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Législatives en Allemagne : les tendances se dessinent

A un mois des législatives, la Chancelière allemande Angela Merkel a entamé sa rituelle tournée d’adieu. Après 16 années au pouvoir, ce titan de la politique allemande s’apprête en effet à passer le témoin à Armin Laschet, le candidat désigné par son parti. Bien malin celui qui est en mesure de prévoir qui l’emportera le 26 septembre prochain, mais force est de constater que la coalition sortante CDU-CSU est en mauvaise posture : un sondage publié dimanche par le quotidien Bild donne ce mouvement à seulement 21 % des intentions de vote (contre 34 % en début d’année). Il est ainsi devancé par le parti social-démocrate d’Olaf Scholz (24 %) et la tendance se creuse. Il parvient néanmoins à se maintenir devant les Verts d’Annalena Baerbock (18%).

Mais cette seconde position cacher une réalité plus inquiétante pour la droite allemande : l’ancienne force dominante du pays pourrait bien se retrouver devant une alliance de la gauche et des écologistes qui ensemble réaliseraient le double de son score.  Aussi, si les conservateurs ne parviennent pas à renverser la vapeur, ils risquent de retourner dans l’opposition pour la première fois depuis 2002. Une perspective qui n’enchante ni la chancelière sortante, ni son dauphin.

Le premier débat télévisé entre les trois principaux candidats (Armin Laschet pour l’Union CDU-CSU, Olaf Scholz pour le SPD et Annalena Baerbock pour les Verts), ce dimanche, a été l’occasion pour les candidats de réaffirmer leurs positions et de donner le « la » pour la dernière ligne droite de la campagne. Sans surprise, les deux candidats retardataires ont été les plus offensifs, en particulier la candidate des Verts, Annalena Baerbock, qui fut brièvement en tête des sondages en début d’été, avant qu’une série de déconvenues (accusations de plagiat et de réécriture de son CV) ne la fassent décrocher.

Une écologie qui peine à redémarrer

Malgré les pluies diluviennes qui se sont abattues sur l’ouest allemand en juillet cette dernière n’a pas su relancer sa campagne et les Verts stagnent dans les intentions de vote. Baerbock est de la seule candidate qui n’a pas participé au gouvernement (les deux autres ayant pris part à la coalition qui a gouverné l’Allemagne lors des deux précédents mandats). Aussi, elle ne s’est pas privée d’attaquer le bilan de l’équipe sortante : « Nous n’avions pas besoin d’un nouveau rapport du Giec pour savoir comment gérer la crise climatique. Nous n’avions pas besoin d’événements extrêmes avec des conséquences tragiques comme dans l’ouest de l’Allemagne ! Nous savons, au moins depuis six ans, ce que nous devons faire ».

Cette position d’outsider qui lui donnait un avantage, mais il s’agit d’une arme à double tranchant. Et ce d’autant que les autres formations, mais aussi la presse conservatrice et centrise qui tient le haut du pavé outre-Rhin, redoutent la « vague verte », qui implique un changement de philosophie profond pour le pays. Ils ont tout fait pour freiner son ascension. Aussi, elle avait beaucoup à faire – en particulier rattraper les dommages causés par son début de campagne passé au crible fin, qui a véhiculé une image d’amateurisme. Si elle a pu partiellement corriger le tir lors du premier des trois débats télévisés précédent le vote, elle n’a pas réussi à s’imposer : Selon un sondage Forsa effectué après le débat, 36 % des personnes interrogées considèrent qu’Olaf Scholz l’a remporté, contre 30 % pour Annalena Baerbock et 25 % pour Armin Laschet. Une distribution, qui si elle eprdur, sera encline à pousser les hésitants vers un vote social-démocrate et l’éloigner encore plus de la tête du podium.

Une droite divisée

Les difficultés pourraient également de faire que commencer pour Armin Laschet : A mesure que sa position se fragilise, les contestations montent au sein de sa formation politique. Au point que certains cadres n’hésitent pas à publiquement déplorer qu’il soit le champion de leur coalition. « La grande déception qui a entouré le choix du candidat à la chancellerie se reflète aujourd’hui dans les sondages », notait ainsi Markus Blume, secrétaire général du parti social-chrétien bavarois (CSU). Selon un sondage de l’institut Civey paru ce mercredi, 70 % des partisans de la CDU souhaiteraient qu’il abandonne sa candidature au profit de son ancien rival, le très conservateur leader de la CSU, Markus Söder. « Mon sentiment est que de nombreux électeurs ne savent pas encore vraiment à qui confier le pays après Angela Merkel », résumait le député conservateur Marco Wanderwitz, plus modéré.

Pourtant, la semaine dernière, c’est la chancelière elle-même qui a choisi de voler au secours de Laschet, se disant « profondément convaincue » par sa candidature. Jusqu’ici, elle avait choisi de rester en marge de la campagne pour laisser le champ libre à son successeur. Sur le départ, l’indéboulonnable Mutti tente ainsi de remettre un peu d’ordre dans sa formation qui semble aujourd’hui s’engager vers l’implosion. Des efforts qui ne convainquent pas tout le monde, à l’image de Tilman Meyer, politologue à l’Université de Bonn : « La situation est dramatique pour Armin Laschet. Il ne crée aucune étincelle auprès des électeurs. Le soutien de la chancelière ne pourra pas faire oublier ses faiblesses ». La presse allemande parle en tout cas « d’un état de panique » dans le camp conservateur – une panique qui est rarement bonne conseillère.

Vers un retour en force du SPD ?

Devant la débandade à droite, c’est le centre gauche allemand qui semble le mieux tirer son épingle du jeu. Une étude Dimap a ainsi établi qu’en cas de suffrage direct, Olaf Scholz distancerait ses concurrents avec 41 % des suffrages selon, contre 16 % pour Armin Laschet et 12 % pour Annalena Baerbock. Ce retournement est d’autant plus impressionnant, qu’avant l’été, le SPD stagnait à 15 % dans les sondages. Vice-chancelier durant quatre ans et ministre du Travail durant la crise de 2008, Scholz se pose en héritier de Merkel – la femme politique qui a su protéger les intérêts allemands, au moins à court terme, au fil des tempêtes. « Olaf Scholz s’est merkelisé », analysait ainsi le quotidien allemand Der Spiegel.

Aussi, la tendance actuelle semble annoncer un scénario du statu quo (on change les étiquettes, mais la politique reste globalement la même). Une situation qui est à des lieues de refléter la grogne sociale qui monte en Allemagne, et demande un changement de cap important. « Olaf Scholz incarne le SPD ‘pragmatique’ de l’ère schröderienne (…) vécue comme une trahison par la base électorale traditionnelle » de la gauche, soulignait ainsi Etienne Dubslaff du Comité d’études des relations franco-allemandes. Pourtant, si le déclin de la droite se poursuit, un autre scénario pourrait se profiler : une alliance du SPD avec Die Linke (gauche radicale) et les verts. Ce scénario est un cauchemar pour les conservateurs allemands, habitués au pouvoir et à voir leur ligne idéologique orienter la politique nationale. Ils demandent à chaque occasion au candidat du SPD un engagement formel à ne pas « tendre la main à l’extrême gauche » pour tenter d’éroder son soutien sur la gauche.

Il est fort à parier que Scholz soit, tôt ou tard dans la campagne, forcé de prendre position. Ses équipes doivent avoir les yeux rivés sur les sondages, en particulier à droite, pour déterminer la voie à suivre. Une prise de position trop à gauche pourrait en effet lui faire perdre le soutien du centre-droit merkélien, et permettre une remontée mécanique de la CDU-CSU. Aussi, si le SPD semble bien parti pour l’emporter, la partie n’est pas finie. En outre, le futur gouvernement pourrait s’avérer très difficile à former, avec pour la première fois depuis les années 1950 un gouvernement à trois partis.

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