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Conférence de Berlin II : quels espoirs pour la paix en Libye ?

Le 23 juin, l’Allemagne va accueillir la deuxième conférence sur la paix en Libye. La voie vers la paix en Libye passera-t-elle donc par Berlin ? La réponse dépendra de la volonté des participants à intégrer toutes les parties prenantes afin d’éviter un nouvel embrasement.

Un an et demi après la Conférence de Berlin sur la Libye, une nouvelle rencontre aura lieu en Allemagne sous l’égide de l’ONU. Pour la première fois, le gouvernement de transition libyen, formé en début d’année, se rendra aux pourparlers sur l’avenir du pays. Il s’agit du couronnement d’un tortueux processus lancé par l’ONU, qui a déjà permis deux avancées majeures : un accord de cessez-le-feu a été signé le 23 octobre dernier, suivi par des échanges de prisonniers, et la levée du blocage des sites pétroliers, utilisés comme un outil de négociation politique par différentes factions. Ce retour à un calme relatif devrait permettre une meilleure distribution des richesses dans un pays économiquement exsangue, mais aussi de réduire le fossé entre l’Est et l’Ouest de la Libye.

L’idée est désormais de poursuivre dans la capitale allemande le processus de paix libyen en profitant de la formation de ce gouvernement de réconciliation où se retrouvent à la fois les forces de Tripolitaine (Ouest) et de Cyrénaïque (Est). Jusqu’à présent, les discussions s’achoppaient sur l’opposition entre les partisans d’une solution militaire – qui ont soutenu massivement leurs alliés avec des équipements militaires et des mercenaires – et ceux d’une solution politique. En décembre, l’ONU estimait que près de 20 000 mercenaires et combattants étrangers se trouvaient en Libye – des Russes du groupe privé Wagner, des Tchadiens, des Soudanais, des Syriens mais aussi plusieurs centaines de militaires turcs déployés afin de soutenir leur allié tripolitain -.

Un départ des forces étrangères déployées en Libye est-il envisageable ?

La prochaine étape est de tenter d’organiser le départ des forces étrangères du sol libyen – une demande maintes fois réitérée par les Occidentaux, mais qui se heurte aux Russes d’un côté et aux turcs de l’autre. Ces derniers sont particulièrement réticents, car la survie de leur allié de Tripoli n’est due qu’à leur soutien militaire in-extremis lors de la « bataille de Tripoli » (avril 2019-juin 2020) et au déploiement de mercenaires syriens pro-Ankara. Dernier épisode armé majeur, cette flambée opposait le gouvernement de la capitale au maréchal Haftar, officiellement soutenu par les Russes.

A la veille de cette rencontre, Ankara tente de peser de tout son poids sur l’Allemagne – notamment a travers son importante diaspora très mobilisée – pour continuer à défendre ses intérêts. « Près de 3 à 4 millions de concitoyens d’origine turque vivent en Allemagne. Et (…) nous avons de forts intérêts économiques dans le Bosphore puisqu’un certain nombre de nos chaînes d’approvisionnement industriel passent par la Turquie », rappelle ainsi Günter Seufert, Directeur du Centre pour les études sur la Turquie de l’Institut Allemand de Politique Internationale et de Sécurité (SWP).

 « Erdogan, fait le ‘spectacle’ avec des interventions qui sont provocatrices, polémiques, intempestives. Mais sur un plan strictement technique, tout relève d’une stratégie placide, séquencée, froide et imperturbable » décrypte Jalel Harchaoui, chercheur à l’Initiative Globale contre le crime organisé transnational. « La démarche suit un double objectif. Le premier est d’écraser le maréchal Haftar. (…) Le second est de réellement s’enraciner dans le pays et de faire du business, de raviver des contrats qui représentaient quelque 20 milliards d’euros avant la chute de Mouammar Kadhafi », poursuit-il.

Que faire contre la menace du fondamentalisme ?

Nombre d’observateurs se sont ainsi inquiétés du fait que l’ombre de la Turquie plane sur la rencontre berlinoise. Une situation illustrée par l’absence de représentants du camp Haftar à la table des négociations, alors même l’emprise territoriale est pourtant très marquée en Libye (il contrôle 70% du pays) ce qui en fait un acteur incontournable. En outre, Haftar contrôle encore la majorité des zones pétrolifères du pays, et pourrait à tout moment décider de bloquer la relance de l’économie nationale s’il se sentait ignoré.

Enfin, le rôle de l’homme fort libyen dans la lutte – encore très actuelle – contre les djihadistes qui se sont implantés dans le pays est également pointée du doigt. Et ce d’autant que leur rapprochement avec le gouvernement de Dbeibah est de plus en plus visible à un moment où la recrudescence du terrorisme dans la Sahel inquiète. De plus, le soutien implacable de la Turquie aux Frères musulmans et les velléités de reconstitution d’un empire affichées par Erdogan font douter de sa bonne foi lorsqu’elle assure soutenir une solution inclusive.

Les espoirs sont élevés pour cette nouvelle conférence, mais ils pourraient bien être douchés car certains n’ont aucun intérêt à ce que la crise se résolve. Comme on l’a vu en Tunisie ou en Egypte après le printemps arabe, plus la pauvreté s’enracine, plus les fondamentalistes islamistes disposent d’arguments pour embrigader une population aux abois.

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