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Centenaire du Parti communiste chinois : entre nationalisme et crise d’identité

President Xi Jinping

Le 1er juillet, la Chine célébrait le centième anniversaire de la naissance de son tentaculaire Parti communiste (PCC). « Fort de plus de 92 millions de membres, le PCC irrigue toute la société, les entreprises, les villes comme les campagnes, les armées, l’éducation, la santé, les milieux d’affaires… » notent ainsi Emmanuel Véron Enseignant-chercheur à l’Inalco et Emmanuel Lincot, Spécialiste de l’histoire de la Chine contemporaine, dans la Tribune. Il est aujourd’hui l’organe autoritaire le plus populaire du monde s’appuyant de de réels succès : croissance économique (bien qu’elle ait ralenti ces dernières années), réduction de la pauvreté, progrès scientifiques, essor de sa puissance militaire.

A cela il faut ajouter une communication tapageuse sur ses succès pour enrayer la pandémie de Covid-19 – largement destinée à faire oublier que le pays en est certainement le responsable. Cette dernière a même réussi à convaincre nombre d’occidentaux, bien que l’image de la Chine soit au plus bas dans les pays développés. De plus, malgré les déclarations triomphalistes, la page est loin d’être tournée. A titre d’exemple, le Monde notait que « les journalistes qui assistaient à la cérémonie du 1er juillet devaient avoir reçu un vaccin chinois avant le 15 juin, avoir fait un test de dépistage le 29 juin et accepter d’être placé le 30 juin en quarantaine dans un hôtel de Pékin, où ils étaient soumis à un deuxième test ! ». Signe qu’en Chine les efforts sanitaires continuent.

De fait, les festivités du 1er juillet servaient de grade répétition pour 2049, où le PCC célèbrera son accession au pouvoir. Le parti a en effet été créé en juillet 1921 par quelques intellectuels à Shanghaï, et n’a pris son essor pour véritablement peser sur l’histoire du pays que par la suite. Il ne contrôle le pays que depuis l’instauration de la République populaire – et la scission avec Taïwan – en 1949. L’évènement n’en reste pas moins l’occasion de sonder la communication d’un régime opaque pour qui la maîtrise de l’information – interne et externe – et de l’histoire est une obsession. « C’est un fait majeur, la Chine se coupe progressivement du monde sur le plan de l’information. Elle se barricade derrière sa muraille numérique, comme dans un vase clos » analyse Jean-Marc Four sur France Inter. Une politique mise en œuvre dans le fameux Document n°9, qui définit les sept sujets tabous en Chine : valeurs universelles, liberté de la presse, société civile, droits civiques, indépendance de la justice, « erreurs historiques du Parti » et « connivences entre les affaires et la politique ».

Une célébration du nationalisme chinois

Le premier message qu’a voulu faire passer le Parti lors de cet anniversaire, est que la Chine est toujours résolument communiste. L’intégralité du Bureau politique du Parti a ainsi renouvelé son serment de loyauté et de fidélité à sa doctrine, alors l’ambassadeur de Chine à Londres est allé fleurir la tombe de Karl Marx pour l’occasion. Pourtant, force est de constater que depuis son ouverture en 2000 aux chefs d’entreprises et autres professions supérieures, il compte désormais largement plus de cadres que d’ouvriers. Mais cet attachement tout symbolique fait partie du récit qu’impose le PCC, soucieux du fait que la reconnaissance de ses erreurs du passé par l’URSS ait causé sa perte. Aussi, pour le parti, Marx et Mao sont les deux parents du « grand renouveau de la nation chinoise ».

Ce qui nous amène au seconde point fort de cette cérémonie : la célébration assez décomplexée du nationalisme chinois. Le Président à vie Xi Jinping n’a en effet eu de cesse de mettre les « impérialistes » qui auraient l’audace de vouloir s’opposer à l’assertion inévitable et légitime de la Chine – « la nation chinoise est entré dans une phase historique irréversible » a-t-il déclaré. Un positionnement intéressant car il veut s’inscrire dans une histoire chinoise une et indivisible, et réconcilier la nation. « La puissance nationale (…) se revendique non seulement de l’héritage maoïste, mais s’inscrit aussi dans la continuité d’une histoire millénaire. Celle-ci était autrefois rejetée comme féodale, elle est aujourd’hui revendiquée au nom de la fin de la parenthèse du ‘siècle d’humiliation’ que l’Occident a fait subir à l’empire du milieu » note ainsi l’analyste Pierre Haski dans un billet consacré à la cérémonie.

Ce tournant idéologique a été l’œuvre de Wang Huning, qualifié d’ « homme à penser » de Xi Jinping par Emmanuel Lincot, chercheur associé à l’IRIS spécialiste de la Chine. C’est lui qui a donné le ton accompagnement le durcissement du régime, et qui côté chinois a contribué à souffler sur les braises dans le rapport de force avec les Etats-Unis – qui n’ont eux-mêmes pas manqué de pyromanes. C’est aussi sa doctrine qui est de plus en plus décriée, tant par la frange modérée du PCC qui déplore son bellicisme inutile, en opposition totale à la réserve prônée par Deng Xiaoping, architecte de la réforme qui a été le point de départ de la véritable renaissance économique chinoise (ce dernier parlait de « deuxième révolution de la Chine »). Xi Jinping, quant à lui, « fait davantage figure de Don Quichotte que d’homme politique responsable » note Emmanuel Lincot.

Homogénéité et doutes

Les célébrations se voulaient donc une réponse aux inquiétudes d’une partie de l’appareil causées par l’isolement croissant de la Chine. Xi Jinping a répété le mot « humilité » (qianxun) tout au long de son intervention. Pour autant, il y a très peu de chances pour qu’il relâche son emprise sur le pays. Le divisions dans le parti ne sont pas neuves – on se souvient des rivaux de Mao, tous éliminés politiquement sinon physiquement. On peut aussi rappeler le sort de Bo Xilai, ancien rival de Xi Jinping, condamné à la prison à vie pour corruption – une peine politique faite sur mesure pour l’écarter du pouvoir. Aujourd’hui c’est le Premier ministre Li Keqiang, visiblement en désaccord sur plusieurs dossiers avec le camarade président, qui incarne la nouvelle résistance à la dureté du pouvoir présidentiel.

On retrouve ces mêmes doutes au sein d’une part croissante de la population la population. Le rejet des valeurs travail et d’enrichissement ainsi que de la politique productiviste du « 996 » prônée par le président Xi Jinping (des journées de 9 heures du matin à 9 heures du soir, six jours par semaine) en est une illustration – en particulier chez la jeune génération. Ce phénomène est bien illustré par la mouvance Tang Ping (« rester allongé ») qui s’est diffusé un peu partout dans le pays notamment via le réseau social chinois Douban. Un désaveu qui conforte les inquiets au sein du PCC. « Le nationalisme est la seule chose qui reste avec la légitimité matérielle. Si le développement économique ralentit ou s’arrête, le roi sera nu. Tout est basé sur le mensonge et l’occultation de l’histoire réelle du PCC » souligne ainsi le directeur d’études à l’EHESS Michel Bonnin.

Les enjeux auxquels la Chine fait face sont nombreux et complexes : inégalités sociales, natalité en berne en dépit des injonctions du parti, impact écologique, un niveau d’endettement très élevé, chômage, accidents industriels majeurs, risques de conflits régionaux et internationaux embrasés par un discours nationaliste… « A force de se raidir, le système pourrait finir par casser. Le moment est délicat, il y a des fragilités. Mais pour l’instant, tout est sous contrôle », relativise malgré tout le spécialiste de la Chine François Godement. « Et quoi qu’on en dise, ces célébrations sont une démonstration de force. »

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