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La victoire des indépendantistes écossais annonce un nouveau bras de fer avec Londres

Les écossais se rendaient aux urnes pour les élections du Parlement local samedi 8 mai. Si le scrutin semble secondaire au plan de relations internationales, le Parlement écossais ne traitant que de questions propres au pays, lui-même intégré au sein du Royaume-Uni, leur résultat joue un rôle crucial pour l’avenir de l’union : il servait en effet du premier état des lieux au sein d’une écosse pro-européenne (62% des électeurs se sont prononcés contre le Brexit) après le divorce avec l’UE. Un contexte qui semblait donc sourire au parti indépendantiste écossais, le SNP de Nicola Sturgeon, qui concourrait pour un quatrième mandat à la tête de cette nation britannique.

Le SNP est une formation de centre gauche qui est au pouvoir depuis 14 ans. Sa dirigeante comptait sur ce scrutin pour obtenir un nouveau vote sur l’indépendance écossaise auprès de Londres, après un premier vote défavorable en 2014. Leur argumentaire : le Brexit a tout changé, la majorité des écossais ayant voté contre, et il faut désormais s’assurer que le pays désire toujours rester au sein d’une union britannique qui lui impose un divorce très impopulaire. Aussi, pour le SNP, l’enjeu était de réaliser un meilleur score afin de montrer que le Brexit avait bel et bien nourri la volonté indépendantiste en Écosse, rendant un nouveau référendum inévitable.

Le SNP partait déjà d’une position de force : 63 sur les 129 sièges que compte le Parlement écossais, et une large majorité des sièges écossais à la Chambre des communes de Londres. Il est en outre depuis plusieurs mandats en tête dans toutes les régions sauf les « Borders », régions frontalières avec l’Angleterre, qui seraient le plus impactées par l’indépendance. « La question n’était pas de savoir si [les indépendantistes] allaient gagner, mais dans quelles proportions », résume le journal écossais indépendantiste The National. Ou plus spécifiquement, si malgré un système électoral défavorable, le SNP arriverait à gagner les deux sièges qui lui manquaient pour obtenir seule une majorité absolue.

Une victoire, mais pas de déculottée

Le verdict est ambigu : les indépendantistes n’ont en effet pas atteint le chiffre bascule de 65, ne progressant que d’un siège. La victoire reste cependant nette : les conservateurs écossais arrivent en deuxième position avec 31 députés seulement. En outre, les Verts, également en faveur d’une séparation avec le Royaume-Uni, remportent huit sièges (deux de plus que lors de la dernière mandature) permettant la formation d’une majorité absolue en faveur de l’indépendance. Aussi, le résultat a fait dire à Nicola Sturgeon que « toute tentative du gouvernement britannique de bloquer [le référendum] serait une insulte à la démocratie ».« Compte tenu du résultat de cette élection, il n’y a simplement aucune justification démocratique, de la part de Boris Johnson ou de quiconque, à interdire au peuple écossais de choisir son futur », estime-t-elle.

Si Sturgeon crie victoire, la situation est plus nuancée. Les partis indépendantistes obtiennent en effet la majorité absolue, mais la marge n’est pas si importante. En outre, la Première ministre écossaise pensait pouvoir surfer sur son excellente communication lors de la crise du Covid-19, et sur sa gestion plus prudente, plus humaine que celle de l’Angleterre. Selon ses propres dires, les écossais « se sont rendu compte de l’avantage d’être autonomes dans nos prises de décisions, que les choses marcheraient peut-être mieux si nous avions plus d’autonomie, et ont tiré leurs propres conclusions ». Or, les résultats montrent un progrès plus mitigé que ce que le SNP aurait pu espérer. L’ambitieuse campagne de vaccination de Johnson lui aura sans doute également permis de sauver les meubles avec les conservateurs et indécis écossais.

Les risques de la politique de l’autruche

Pour autant, le dirigeant conservateur n’est pas sorti des turbulences. De plus en plus contesté dans son propre pays, il doit désormais entamer un bras de fer avec un Écosse plus vigoureuse et déterminée que jamais auparavant. Et ce alors même que son maintien à la tête du Royaume-Uni n’est pas lié à sa gestion du pays, mais bien au fait que la situation est tellement délicate que bien pratiquement aucun autre dirigeant voudrait être sa place. Seulement, plus il reste au pouvoir, et plus le sentiment pro-indépendance grandira en Écosse. Son élection, sa politique, son soutien acharné à un Brexit dur ont fait et continuent de faire monter l’envie d’autodétermination dans l’opinion.

« Boris Johnson représente tout ce que les écossais détestent : un conservateur anglais issu de l’élite qui a reçu une éducation privée à Eaton, qui porte une vision extrêmement anglo-centrique de l’union» résume Fiona Simpkins, maître de conférences en études anglophones à l’Université Lumières Lyon 2.  Mais son refus d’accorder aux Écossais un nouveau référendum “va probablement devenir intenable. Plus il attend, plus il fragilisera l’union et renforcera le soutien à l’indépendance” déplore The Scotsman, journal écossais favorable au maintien au sein du Royaume-Uni.

Cette impopularité inquiète les conservateurs. Dans un éditorial, le journal conservateur The Spectator note ainsi qu’une partie de l’électorat écossais n’a pas encore d’avis tranché sur l’indépendance, et que c’est à eux que Londres devrait s’adresser. « La meilleure réponse c’est qu’aujourd’hui, alors que le Royaume-Uni se remet de la pandémie, ce n’est pas le moment. C’est l’argument que les indécis trouveront le plus convaincant » peut-on lire. Une position qui semble reconnaitre qu’il vaut mieux éviter un vote lorsque l’on a des doutes sérieux sur sa victoire (David Cameron peut en prendre de la graine). Une position qui risque également de faire basculer nombre d’indécis vers l’indépendance en privant l’Écosse de sa voix – le cheval de bataille du SNP.

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