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Israël – Palestine : entre démographie et crises politiques

Tout commence par une nouvelle impasse politique en Israël. Après 4 élections en 2 ans, Benjamin Netanyahu n’a pas su former un nouveau gouvernement. Il risque ainsi de perdre le pouvoir, le rendant vulnérables aux poursuites pour corruption qui le menacent depuis des années. Ensuite, on connait l’engrenage : il y a d’abord des provocations politiques – ici une accélération de la stratégie politique assumée de colonisation du quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem Est. Il s’agit d’un « territoire occupé » d’après la résolution 242 des Nations Unies. Pourtant, des factions d’extrême-droite en Israël, désormais alliées de Netanyahou, cherchent à chasser les Palestiniens de la ville.

Dans le même temps, les autorités israéliennes changent le dispositif de sécurité Porte de Damas, principal accès de la vieille ville et des lieux de prières, comme le rappelle le quotidien israélien « Haaretz ». Cela mène à des tensions communautaires accrues. Une vidéo montrant un jeune Palestinien giflant un jeune religieux juif devient virale. En plein Ramadan, la répression musclée par la police israélienne (plus de 300 Palestiniens ont été blessés dans les heurts d’après le Croissant-Rouge palestinien) sur l’Esplanade des Mosquées fait encore monter les tensions.

Les pyromanes n’attendent que ça : dans les quartiers arabes les chasses à l’homme des groupes d’extrême droite, qui veulent chasser les Palestiniens de Jérusalem, redoublent « en toute impunité ». Rapidement des arabes israéliens (20% de la population du pays) s’attaquent eux aussi à des juifs. Le Hamas et le Jihad Islamique tirent des centaines de roquettes sur Israël depuis la bande de Gaza. Inévitablement, en représailles, des raids aériens d’une rare violence sont menés (192 personnes ont été tuées en une semaine dans la bande de Gaza, dont 58 enfants).

Une cohabitation à couteaux tirés

A mesure que les violences intracommunautaires ont escaladé en Israël, l’expression de « front intérieur » s’est imposée. « Pour bien comprendre : il ne s’agit pas d’affrontements entre Israéliens et Palestiniens. Il s’agit d’affrontements entre juifs et arabes, dans les deux cas israéliens » note Jean-Marc Four. Si l’engrenage de la violence est tristement familier, les proportions atteintes sont, elles, exceptionnelles, et inquiètent certains observateurs qui y voient les prémices d’une guerre civile dans les villes mixtes d’Israël (Lod, Ramleh, Saint Jean d’Acre, Jérusalem…). L’asymétrie des forces permet d’en douter, mais la cohabitation en Israël est aujourd’hui à couteaux tirés.

En cause, une vision de l’avenir du territoire qui se heurte à la réalité démographique sur le terrain. « On parle toujours des aspects géopolitiques, des relations internationales, des enjeux religieux. La démographie me semble être un marqueur fondamental, ne serait-ce que parce que c’est une bataille qui se joue à l’intérieur de toutes les familles. C’est une bataille des mères palestiniennes, et israéliennes (…) engagée des deux côtés. Pour ce qui est de Jérusalem, il faut savoir qu’en 1967, juste après la guerre des Six Jours, 25% de la population de Jérusalem était palestinienne. Aujourd’hui, cette proportion est de 40% », note ainsi l’historien Vincent Lemire.

Le bras de fer se fait donc quartier par quartier, maison par maison. Et ce d’autant qu’il n’existe pas de structure politique pour dialoguer et canaliser les colères. En Israël la démocratie patine. « Israël se méfie, non sans raison, du Hamas ou de l’Iran. Mais ce qui menace le pays aujourd’hui, c’est au moins autant sa propre dérive politique interne. Et cette situation est d’autant plus lourde de conséquences qu’Israël demeure la seule démocratie d’une région dominée par les autocrates et les monarques » souligne Jean Marc-Four.

Côté palestinien, la situation n’est pas meilleure, loin s’en faut. L’Autorité palestinienne de Cisjordanie se maintient au pouvoir depuis 2005 faute d’élections, au point d’en avoir perdu toute légitimité. Elle invoque le refus israélien d’autoriser le vote des Palestiniens de Jérusalem-Est. En réalité, le Fatah est concurrencé par le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza et dont la récupération des drames régionaux permis d’avancer politiquement. Avec sa réponse musclée à la crise de Jérusalem, ce dernier est parvenu à se positionner comme « le meilleur garant de la défense des Palestiniens et de Jérusalem », analyse Leïla Seurat, chercheuse associée au centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales.

Quelle sortie de crise ?

Compte tenu de ces blocages, une médiation est plus que jamais nécessaire. Mais l’UE est bien silencieuse, soucieuse de ne pas s’empêtrer dans ce cercle vicieux, et l’ONU n’a su produire qu’une cacophonie assez illisible. La diplomatie américaine, pour sa part, tente d’obtenir un cessez-le-feu, mais la tâche est délicate. Washington est en effet perçue comme très peu légitime pour rouvrir le dossier depuis le « le deal du siècle » de Trump, une tentative de monnayer le renoncement de soutien aux palestiniens des pays arabes. Ces derniers ont également brillé par leur silence, se gardant bien de s’indigner de l’attitude du pouvoir israélien. Tout juste ont-ils fait preuve d’une solidarité a minima, pour sauver les apparences.

« Les capitales arabes n’utilisent plus la revendication palestinienne que comme un cache sexe, un étendard, un simple objet de discours pour satisfaire leurs opinions publiques », note Jean-Marc Four. Seuls la Turquie et l’Iran – deux pays qui ne sont pourtant pas Arabes – ont violemment dénoncé la situation, sans pour autant proposer de solutions. Il faut s’attendre à ce que les dialogues soient assurés par jes États-Unis, qui se seraient bien passés de cette crise mais doivent représenter Israël, l’Égypte, voisine de Gaza, le Qatar qui a des liens privilégiés, notamment financiers, avec le Hamas et la Jordanie, le principal intermédiaire historique du conflit.

Il est fort à parier que le Hamas cherche sous peu à calmer le jeu, après avoir su marquer des points politiquement. Rappelons en effet que des élections unies pour la Palestine étaient prévue le 21 mai, et auraient mené à une voix unique dans le dialogue avec Israël. Aussi, paradoxalement, on peut dire que le Hamas et Netanyahu avaient tous deux intérêt à un pourrissement de la situation, le premier pour radicaliser les électeurs palestiniens, le second pour éviter l’émergence d’une voix unique palestinienne. En revanche, Israël a été surprise par la réponse armée du Hamas aux tensions sur son territoire – tant par sa rapidité que par son intensité.

Netanyahu ne veut aujourd’hui pas compromettre son image d’homme fort qui lui a valu son succès politique. Et sans lui, la droite israélienne ne bougera pas d’un iota, au point de se voir reprocher d’avoir « perdu sa lucidité ». Son ouverture sera d’autant plus délicate avec la progressive prise de conscience de l’enjeu démographique par l’extrême droite israélienne, sur laquelle le Likoud compte pour tenter de se maintenir au pouvoir. Mais à mesure que la répression continue, la défiance progresse et le « front intérieur » se renforce. Aussi, même si un compromis politique était trouvé par des parties qui se nourrissent de la crise, rien ne garantit que cela permettra de calmer les colères de la rue.

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