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Une alliance franco-italienne des fromagers pour contester le Nutriscore ?

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            Des deux côtés des Alpes, les professionnels du fromage se mobilisent pour critiquer le Nutriscore, un système d’étiquetage alimentaire défendu par la France et qui pourrait bientôt être imposé au niveau européen. Que ce soient les petits producteurs artisanaux ou les grands industriels, tous pourraient faire les frais d’un algorithme qui note sévèrement les produits laitiers en se contentant de noter limpact sur la santé dune absorption de 100g d’aliments, et non d’une quantité normalement ingérée.

            Du 1er janvier au 30 juin prochain, la France assumera la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne. Une position qui permet au pays à la tête de cette institution majeure de défendre les dossiers qui lui sont chers. Si, officiellement, la France devrait s’engager des sujets « grand public » en lien direct avec l’actualité tels que les enjeux budgétaires liés à la crise du Covid, la transition numérique, ou le réchauffement climatique, le dossier du Nutriscore – beaucoup moins médiatique et encore moins consensuel – pourrait lui aussi s’inviter à l’ordre du jour.

Un système contesté, en particulier par les producteurs de fromages

            Fin 2020, lors de la présidence allemande de l’Union européenne, le sujet de cet étiquetage nutritionnel à imposer au niveau européen avait fait parler de lui en divisant les pays européens. Désormais connu de ceux achetant des produits emballés, le Nustriscore est basé sur un code couleur allant du vert au rouge et des lettres allant de A à E évaluant les apports nutritionnels fournis par 100 grammes du produit en question. La France soutient ce système de notation, créée par ses universitaires et qu’elle a déjà adopté, suivi par six autres pays européens (la Belgique, l’Espagne, l’Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas, et la Suisse). Cocorico, donc ? Pas si vite… Si ce système ne fait pas l’unanimité, c’est que de nombreux pays – emmenés notamment par l’Italie – lui reprochent d’être opaque, imparfait et injuste vis-à-vis des produits emblématiques de la gastronomie méditerranéenne tels que l’huile d’olive, le parmesan ou le jambon de Parme.

Élodie Grenier-Mazelle, diététicienne à Paris, résume dans Slate les critiques faites au Nutriscore : « Mangeons-nous du fromage pour sa teneur en fibres et en fruits et légumes ? La réponse est nécessairement non. Ainsi, le barème utilisé pour le Nutriscore ne va pas non plus être favorable à ce type d’aliment, d’autant que le cahier des charges de certains fromages notamment AOC / AOP  [Appellation d’origine contrôlée / Appellation d’origine protégée] suppose un certain taux de matières grasses, susceptible de plomber encore plus le score du produit. Le score apposé ne devrait pas alors, tout comme pour l’huile, inciter а ne pas consommer l’aliment, mais а en contrôler la quantité ingérée. N’oublions pas que le Nutriscore se base sur 100 g de produit, or il est quand même rare de vouloir consommer 100 g d’huile ou 100 g de fromage quotidiennement.»

C’est la raison pour laquelle, en France également, certains producteurs sont vent debout contre cet instrument qu’ils jugent inadapté au fruit de leur activité traditionnelle. Interrogé par Midi Libre début juin, le secrétaire général de la Confédération générale de roquefort, Sébastien Vignette, s’est exprimé sur la situation en ces termes : «  Notre fromage, c’est du lait cru et du sel pour le conserver. Les qualités nutritionnelles de nos produits sont largement ignorées. Les fromages représentent 19 % des apports calciques, 8 % des apports protéiniques. Ils ont de véritables vertus et qualités nutritionnelles. Mais le message est brouillé avec ce système simpliste de feux tricolores. » « [l’AOC] fait que nous ne pouvons pas faire évoluer nos recettes. Pour avoir une bonne note Nutriscore, que devrions-nous faire ? Mettre du lait écrémé et des conservateurs pour remplacer le sel ? Ce ne serait plus du roquefort », poursuit Sébastien Vignette, en référence à certains producteurs qui, par un savant calcul, parviennent à améliorer leur note Nutriscore en changeant sa composition sans pour autant rendre leur produit plus sain, comme le rappelle Slate dans un article en date du 5 juillet dernier.

Interrogé par France Bleu, Frédéric Monod, directeur de la fromagerie des Cévennes en Lozère, s’en prend lui aussi à un système qu’il juge dogmatique, injuste et cruel à l’égard des produits artisanaux : « Je ne suis pas contre Nutriscore pour les aliments industriels, hypertransformés dans lesquels on met des additifs, des compléments, pour informer les consommateurs […] Nous, ce sont des terroirs derrière nos produits, c’est du lait, des ferments, de la présure, c’est tout ce qu’on a. Et un cahier extrêmement strict au niveau de l’obtention de ces matières premières. Ces matières premières nobles rentrent par la porte de l’excellence dans nos ateliers de fabrication et elles en sortent avec un bonnet d’âne ! ». « Ce système va faire énormément de mal aux produits du terroir » s’inquiète-t-il.

Un point de vue que partage l’Institut Régional de la Qualité Alimentaire en Occitanie, qui estime dans un communiqué cité par Entreprendre dans un article du 27 juillet que Nutriscore peut être contre-productif : « Quel produit choisir entre un fromage à tartiner allégé, classé B, et un Rocamadour, un Roquefort ou un Pélardon classés D ou E, mais garants dune recette traditionnelle ? ».

L’alliance du roquefort et du Parmesan

            Chez nos voisins italiens, beaucoup de producteurs de renom disent également no au Nutriscore. Un ennemi commun qui réussit à réunir les célèbres AOC Parmigiano Reggiano et Grana Padano, pourtant rivales historiques. Les conseils d’administration de ces deux consortiums ont annoncé dans un communiqué de presse publié à l’issue d’une réunion qu’ils rejetaient le système de notation multicolore : « Ces systèmes ne tiennent pas compte de l’équilibre entre les différents aliments d’un régime alimentaire, ni de l’ensemble des caractéristiques organoleptiques des produits eux-mêmes ». « Les fromages sont pénalisés parce qu’ils contiennent des graisses, mais on ne tient pas compte des nombreux contenus nutritionnels stratégiques qu’ils offrent : calcium, acides gras fonctionnels, vitamines liposolubles, acides aminés essentiels […] C’est-à-dire des éléments précieux pour une alimentation saine et équilibrée », ont-il ajouté. 

Nutriscore classe en effet les deux fromages italiens dans la catégorie « Orange – D » alors que, selon les deux consortiums, un repas avec 80 grammes de pâtes, 20 grammes d’huile d’olive extra-vierge et 20 grammes de fromage AOP serait classé en « Vert clair-  B » voir en « Vert – A », comme l’indique le site spécialisé Olive Oil Times. « Nutriscore nie les recommandations plus établies et actualisées partagées par les nutritionnistes du monde entier, où le juste équilibre entre qualité et quantité est la clé d’une alimentation saine à tout âge », précise Renato Zaghini, président du Consortium AOP Grana Padano.

Cet ensemble de griefs a amené les deux frères ennemis à soutenir les initiatives du gouvernement italien contre l’extension Nutriscore à toute l’Europe, et ont demandé à toutes les organisations d’AOP de les rejoindre « pour sauvegarder la santé des consommateurs et les investissements des entreprises qui se concentrent sur la qualité et la durabilité ». Parmigiano Reggiano et Grana Padano ont par conséquent déclaré qu’ils « n’autoriseront pas les étiquettes officielles des AOP auprès des opérateurs de la chaîne alimentaire qui choisiraient d’adopter ces étiquettes sur l’emballage des produits des deux AOP ».

Les petits producteurs rejoints par les grands industriels

Si les producteurs de fromages traditionnels français peuvent compter sur le soutient de leurs camarades italiens, ils peuvent aussi compter sur le soutien de certains géants de l’agroalimentaire.

En effet, les limites du Nutriscore ont également été relevées par de grands groupes tels que Lactalis, multinationale française numéro 1 mondial des produits laitiers. Le 25 juillet dernier, dans un entretien accordé au Parisien son directeur général Philippe Palazzi avait lui aussi critiqué le fonctionnement déconnecté de la réalité de l’algorithme Nutriscore : « Lorsque je prends du beurre, au petit-déjeuner, je ne consomme pas 100 grammes ou une demi-plaquette, mais plutôt huit grammes. À l’inverse, certains sodas récoltent une note correcte, un B ou un C, mais quand on boit une canette de 33 cl, on boit plus de trois fois 100 grammes. L’important est la quantité réelle absorbée par le consommateur. » Même si le groupe ne s’oppose pas au Nutriscore, Philippe Palazzi  se plaint d’un système « qui ne restitue pas avec justesse la qualité de [ses] produits ». « La notation oublie les bienfaits de certains aliments comme les produits laitiers », précise-t-il, avec la clé un impact sur les ventes des produits concernés déjà perceptibles. 

« Le risque est aussi que, à lavenir, ils soient bannis des publicités, voire des plateaux à la cantine, par exemple ! », s’inquiète également le dirigeant, en s’interrogeant : « Pourquoi, pour ces produits-là, ne pas apposer un score qui tiendrait compte dune portion moyenne réellement consommée ? ». Une question de bon sens, que de plus en plus d’acteurs et de citoyens informés du fonctionnement de Nutriscore se posent.

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