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Afghanistan : victoire totale des talibans

victoire totale des talibans

« Les talibans ont gagné ». Voilà le message envoyé dimanche soir par le président Ashraf Ghani, qui se trouverait désormais au Tadjikistan ; signe d’un pouvoir en totale désintégration. La débâcle est totale pour les forces de sécurité afghanes : l’offensive n’aura duré qu’une dizaine de jours. Le régime soutenu par l’URSS, il y a une trentaine d’année, avait lui tenu près de trois ans après le départ des forces soviétiques. Le régime actuel n’aura même pas tenu jusqu’à la date officielle de fin du retrait américain, le 31 août. Les pays étrangers s’activent désormais pour évacuer leurs ressortissants alors que le chaos s’installe à l’aéroport de Kaboul où les vols commerciaux sont annulés.

Pratiquement vingt ans après l’intervention américaine qui les avait chassés du pouvoir pour les punir d’avoir hébergé l’organisation terroriste Al-Qaida, la victoire des talibans est totale. En atteste la vidéo postée sur les réseaux sociaux par le mollah Abdul Ghani Baradar, cofondateur des talibans, où il salue la victoire du mouvement islamiste par ces mots : « C’est le moment d’évaluer et de prouver, à présent nous devons montrer que nous pouvons servir notre nation et assurer la sécurité et le confort ». Les talibans ont assuré vouloir un transfert pacifique du pouvoir « dans les jours à venir », assurant dans le même temps aux banquiers et marchands que « l’Émirat protégera votre propriété ».

Malgré ces annonces qui se voulaient rassurantes, la nouvelle de la chute de Kaboul a provoqué un vent de panique dans la capitale, où des habitants tentent de fuir par tous les moyens. La situation fait ressurgir le spectre d’une catastrophe humanitaire, alors qu’on comptait déjà 30 000 réfugiés par semaine, se rendant principalement dans les pays voisins, avant la chute de Kaboul. Aussi, le Conseil de sécurité de l’ONU doit se réunir ce lundi après-midi pour faire le point sur la situation en Afghanistan.

Les dessous d’une débandade

Comment expliquer l’invraisemblable rapidité de cette déroute ? L’armée afghane était-elle à ce point incapable ? Loin s’en faut, forte des 300 000 combattants elle aurait pu tenir faire aux quelques dizaines de milliers de talibans. « Les talibans n’ont pas capturé de territoires parce qu’ils étaient en surnombre par rapport aux forces de sécurité, on a plutôt vu des forces de sécurité abandonnant leurs positions bien souvent sans combattre » explique Ibraheem Bahiss, spécialiste de l’Afghanistan pour l’International Crisis Group. « Le gouvernement prévoyait de tenir toutes les capitales provinciales, mais n’avait pas consacré suffisamment de troupes à la protection des villes les plus importantes. Puis les capitales se sont mises à tomber les unes après les autres ».

C’est donc que le moral n’était pas là. « Les soldats afghans n’ont pas eu la volonté de se battre et de risquer leur vie pour un gouvernement qu’ils considèrent complètement illégitime et corrompu », résume le politologue Romain Malejacq. « Ce pouvoir et cette armée ne tenaient que parce que les Américains fournissaient armes et munitions et surtout, l’appui aérien indispensable pour faire le lien logistique et tactique sur le terrain » notait pour sa part Anthony Bellanger sur France Inter. Isolés, sans appui ni ordres précis, alors que les seules nouvelles étaient celles des capitales de province tombant l’une après l’autre, nombreux sont ceux qui ont préféré rendre les armes sans combattre, craignant des représailles.

L’aveuglement du pouvoir en place sur la capacité de son armée à combattre a également joué en faveur des talibans. « Les soldats, en Afghanistan, sont perçus comme des mercenaires, stipendiés par les Américains aujourd’hui, les Russes hier, les Anglais encore avant », poursuit Anthony Bellanger . « Les vrais combattants sont rassemblés par des seigneurs de guerre que le gouvernement afghan actuel n’est même pas parvenu à unir contre les talibans, qui pourtant les haïssent. » En se retirant dans la précipitation, après que Trump ait négocié avec ses derniers en excluant Ashraf Ghani et ces seigneurs de guerre , les occidentaux ont rendu le régime aveugle et encore un peu plus impotent, ce faisant plantant un dernier clou dans le cercueil du régime afghan, qui ne pouvait plus compter sur personne.

Les risques d’un nouvel embrasement

2 300 militaires américains seraient-ils morts dans ce « conflit sans fin » pour rien ? Tout semble l’indiquer : « Les talibans maîtrisent mieux l’Afghanistan aujourd’hui que lorsqu’ils étaient au pouvoir » avant l’intervention américaine, soulignait le journaliste afghan Sayed Salahuddin. Le ballet des hélicoptères collectant les ressortissants occidentaux rend grinçante la sortie de Joe Biden, qui assurait encore récemment : « En aucun cas, vous ne verrez des gens évacués depuis le toit de l’ambassade des États-Unis en Afghanistan ». Il pourra toujours dire que ces évacuations se font depuis l’aéroport… Le même recevait Ashraf Ghani le 25 juin dernier, et l’assurait de son soutien « indéfectible »

La majorité américaine tente aujourd’hui de relativiser. Chris Murphy, membre de la commission des affaires étrangères du Sénat a ainsi estimé que « Si vingt années de formation laborieuse des forces de sécurité afghanes ont eu aussi peu d’impact sur leur habileté à se battre, cinquante années de plus ne changeront rien ». Une réalité douloureuse, qui n’exonère pas pour autant les États-Unis de ce départ précipité qui a précipité la chute du pouvoir au point qu’elle intervienne avant même la fin officielle du retrait américain. Les services américains savent en effet que Kaboul a été pris et reprise quatre fois en 30 ans (1980, 1992, 2001 et aujourd’hui), à chaque fois pratiquement sans combat.

La voie est désormais libre pour les talibans : « ils vont demander aux technocrates, aux fonctionnaires de reprendre le travail normalement et ils vont essayer d’administrer le pays de manière technique. Et à côté de ça, ils vont imposer la charia », prédit Olivier Roy, professeur à l’Institut universitaire européen de Florence. Un retour au fondamentalisme qui risque de se heurter à une jeune génération qui n’a connu qu’un Afghanistan ouvert et libre. « Les talibans dans les campagnes, ça marche, mais à Kaboul, ça va être très dur » résume le politologue. Vont-ils accepter des compromis pour forer une unité nationale et éviter l’embrasement du pays ? Difficile à dire, mais certains font déjà preuve d’un certain scepticisme. « Leur idéologie ne laisse simplement pas de place à beaucoup de concessions », rappelle ainsi Romain Malejacq.

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