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Les douloureuses conséquences du départ américain d’Afghanistan

Le retrait des troupes occidentales d’Afghanistan continue : début juillet les Italiens ont quitté le pays, après Espagnols, Danois et Estoniens. La prochaine grande échéance sera le départ des quelques 2.500 militaires américains encore déployés sur place, un processus décidé par Donald Trump et accéléré par Joe Biden. Le dernier soldat devra avoir quitté l’Afghanistan le 11 septembre prochain, soit vingt ans après les attentats qui ont mené vers l’intervention internationale contre les Talibans. Ne resteront sur place que les 650 hommes chargés d’assurer la sécurité de l’ambassade américaine. Washington a explicité qu’elle n’interviendrait pas pour sauver le régime afghan en cas de besoin, notamment à cause de sa corruption systématique de la classe politique qui rend tout soutien contreproductif.

« La seule certitude est que Joe Biden veut tourner la page de la plus longue guerre qu’ont menée les États-Unis : près de vingt ans d’une guerre ingagnable » résumait Pierre Haski sur France Inter. Il s’agit donc de stopper l’hémorragie et non d’une mission accomplie. Aussi, force est de constate après vingt ans d’une guerre parfois en demi-teinte qu’aucun objectif n’a réellement été rempli. Le pays est toujours en conflit et le gouvernement soutenu par l’ONU est plus fragile que jamais. Un coup dur pour la crédibilité américaine : « le ‘commandant en chef’ qui abandonne l’Afghanistan, volera-t-il au secours de Taiwan, ou de l’Ukraine, si ces alliés des États-Unis sont en danger ? C’est une question que ne vont pas manquer de se poser les dirigeants de ces pays », s’interroge l’éditorialiste.

La progression des Talibans

Ce départ fait régner un climat de panique généralisé à Kaboul. La perte d’un atout militaire décisif, le soutien aérien américain, fragilise énormément le Président Ashraf Ghani, dont la maitrise du territoire est déjà très relative : les Talibans contrôlent le tiers du pays. Et leur progression relativement lente ne devrait pas être vue comme un signe de la solidité de l’armée afghane, jeune et peu expérimentée. Tout semble au contraire indiquer qu’ils fassent profil bas en attendant le départ occidental. « Pour l’instant, [les Talibans] se gardent bien de lancer une grande offensive qui risquerait de provoquer une réaction » note ainsi Jean-Marc Four. « Ils se contentent de multiplier les escarmouches un peu partout dans le pays. Et ils progressent. Partout »

Leur stratégie est par ailleurs très bien illustrée par la capture du poste-frontière de Shir Khan Bandar, reliant l’Afghanistan au Tadjikistan. Il s’agit d’un axe majeur qui contrôle l’accès à tous les pays d’Asie Centrale, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, au-delà la Russie et la Chine. Aussi, outre leur présence dans une région où ils ne sont pas traditionnellement implantés, ils ouvrent une route pour un approvisionnement extérieur, et un contrôle des flux commerciaux qui renforcera leur emprise sur la population. « La réalité est qu’aujourd’hui, la seule force nationale organisée en Afghanistan ce sont les Talibans » résume Gilles Dorronsoro, professeur de science politique à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Les Talibans déploient en même temps des efforts diplomatiques importants pour organiser « l’après occupation américaine ». Jeudi 8 juillet, le ministre chinois des Affaires étrangères, a ainsi publiquement émis le souhait de trouver une solution politique avec ces derniers. Et pour cause, les routes de la soie doivent passer par le col Wakhjir, le long de la frontière avec l’Afghanistan. Suhail Shaheen, porte-parole des talibans s’est pour sa part engagé à garantir la sécurité des investisseurs et des travailleurs chinois qui reviendraient dans le pays dans le South China Morning Post. Il s’est également engagé à ne pas fournir de base d’appui aux quelques 3500 combattants Ouïgours présents dans le pas d’après une évaluation du Conseil de sécurité des Nations unies.

Vers un double échec occidental ?

Le positionnement des Talibans semble donc raisonné – et tout cas bien loin des politiques médiévales du début de la guerre contre les Etats-Unis. Ce qui pose la question d’une possible négociation entre les Talibans et le pouvoir civil. Un certain nombre d’éléments pourraient les inciter à trouver un compromis politique plutôt que de remettre les pays à feu et à sang, ce qui renforcerait leur image de dirigeants légitimes. Le risque en cas de conflit trop prolongé est l’apparition un clivage ethnique impossible qui rendrait le pays ingouvernable comme lors de la guerre civile des années 90. En outre, les Talibans savent qu’une l’aide financière internationale est indispensable à la reconstruction d’une économie nationale – et qu’il faudra montrer patte blanche pour obtenir des fonds. Aussi, le sort du pays dépendra de la résistance du pouvoir en place, qui déterminera l’opportunité de négociations.

L’autre grande question en suspens est celle d’un potentiel retour des djihadistes en Afghanistan. Si Daesh, qui revendique des attentats nombreux dans le pays et contrôle certaines régions à la frontière avec la Pakistan, leurs relations avec les Talibanes sont détestables. Aussi, leur alignement avec ces derniers parait impossible. Le groupe terroriste Al Qaida est quant à lui déjà présent dans le nord du pays. S’ils ont combattu aux côtés des Talibans par le passé, ces derniers savent aussi que cette alliance avec a provoqué leur chute en 2001. Les membres de l’organisation pourront donc sans doute chercher refuge dans les villes contrôlées par les Talibans, mais devront peut-être y faire profil bas.

Enfin, le dernier inconnu dans le pays est l’ampleur de la crise humaine qui accompagnera la reprise des hostilités. Tous les observateurs prévoient ainsi une augmentation importante des violations des droit humains – tout particulièrement contre les femmes. Et si auparavant la réponse habituelle à ces exactions était l’exode, le gouvernement a récemment fermé le bureau des passeports limitant ainsi les mouvements hors du pays – prétextant une quatrième vague de Covid. L’objectif est clairement de limiter la migration de masse de sa population. Le Pakistan a lui aussi déclaré être prêt à fermer ses frontières avec L’Afghanistan, craignait un flot de réfugiés à mesure que les Talibans avancent. Les conséquences de cette politique ne sont pas encore claires, mais le risque est une précarisation encore plus grande pour les refigurés qui fuient les combats et le retour de la charia.

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