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Vers un renouveau de l’axe occidental ?

« L’Amérique est de retour », ce qui n’est pas sans provoquer un certain scepticisme chez les européens – si ce n’est les dirigeants, au moins la population. Joe Biden veut reformer le front des démocraties face aux autocrates, mais le soft power américain a été mis à mal, à la fois par les quatre années de la Présidence de Trump et par sa gestion catastrophique de la pandémie de COVID-19 – qui a tué près de 600 000 Américains. Le nouveau Président entend tourner la page en s’appuyant sur les trois « C » : Covid, climat, Chine.

Le dernier volet à cette stratégie du grand retour est l’appel américain pour instaurer une politique fiscale unique, basée sur un taux minimum de 15% pour l’impôt sur les sociétés au sein du G7, G20, puis de l’OCDE. « L’idée, c’est vraiment que ce soit les pays d’origine des multinationales qui soient habilités à taxer leurs multinationales » explique Vincent Vicard, économiste, responsable du programme Analyse du commerce international au Centre d’études prospectives et d’informations internationales. « Typiquement, pour une entreprise française qui aurait une filiale dans un paradis fiscal et qui paierait 3 ou 4% d’imposition sur ses bénéfices déclarés là-bas, la France récupérerait le droit de taxer » la différence, note-t-il.

Cette politique qui entend mettre un terme à la couse au moins-disant qui s’est ouverte au milieu des années 1980 et qui servait encore récemment de dogme au sein des institutions internationales. Elle s’appuyait sur la théorie du ruissellement, aujourd’hui réfutée par tout économiste sérieux. Ce culte de hyperconcurrence a été particulièrement néfaste en Europe, où l’absence de frontières a renforcé le dumping fiscal. Les exemples sont nombreux : la semaine dernière l’analyste Pascal Boniface rappelait qu’une filiale de Microsoft basée en Irlande avait fait des profits de 315 milliards de dollars sans payer d’impôts.

L’Europe toujours divisée

Cet accord changerait la donne, en particulier entre Européens. La réaction à cette annonce y a été, sans grande surprise, hétérogène. Tous les pays ayant fait foi d’une fiscalité minime, au prix d’une gigantesque évasion fiscale, afin d’attirer les entreprises sur leur territoire sont aujourd’hui vent debout contre ce projet – Irlande en tête. La partie s’annonce complexe, et ce qu’autant que l’unanimité est nécessaire pour avancer sur les questions fiscales au sein de l’UE.

On retrouve ces divisions profondes dans une enquête du German Marshall Fund et de la Fondation Bertelsmann sur la perception des États-Unis après le « rebond Biden ». Les résultats montrent un bloc pétri de contradictions : 76 % de polonais pensent que les États-Unis sont un allié fiable, contre 67 % des britanniques, 60% des française et seulement 51% des allemands. Autrement dit, malgré les mains tendues de la nouvelle administration, les européens qui ont été froissés par Trump restent prudents, alors que les traumatisés de l’occupation soviétique continuent d’afficher une loyauté sans faille.

La forte défiance allemande à l’égard de Washington peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Il y a d’abord l’effet Nordstream, illustration éloquente de l’ingérence économique permise l’extra-territorialité du droit américain. Il faut aussi se rappeler des liens étroits en Berlin et Pékin, en particulier après que le marché chinois ait pris le pas sur les consommateurs européens de moins en moins capables d’acheter les produits allemands à mesure l’économie ralentit – notamment sous l’effet de la politique économique dictée par l’Allemagne, non sans ironie.

De fait, malgré des professions d’ambition géopolitique, l’UE se cherche encore. Elle ne pourra avoir une politique unie qu’à travers une certaine harmonisation – condition sine qua non d’un alignement des intérêts des États membres. Cela passera aussi nécessairement par l’affirmation de nos divergences avec nos alliés, de sorte à pouvoir copiloter le nouvel axe occidental qui se forme. Cette majorité stratégique devrait servir à « réformer la relation transatlantique » explique Alexandra de Hoop-Scheffer, politologue, spécialiste de la relation transatlantique, directrice du bureau parisien du think tank The German Marshall Fund of the United States.

Le risque d’otanisation du rapport avec la Chine

Ces évolutions interviennent au moment même où les européens sont en train de définir leur stratégie euro-pacifique – en particulier en ce qui concerne l’organisation d’une défense contre la Chine. Les derniers rapports européens montrent une volonté d’aller plus loin qu’une simple protection à l’égard des appétits chinois (5G, réciprocité des marchés publics, outils anti dumping…). Il s’agit des prémices d’une réponse au défi économique, technologique et idéologique – en particulier dans les grandes institutions internationales – posé par Pékin.

Certains commentateurs, à l’image de François Heisbourg, Conseiller spécial à l’International Institute for Strategic Studies, parlent d’« éveil géopolitique européen ». En tout cas, il s’agit d’une prise de conscience du camp occidental, qui pensait qu’il allait passivement évangéliser le monde avec les droits de l’’homme, que la partie est loin d’être gagnée. Aussi faut-il identifier les dossiers sur lesquels une entente est possible et ceux qui nécessitent un rapport de force avec Pékin. Les membres du G7 réunis en Angleterre se sont ainsi entendus samedi 12 juin pour proposer aux pays en développement un programme pour contrer les « Nouvelles routes de la soie ». Ils dénoncent un instrument de domination à la fois économique et politique, s’appuyant notamment sur le « piège de la dette ».

Une position qui illustre également le fait que Washington garde sa capacité d’entrainement. Biden, qui regarde chaque jour un peu plus vers le Pacifique, essaie de peser un maximum pour multiplier les points d’alignement entre l’Europe et les États-Unis. Mais si les intérêts communs sont nombreux, cette alliance ne doit pas se faire à n’importe quel prix. Il faut notamment prendre gare à ne pas s’oublier et céder à l’obsession chinoise des États-Unis. L’Europe est incontestablement plus proche du modèle proposé par les États-Unis que celui défendu par la Chine. Mais quand Washington parle de Chine à l’Otan, cela a pour conséquence de militariser le sujet et entraîner l’UE dans un « tout confrontation » qui est non seulement contraire à ses intérêts économiques, mais surtout dangereux.

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