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En Europe, les intempéries sont aussi politiques

Des orages d’une grande violence entre le 14 et le 15 juillet ont fait au moins 191 morts en Europe – principalement en Allemagne (160) et en Belgique (31). Les crues, coulées de boue et glissements de terrains provoqués par ces pluies diluviennes ont également causé d’importants dégâts au Luxembourg, aux Pays-Bas et en Suisse. « Il se pourrait que ces inondations soient les plus catastrophiques que notre pays ait jamais connues », a constaté le premier ministre belge, Alexander De Croo. Un constat partagé en Allemagne, où certains commentateurs parlent du pire désastre qui ait touché le pays depuis 194.

Des dizaines de personnes sont encore portées disparues en Rhénanie-Palatinat et en Rhénanie-du-Nord-Westphalie (Allemagne) et les autorités locales on mis en garde contre « la découverte prochaine de plus de morts ». La météo est en effet retournée aux normales saisonnières, dévoilant des images de désolation pour ce qu’on appelle déjà les inondations « du siècle » : maisons submergées, voitures empilées, routes effondrées… Le gouvernement allemand a fait savoir qu’il travaillait à la mise en place d’un fonds d’aides spéciales, alors que le préjudice devrait atteindre plusieurs milliards d’euros.

Des législatives allemandes qui se teintent de vert

La tragédie outre-Rhin pourrait bien avoir des conséquences politiques. Armin Laschet, chef du parti conservateur (CDU) et candidat à sa succession, a en effet été photographié hilare lors d’un déplacement à Erftstadt – la ville la plus touchée par la catastrophe. Une image qui n’a pas manqué de susciter une vague d’indignation en Allemagne et lui a valu une « une » assassine du Bild : « L’Allemagne pleure et Laschet rit » – un quotidien souvent considéré comme une sorte de faiseur de roi. La colère est d’autant plus grande et pénalisante que M. Laschet est le dirigeant de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie.

Or, le 26 septembre se tiendront des législatives déterminantes pour l’avenir du pays, alors que la coalition conservatrice au pouvoir remet en jeu son titre pour la première fois sans sa favorite, sa championne, Angela Merkel, qui prend sa retraite politique au terme de 16 années au pouvoir. Les intempéries viennent bouleverser une campagne déjà résolument teintée de vert – et ce malgré les scandales qui pénalisent la candidate écologiste, Annalena Baerbock. Tous les candidats ont en effet fait des propositions afin de renforcer la lutte contre le réchauffement climatique – même l’ultraconservateur ministre de l’intérieur Horst Seehofer, pourtant jusque là connu pour ses positions plutôt sceptiques face au changement climatique. Aujourd’hui, seule l’AfD (extrême droite) récuse encore le lien entre ces catastrophes et le dérèglement climatique.

Hormis les Verts et l’AfD, les principaux dirigeants politiques allemands ont donc fait le choix de de l’omniprésence médiatique pour montrer leur préoccupation. Opportunisme politique ou véritable prise de conscience de l’urgence climatique ? Difficile à dire. La seule certitude est que cette nouvelle crise, en plus de celle du Covid, remet le climat au centre des débats. Une mauvaise nouvelle pour les partis traditionnels d’après l’analyse du politologue Gero Neugebauer, de l’université Libre de Berlin : « Le retour en force des thèmes environnementaux dans la campagne électorale peut être un handicap pour les Chrétiens et les sociaux-démocrates qui n’ont pas montré au cours de toutes ces années qu’ils maîtrisaient la question. »

Une aubaine pour la politique climatique européenne ?

Le bilan est d’autant plus difficile que d’après les experts climatiques, l’ampleur de la catastrophe de la semaine dernière est aussi du à une mauvaise prévention des autorités. « Les agences météorologiques européennes avaient prévenu les autorités allemandes d’un risque important d’inondation » note ainsi Linda Speight, hydro-météorologue à l’université de Reading (Angleterre). Et les signaux sont également au rouge pour les années à venir : « Un degré de plus, au niveau global, équivaut à 7 % de vapeur d’eau supplémentaire dans l’atmosphère », rappelle Jean-Pascal van Ypersele, professeur de climatologie à l’université catholique de Louvain en Belgique. Une situation qui augmente les pluies et incidemment les risques de voir de telles catastrophes se reproduire. « Le Giec alertait déjà sur ce risque dès son premier rapport en 1990 » déplore ce dernier.

Dans ce contexte, l’Union européenne appelle à redoubler d’efforts pour lutter contre le réchauffement climatique. Une sorte d’ironie glaçante a voulu que ces pluies torrentielles aient lieu le soir de l’annonce de nouvelles propositions européenne sur le climat, la proposition de plan « Fit for 55 ». Les annonces de la Commission sont notables : arrêt des ventes de véhicules à essence et diesel d’ici à 2035, taxation des compagnies aériennes pour tous les vols intérieurs à l’espace européen ; taxe carbone aux frontières, ambitieux programme de soutien aux plus défavorisés afin de les aider à transitionner et éviter un « effet gilets jaunes »…

Le texte a connu un accueil glacial de la part des industries concernées ; qui comptaient freiner des quatre fers et faire pression sur les autres institutions européennes pour en réduire l’ampleur – une attitude plus difficilement justifiable après les tragédies de la semaine dernière.

Des pressions internationales et de possibles sanctions commerciales sont aussi à envisager. Ainsi que les quolibets habituels. « Les critiques se moqueront de la bureaucratie européenne. Mais (…) les objectifs du développement durable sont clairement énoncés, les cibles sont basées sur des objectifs limités dans le temps, et les processus et procédures sont établis en fonction des objectifs » estime Jeffrey D. Sachs, directeur du Centre pour le développement durable de l’université de Columbia et président du Réseau des solutions de développement durable des Nations unies. « Le Green Deal est une puissante lueur d’espoir dans un monde de confusion et d’instabilité. » conclut-il. Espérons qu’il ait vu juste.

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