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En Libye, le nouveau gouvernement de transition tente de réunir un pays déchiré

Un gouvernement d’union nationale libyen a pris ses fonctions le 5 février dernier dans le cadre d’un processus parrainé par l’ONU. La nouvelle équipe, dirigée par Abdel Hamid Dbeibah, un proche de l’ancien président Kadhafi, a été sélectionnée  par les soixante-quinze membres du Forum libyen réunis en Suisse, et doit représenter toutes les parties présentes sur le territoire libyen. Dbeibah est confronté à une tâche herculéenne : réconcilier une nation atomisée. Les divisions en Libye sont profondes après une guerre civile qui a opposé les factions rivales de Tobrouk, à l’Est, et de Tripoli, à l’Ouest, pendant 6 longues années.

Le gouvernement d’intérim est donc chargé d’assurer la transition et apaiser les tensions avant les élections présidentielle et législatives en décembre prochain. Son prédécesseur, le Gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj, avait pour sa part échoué à piloter une grande réconciliation nationale, en dépit du soutien officiel de l’ONU. Basé à Tripoli depuis 2016, il n’avait jamais obtenu la confiance du Parlement de Tobrouk. L’enjeu est de taille : seule une nation unie pourra désarmer les milices, restaurer la sécurité, démanteler les réseaux de trafic – notamment d’armes et d’êtres humains – et de contrebande, et relancer l’économie libyenne.

Une alliance Est-Ouest pour unifier le pays

Abdel Hamid Dbeibah, un homme d’affaires issu d’une famille de notables de Misrata (ouest) très proche des élites tripolitaines, a pris soin de montrer patte blanche dès sa nomination. « Il y a eu une grande volonté de la part du Premier ministre de donner des postes importants au sein du gouvernement à des personnes qui ne sont pas issues de la coalition qui s’est battue pour défaire le maréchal Haftar, à l’instar de plusieurs factions de l’Est, des kadhafistes mais aussi des factions du Sud », précise Jalel Harchaoui, spécialiste de la Libye au sein de l’unité de recherche des conflits au Clingendael Institute, à La Haye.

Aussi, Dbeibah a été à la rencontre d’Aguila Saleh, le président de la Chambre des représentants à Tobrouk, l’a nommé vice-Premier ministre et lui a garanti un droit de regard sur l’intégralité de son gouvernement. Faute de rallier les factions de l’Est en proposant une liste équilibrée, le gouvernement de transition risquait en effet de réveiller les frustrations qui ont causé la guerre civile en premier lieu. « La vraie question est de savoir si ce nouveau gouvernement sera en mesure de gouverner », résume Mohammad Eljarh, cofondateur du centre de recherche Libya Outlook for Research and Consulting.

Pourtant, loin d’avoir dénoué la situation, le récent vote a plutôt crispé les parties perdantes, qui craignent de se voir évincées.  « Les conséquences des résultats des élections commencent à se faire sentir par les différents acteurs tant nationaux qu’étrangers. Les perdants sont susceptibles de tout gâcher, et les gagnants de s’accrocher au pouvoir et d’exclure des adversaires potentiels au lieu de leur tendre la main et de les inclure » prévient Mohammad Eljarh.

A première vue, le maréchal Khalifa Haftar, chef de l’Armée nationale libyenne (ANL), semble être l’un des grands perdants de ces tractations. Fragilisé depuis l’été 2020 et son échec à s’emparer de Tripoli par la force, cette autre figure majeure de l’Est du pays n’a officiellement pas participé aux pourparlers politiques. Les rumeurs affirment toutefois qu’il aurait manœuvré en coulisses pour obtenir le poste de ministre de la Défense, poste qui ne lui a pas été accordé mais est resté vacant.

Khalifa Haftar face à la nouvelle menace islamiste

D’aucuns s’alarment de voir une figure aussi centrale délaissée dans le gouvernement de transition. Haftar dirige en effet un des plus importants contingents militaires du pays, et la majorité des terminaux pétroliers se trouvent toujours sous son contrôle. Pour autant, le militaire n’a répondu à la formation du gouvernement ni par la violence, ni par des menaces. Il a même mis en garde « tous ceux qui font obstruction aux élections » ou qui « menacent la sécurité nationale », s’affichant résolument du côté de l’union nationale.

Attention toutefois à le considérer hors-jeu pour autant. On sait d’ores et déjà qu’une partie du budget unifié sera consacrée à l’ANL. Et ce d’autant que les autres grands perdants en Libye sont les Frères musulmans, proches de l’ancien gouvernement de Fayez al-Sarraj, mais aujourd’hui largement laissés sur le banc de touche. « À force de faire des concessions au camp anti-Frères musulmans et antirévolutionnaires durs, Dbeibah pourrait attiser la colère des islamistes et risquer une reprise des affrontements au sein même de Tripoli », observe Jalel Harchaoui. Or, c’est notamment en cas de reprise des hostilités que Haftar deviendrait absolument incontournable.

Pour rappel, c’est lui qui, en 2017, a permis la libération de la ville de Benghazi, jusqu’alors occupée par des djihadistes (notamment l’organisation Etat islamique et Ansar Asharia, un groupe proche d’Al-Qaïda). L’homme fort de l’Est libyen demeure, aujourd’hui, le principal garant de la sécurité du pays et du processus démocratique. Son ralliement à la coalition, malgré des déconvenues politiques évidentes, est donc une bonne nouvelle pour Dbeibah.

Mais il doit également être vu d’un bon œil par Paris : « L’Armée nationale libyenne contrôle une grande partie du territoire. Et dans le camp de ses opposants, on trouve des miliciens, des responsables de hold-up, des spécialistes de la prédation et des djihadistes (…) Haftar a lutté contre le terrorisme à Benghazi et dans le sud de la Libye, et cela était dans notre intérêt, celui des pays du Sahel, celui des voisins de la Libye », rappelait à l’époque Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, dans un entretien accordé au Figaro. « Plusieurs observateurs s’accordent à dire qu’il vaut mieux avoir Khalifa Haftar sur l’échiquier politique.  Son absence créerait un vide sécuritaire qui n’arrangerait personne », concluait une analyse partagée par RFI.

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