-Emmanuelle Pommerolle, universitaire et directrice de l’Institut français de recherche en Afrique (IFRA – Nairobi), « Quand les acteurs politiques et les citoyens accordent leur pleine confiance aux institutions électorales, ces technologies peuvent faciliter ou consolider le processus. » Si la biométrie électorale ne remplace pas la démocratie, elle semble donc y contribuer, et semble promise à un bel avenir sur le continent africain.

Quitter la version mobile