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Taïwan : ce qui rend une guerre improbable

Hongkong devait servir d’exemple. Pékin assurait que l’intégration pacifique de la presqu’île, censée s’achever en 2047, servirait de modèle à la réunification avec la République de Chine, nom officiel de Taïwan. Les choses ne sont pas passées comme prévu : alors que la Chine mettait en œuvre une politique de plus en plus autoritaire, Hongkong a protesté, en vain. Toute opposition a été écrasée, malgré un mouvement de résistance qui a brièvement viré à la guérilla urbaine. Le régime finalise aujourd’hui sa mainmise avec les dernières touches de sa prise de pouvoir : le musellement de la presse locale. Autant pour les promesses du Parti communiste chinois (PCC) de respecter la démocratie et les droits de l’homme. Un exemple glaçant pour Taïwan, qui suivait la situation avec la plus grande attention.

Les habitant de l’île dont à nouveau plébiscité la présidente sortante Tsai Ing-wen, opposée à une réunion avec la Chine continentale, début 2020. Une réaction claire aux exactions hongkongaises, mais aussi aux ambitions hégémoniques réaffirmées de Pékin : le pays sera réunifié quels qu’en soient les moyens affirmait ainsi le Président chinois Xi Jinping un an plus tôt. Un rappel que Pékin n’exclut en aucun cas la force pour forcer l’île à rester dans son pli. Ces sorties font craindre à certains une reprise des hostilités qui risquerait d’escalader jusqu’à un embrasement dans le détroit de Formose et une confrontation militaire avec les États-Unis qui soutiennent Taïwan. Qu’en est-il vraiment ?

L’équilibre de la peur

De fait, l’île résiste à la Chine depuis 1949. Les tentatives d’intimidation, comme en 1995 et 1996, lorsque Pékin avait lancé des missiles dans les eaux taïwanaises pour tenter de dissuader les électeurs de reconduire le président Lee Teng-hui, n’ont pas fonctionné. La propagande massive qui a suivi, visant à polariser le pays et fragiliser sa démocratie, n’a pas non plus fonctionné. De plus, une invasion directe de l’île bordée de falaises est improbable – elle demanderait une logistique d’une complexité très élevée et un coût – humain, économique – difficilement justifiable, même pour le très puissant Xi Jinping. Sans parler de la réponse américaine – une puissance nucléaire.

Les sorties bellicistes du Président chinois semblent donc davantage des fanfaronnades adressées à l’opinion chinoise – à l’image d’un Trump – que de véritables annonces militaires. Le nationalisme d’état chinois provoque des surréactions, note ainsi Lionel Fatton, de la Webster University de Genève (Geopolitis, Taïwan, scénarios de guerre). La branche dure du PCC qu’il incarne joue sur le « siècle d’humiliation » et dénonce toute initiative visant à pénaliser les intérêts chinois comme une tentative de relayer la Chine à sa pauvreté d’antan. De fait, la seule action susceptible de mettre le feu aux poudres semble être une déclaration unilatérale d’indépendance – provocation dont Taïpei se garde.

Si la guerre ouverte ne semble donc pas à l’ordre du jour, le conflit mineur reste pour autant une option pour Pékin, notamment avec un déploiement sur les îles appartenant à Taïwan les plus proches de sa côte (en particulier Kinmen, très proche des côte chinoises). Le cas échéant, les soutiens occidentaux de Taïpei se trouveraient dans une situation inconfortable, similaire au grand flou qui a suivi l’assimilation de la Crimée par Moscou. Les sanctions alors adoptées ont montré leur portée limitée : la Russie n’a pas reculé, et son économie en est sortie renforcée à moyen terme, la consommation interne se substituant aux échanges avec les européens.

Le marché aux puces

Il existe toutefois une différence de taille qui pousse la Chine à exclure de fait la solution militaire pour sa réunification. Contrairement à Hongkong, dont l’importance pour les économies chinoise et mondiale a progressivement été rognée par la montée en puissance spectaculaire d’autres grandes places boursières chinoises, l’île est essentielle au bon fonctionnement de l’économie mondiale. Il s’agit du 17ème importateur mondial d’après l’OMC (dont elle est membre). Une position liée à l’hégémonie de l’entreprise Taïwan semiconductor manufactoring facrtory (TSMC) qui représente en effet à elle seule les ¾ du marché des semi-conducteurs – ce puces nécessaires à la fabrication de produits électroniques.

La dépendance à TSMC a été rendue d’autant plus visible avec la pandémie, la pénurie de semi-conducteurs ayant mené à l’arrêt d’usines Renault, Volkswagen, General Motors… La santé des grandes sociétés de la Silicon Valley – et dans une moindre mesure, Coréennes – sont également très dépendantes de la production du groupe. Mais plus largement, une invasion de l’île provoquerait une coupure de la chaine logistique inacceptable pour de nombreuses économies – notamment le Chine, qui est aujourd’hui encore l’usine du monde en matière de fabrication de circuits. Consciente de sa dépendance à sa « sœur ennemie », elle a investi 18,7 milliards de dollars dans la fabrication de puces en 2020. La Chine a ainsi devancé Taïwan (17,15 milliards) et la Corée du Sud (16,08).

Une course contre la montre

Les États-Unis et l’UE ont tous deux également lancé des programmes pour sortir de cette dépendance. Si les deux blocs développent de capacités en mesure de concurrencer TSMC – ce qui prendra un certain temps compte tenu de l’avance technologique du groupe sur tous ses concurrents – Taïwan risque de voir sa position fragilisée. Cela sera encore plus vrai si la Chine parvient elle-même à rattraper son retard. L’importance stratégique majeure de ces puces n’a pas échappé à Washington, qui a multiplié les mesures pénalisant les géants de l’innovation chinois – l’exemple de Huawei est à ce titre éclairant : il s’agit re ralentir le progrès technologique chinois.

Cette stratégie d’endiguement perdra en efficacité à mesure que la consommation interne chinoise prend le relai sur ses exportations. Mais ce transfert, activement soutenu par la politique du PCC depuis plus de dix ans, risque d’être affecté par le vieillissement rapide de la population chinoise (résultat de la politique de l’enfant unique). Il s’agit là du grand défi social que devra gérer Pékin. La Chine devra soutenir ses retraités trop nombreux pour la population active. En outre, structurellement la Chine s’est développée sur une main d’œuvre abondante et bon marché. Le renversement démographique causera toutefois une augmentation du prix de production, ce qui va peser sur une économie déjà en ralentissement, dans un pays où le coût de la vie ne cesse de croître.

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