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Narendra Modi paie le prix politique de sa gestion précipitée de la Covid-19

La semaine dernière, l’Inde comptabilisait à elle seule 40% des contaminations mondiales au Covid-19. Le nombre de nouveaux cas a été multiplié par cent en quelques semaines et les chiffres se sont depuis encore dégradés. Plus alarmant encore, les autorités ayant été prises de court par cette explosion des contaminations, ces estimations sont probablement bien en deçà de la réalité : « les statistiques officielles sont sans doute à multiplier par 10 ou  par 30, notamment à New Delhi, à en juger par les bûchers funéraires  improvisés jusque sur les parkings » mettait ainsi en garde Christine Ockrent sur France Culture.

« La tragédie indienne ne peut pas faire l’économie d’une introspection, d’une interrogation sur ce retour de pandémie auquel le pays n’était visiblement pas préparé. Et au cœur de cette interrogation, il y a le premier ministre indien, Narendra Modi », soulignait justement Pierre Haski sur France Inter. Ou davantage même l’« hubris de M. Modi », selon le chercheur associé à l’Iris spécialiste de l’Inde Jean-Joseph Boillot. Le dirigeant populiste avait vanté la réussite indienne face au virus lors du forum de Davos en janvier dernier. Ce discours sur le « cadeau » que l’Inde avait fait au monde prend aujourd’hui des aspects proprement tragiques.

Les imprudences de Narendra Modi

Soumitra Ghosh, du Centre for Health Policy de l’Institut Tata des Sciences sociales à Mumbai, dénonce pour sa part « un manque flagrant de préparation et de stratégie de la part du gouvernement », qui a laissé le pays se rouvrir sans précautions, alors que seule 1,1 % de la population avait été entièrement vaccinée. Avec la reprise du tournoi de cricket, très populaire en Inde, et la multiplication des meetings géants dans la campagne électorale du Bengale occidental, Modi aurait ainsi créé des conditions très favorables à la reprise de l’épidémie. Une responsabilité sont il paie désormais le prix : son parti, le BJP, y a été défait par l’opposition régionaliste, le Trinamool Congress.

Cette défaite est un camouflet d’autant plus personnel que Modi avait activement fait campagne pour tenter de s’imposer dans cet état accueillant 90 millions d’habitants. Mais la déconvenue n’est pas isolée : Au Tamil Nadu, le Dravida Munnetra Kazhagam a également défait la coalition mise en place par le BJP, et au Kerala, état traditionnellement de gauche, le BJP s’éloigne encore davantage du pouvoir. Et pour cause : le laxisme du gouvernement n’a pas échappé à la population. « La campagne d’immunisation n’a pas été prise sérieusement », résume Dr. Anupama Singh de l’hôpital Vimhans Nayati. « Ce gouvernement s’est reposé sur ses lauriers, et nous en payons le prix aujourd’hui. »

Pour Christophe Jaffrelot, directeur de recherche au CERI–Sciences Po et au CNRS, la gestion indienne s’est faite « par le déni » ce qui est un « symptôme du syndrome national-populisme ». L’irrationalité de Modi a en effet contribué à accélérer cette pandémie, comme ça a été le cas au Brésil, mais aussi aux Etats-Unis lors de la fin de la présidence de Trump. La politique du slogan s’accommode en effet mal des précautions sanitaires. « Je vous avais promis la lune, elle est là » résume le chercheur. « Au complotisme, à la désinformation, les fake-news, qui font le quotidien du populisme » il faut ajouter « une sorte de sacralisation de cet appareil du déni et du mensonge ».

Des vaccins aux variants

Face à la débâcle, Modi a annoncé ce 1er mai rendre la vaccination accessible aux 600 millions d’adultes du pays, sans discrimination. Mais cette ouverture intervient au moment même où plusieurs états alertent sur la pénurie de vaccins, et risque à ce titre de rester un vœu pieux compromis par le rejet de tous les avis contradictoires qui pourtant devraient compter. Et ce d’autant qu’il est trop tôt pour avoir une visibilité claire de l’impact des nouveaux variants du pays sur les taux de contaminations. Seule certitude pour l’heure, la catastrophe indienne a mis un coup d’arrêt à sa diplomatie du vaccin (l’Inde fournissait sensiblement ses voisins, concurrençant directement la Chine, dont les vaccins ont connu un succès tout relatif).

Autre difficulté, l’Inde ne reçoit plus, notamment des États-Unis, certaines des composantes nécessaires à la production de vaccins. Aussi, le pays souvent pointé du doigt pour son rôle dans la délocalisation, semble lui aussi victime de l’internationalisation de chaines de production. Un coup dur à l’appareil pharmaceutique national dont Modi voulait faire un des fleurons du développement indien. Cette perspective semble non seulement aujourd’hui bien lointaine, mais pire encore, les pays voisins de l’Inde l’accusent désormais pour la reprise sans précédent de l’épidémie sur leurs propres territoires – notamment du fait de l’apparition de variants.

Le Cambodge vit ainsi sa première flambée épidémique, la Thaïlande est frappée par une nouvelle vague de Covid-19 et le Laos connait lui aussi un rebond inquiétant des infections. S’il est trop tôt pour rattacher ces évolutions à la dégradation de la situation sanitaire indienne, les reproches n’ont pas attendu les enquêtes, froissant encore davantage l’image de Modi. « Son incurie face au Covid-19 n’a rien à envier aux mensonges initiaux de la Chine l’an dernier, qui ont été justement décriés » rappelle Pierre Haski. Reste à savoir s’il sera le prochain populiste à tomber devant le cruel révélateur qu’a été le virus.

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