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Ukraine : l’urgence de la normalisation

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À Kiev, l’inquiétude monte : alors que la Russie n’a pas abandonné ses volontés expansionnistes, la protection de l’allié américain se fragilise. Washington, soucieux d’apaiser les relations avec Moscou, est de plus en plus tenté d’alléger son coûteux soutien à une Ukraine toujours gangrénée par la corruption et enlisée dans le Dombass.

C’est une affaire symptomatique du marasme ukrainien : en 2017, l’entreprise d’énergie solaire canadienne TIU investissait 70 millions de dollars pour construire quatre projets solaires à travers l’Ukraine, dont un vaste chantier près de la ville de Nikopol dans le sud du pays, avec plus de 33 000 panneaux solaires.

Un investissement prometteur : en basculant dans le giron occidental après les événements de Maïdan et le conflit militaire avec la Russie, Kiev s’était engagée à une ambitieuse conversion à la démocratie libérale et à l’État de droit, censée attirer les investisseurs internationaux, relancer l’économie nationale et solidifier le nouveau pouvoir en place.

Une « nouvelle Ukraine » idéale pour l’entreprise canadienne, qui promettait avec ces panneaux solaires d’offrir à Kiev une alternative écologique et énergétique au gaz russe. Mais depuis 2019, TIU dénonce les pressions et le chantage subis dans un pays qui peine à rompre avec ses vieux démons. L’entreprise canadienne accuse en effet Igor Kolomoisky, l’un des oligarques les plus puissants du pays, d’avoir saboté une partie de ses installations électriques. Des dommages financiers estimés à la fin de février 2021 à environ 2,3 millions de dollars et dans le but d’empêcher le groupe canadien d’acheminer l’électricité produite. Le but recherché par l’oligarque ?  Faire pression pour forcer l’entreprise canadienne à céder ses infrastructures à prix cassé selon l’ancien ambassadeur d’Ottawa dans le pays.

Une opération mafieuse, contre laquelle la Justice ukrainienne paraît démunie : en première instance, elle a débouté TIU de sa plainte en quelques minutes dans un jugement entaché du soupçon du parti-pris, tant l’influence d’Igor Kolomoisky est forte dans le pays. Et si le groupe canadien a fait appel, la procédure s’enlise désormais. Le président de l’entreprise canadienne, par la voix d’un communiqué de presse a dénoncé « des actions arbitraires et à des institutions corrompues » tandis que le Conseil des affaires américano-ukrainienne déclaré que cette affaire du TIU était « un véritable test pour savoir si un grand investisseur international peut ou non obtenir un procès équitable dans le cadre du système judiciaire actuel en Ukraine ».

L’Affaire TIU, symptôme d’une Ukraine qui stagne

Une affaire judiciaire révélatrice des difficultés rencontrées par l’Ukraine pour assainir son économie et l’État de la corruption. Pourtant le temps presse pour Kiev : l’appui diplomatique, militaire et financier américain pourrait bien s’amenuiser dans les prochaines années, voire les prochains mois.

Car l’Afghanistan est dans toutes les têtes des dirigeants ukrainiens, et en premier lieu le Président de la République Volodymyr Zelensky : après vingt de guerre et 1000 milliards de dollars partis en fumée, l’Amérique a tout de même fini par plier bagage. La leçon afghane est un terrible avertissement pour les autorités ukrainiennes: le soutien des États-Unis n’est ni éternel ni inconditionnel, et les Américains auront tôt fait de les abandonner face aux Russes si cela est plus conforme à leurs intérêts nationaux.

En visite à Washington ce 1er septembre, Volodymyr Zelensky aura fort à faire pour rassurer une administration Biden de plus en plus lasse de soutenir cet encombrant allié, qui peine à réaliser les réformes nécessaires pour relancer son économie et stabiliser son pouvoir. Plusieurs signaux inquiétants ont été émis ces derniers mois : en mai dernier et contre toute attente, Washington annonçait finalement renoncer à toute forme de sanction contre Nord Stream 2, le gazoduc reliant la Russie à l’Allemagne via la mer Baltique. Un projet énergétique dénoncé par l’Ukraine, qui voit son principal levier d’influence sur le continent (servir de pays de transit pour le gaz russe à destination du marché européen) s’amenuiser, tandis que Moscou pourrait alors renforcerait son influence sur le continent.

Mais faisant fi des protestations de Kiev, Washington a finalement apposé sa bénédiction sur le projet : pas question de se brouiller avec l’Allemagne, l’autre grand acteur du dossier, et allié indispensable des États-Unis dans leur croisade économique contre la Chine. Une Chine au coeur de toutes les préoccupations dans une Maison-Blanche, qui cherche désormais à tout prix à enclencher une désescalade des tensions avec la Russie pour concentrer toute son offensive économique et diplomatique sur Pékin.

Dans le grand jeu géopolitique américain, l’Ukraine pèse bien peu. Et si le pays ne donne pas rapidement des gages de modernisation et de démocratisation, le lobbying des autorités ukrainiennes à Bruxelles et surtout à Washington pourrait ne pas peser bien lourd, laissant à nouveau le pays bien seul face à son encombrant voisin russe.

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