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Iran : élections présidentielles ou referendum ?

La société iranienne endure des difficultés sur de nombreux fronts sous le règne des mollahs. Ces difficultés sont diverses et variées, incluant des enjeux nationaux, régionaux et internationaux, des défis économiques pour les citoyens, et des inégalités ethniques et religieuses. Dans tous ces domaines, le bilan du régime a donné lieu à une atmosphère de déception et de frustration parmi la population iranienne. C’est donc dans un contexte de récession, de haine et de désespoir sans précédent que se déroule l’élection présidentielle de 1400 (selon le calendrier iranien).

Il y a une atmosphère de défiance publique pour cette élection par rapport à celles des quarante dernières années. Dans une interview accordée au journal Le Monde, Faezeh Rafsanjani, la fille d’Hashemi Rafsanjani, a appelé au boycott de cette élection. L’antagonisme sans précédent entre les gens ordinaires et le gouvernement s’est intensifié. Le désespoir du peuple quant à la capacité du gouvernement à construire son avenir est manifeste.

Il est important d’évaluer cette élection présidentielle sous plusieurs angles. L’accumulation du mécontentement public, la méfiance totale du peuple envers la politique économique du régime, la destruction des classes moyennes et leur effondrement vers les couches inférieures de la société, ainsi que la faiblesse et la crise de légitimité du guide suprême font peser un réel risque de révolte. Cela fait maintenant un moment que le slogan « Mon vote, NON à la république islamique mais OUI à la république démocratique » tourne sur plusieurs réseaux sociaux. D’une certaine manière, cette élection présidentielle pourrait être considérée comme un référendum pour le régime de Téhéran.

Khamenei, craignant une faible participation aux isoloirs, sollicite tout soutien qu’il arrive à rassembler, même auprès de ses proches et de son régime. Khamenei déclare : « Rien ne peut remplacer les élections pour le pays et la force des fondements de l’autorité du pays, et le peuple ne doit pas être découragé des élections » (Khabar Channel, 06 mai 2021). Le principal défi du pays est aujourd’hui l’antagonisme présent entre le gouvernement et son peuple.

La république islamique a totalement échoué en matière de développement, de progrès et de justice sociale. Ce résultat est une conséquence de la structure de ce régime. Un analyste proche du régime affirme que si « les griefs et les failles structurelles au sein du gouvernement ne sont pas résolus, tout risque de s’effondrer ». (Journal Etemad, samedi 17 avril). Le régime iranien a connu des révoltes en 2017 et 2019, incitées par la pauvreté, le chômage, etc. Le mécontentement se manifeste désormais dans tout l’Iran sous la forme de manifestations nationales. Les manifestations et les rassemblements des retraités, d’enseignants et de citoyens qui ont perdu leur capital dans le marché boursier iranien en sont un bon exemple. La valeur de la monnaie nationale a chuté (perdant jusqu’à 10 fois sa valeur, voire plus), l’inflation continue et la croissance économique reste négative.

La république islamique est confrontée à un important problème de légitimité. La population ne fait plus confiance au gouvernement et se méfie de ses projets et de ses promesses. Le régime est sur le qui-vive depuis la révolte généralisée de 2012 et ne peut se permettre de fermer les yeux sur aucune manifestation ou rassemblement. Aux yeux du régime, les plans visant à protéger le régime de l’effondrement sont la priorité absolue. Mais la société iranienne est exigeante et mécontente. Le gouvernement ne peut certainement pas tourner le dos au peuple et espérer survivre.

Élections et sécurité

La république islamique a toujours présenté un prétendu niveau « élevé » de participation de la population aux élections comme un paramètre de pouvoir. Pourtant, au cours des deux dernières années, elle a été forcée d’abandonner ce manœuvre. Selon les responsables du régime, malgré des tactiques d’achat de votes et d’intimidation, telles la menace de réduire les salaires et les subventions, seuls 16 électeurs éligibles sur 100 ont voté lors des élections législatives de 2018. De nombreuses autorités et analystes proches de Khamenei estiment que les gens ne s’intéressent pas à l’élection et qu’il n’y aura pas de participation généralisée.

« Avant de nous inquiéter des conséquences politiques d’une faible participation, nous devrions nous inquiéter des conséquences sociales », a déclaré un journaliste. « Je pense que ce que nous voyons aujourd’hui, c’est le désespoir social, la frustration des gens quant à l’amélioration inexistante des conditions socio-culturelles-économiques et l’explosion consécutive de la colère sociale. Actuellement, le principal problème de la société et de tous les candidats est qu’ils ont un grand concurrent : l’abstention. »

La politique contractionniste de Khamenei

Un environnement bipolaire, où deux factions se présentent aux élections, intensifie le radicalisme. Les différences entre les rivaux font surface plus souvent, ce qui entraîne des écarts sociaux plus importants et permet à la colère du peuple d’exploser. Une minuscule étincelle peut provoquer des manifestations à l’échelle nationale, semblables à ce qui s’est passé lors de l’élection présidentielle de 2012, qui a entraîné le second mandat d’Ahmadinejad. Dans son message du Nouvel An persan (21 mars), Khamenei indiquait clairement qu’il souhaitait éviter la bipolarité et empêcher les candidats de s’affronter. En d’autres termes, comme tout autre dictateur, Khamenei aimerait installer un président de son choix et mettre fin à l’ère de Rouhani et de Zarif. À cette fin, le conseil des gardiens, qui approuve ou non les qualifications des candidats, a déjà commencé à légiférer de manière très peu conventionnelle afin de disqualifier tout candidat en réponse aux souhaits de Khamenei, lui permettant ainsi d’organiser entièrement ces élections.

Le manque de confiance est plus dangereux que la pauvreté économique.

Mahmoud Sadeghi, ancien membre du Parlement iranien, désigne explicitement la méfiance et la haine de la population comme le principal défi de cette élection et déclare : « Cette méfiance a existé dans le passé et s’est maintenant intensifiée » (journal Shargh, 1er mai 2021). Encourager les électeurs à se rendre aux urnes tient du miracle. L’élection présidentielle en Iran est considérée comme un référendum plutôt qu’une élection. Par conséquent, la participation ou la non-participation se fait par défaut.

Il n’y a aucun doute que la république islamique, en tant que système politique, est confrontée à une crise née de ses nombreux problèmes internes et externes et de sa performance épouvantable ces 40 dernières années. Cette crise pourrait provoquer une explosion par le faible taux de participation aux élections et plusieurs autres facteurs. Jusqu’à présent, le coronavirus a empêché la matérialisation de troubles généralisés. « Soyons vigilants et réalisons qu’aujourd’hui, la défiance du peuple à l’égard de son gouvernement est plus alarmante que la pauvreté économique. » (Journal Arman, 6 mai)

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