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11 Septembre : quelles leçons 20 ans plus tard ?

Samedi dernier marquait le 20ème anniversaire des attentats du 11 Septembre 2001. Au-delà du choc émotionnel énorme qu’a suscité cette tragédie, l’attaque au cœur des États-Unis a été, si ce n’est le point de départ, au moins l’accélérateur d’une nouvelle dynamique mondiale qui se dessinait depuis la chute du bloc soviétique. En lançant la première puissance mondiale dans des guerres inutiles (Irak) ou inutilement longues (Afghanistan) ces évènements ont largement contribué au déclin américain. Un déclin illustré par le départ précipité et désordonné d’Afghanistan. Tout comme le 11 Septembre chute de Kaboul, le 15 août dernier, pourrait devenir une de ces dates symboliques qui marquent un tournant dans l’histoire. Celui de la prise de conscience qu’une « victoire » américaine en Afghanistan nécessitait un engagement entier d’une nation qui cherchait justement à de désengager du Proche et Moyen-Orient pour se recentrer sur le Pacifique.

« Les États-Unis et en particulier Joe Biden ont résolument décidé d’en finir avec ces guerre périphériques » résume justement Thomas Gomart, directeur de l’Ifri.

La débâcle Afghane consacre en effet un changement de stratégie américaine. « Je crois que c’est la bonne décision, une décision sage et la meilleure décision pour l’Amérique » a martelé Joe Biden dans une allocution aux airs d’épilogue. Un constat difficilement contestable – le départ d’une région moralement perdue, à l’intérêt stratégique déclinant, était inévitable. Et ce d’autant le coût de cette guerre, depuis longtemps sans objectif, était astronomique : 2261 milliards de dollars, soit 300 millions par jour. Une véritable hémorragie devenue dangereuse pour le leader mondial avec l’émergence du nouveau rival chinois. On voit d’ailleurs que les Américains soutiennent assez largement ce retrait: 54% d’après la Pew Research. Mais parler de réussite stratégique comme l’a fait Biden est aller un peu vite en affaires. Ce cycle de 20 ans a en effet provoqué un certain nombre de conséquences très négatives pour les États-Unis, et les occidentaux plus généralement.

Les retombées de la guerre du « bien » contre le « mal »

Tout d’abord, ces 20 années de guerre qui cherchait justement à éliminer le terrorisme, l’ont en réalité renforcé. Il ne faut pas se méprendre : à l’exception possible du nouveau régime Taliban dans le futur, le terrorisme n’a plus de réelle assiste territoriale. Daesh a eu trop d’appétit avec son califat, et en a payé le prix. L’organisation ne peut plus former et dépêcher des djihadistes aujourd’hui ; elle est réduite au terrorisme d’inspiration via sa propagande en ligne. Pour autant, cette idéologie s’est implantée dans le monde entier, d’abord les pays où les révoltes du printemps arabe ont dégénéré en guerre civile, puis en Afrique (Corne de l’Afrique, Lac Tchad et Sud-Mali) en se rapprochant de groupes insurgés locaux.

Alimentée par la frustration et la misère, la mouvante djihadiste armée s’est également implantée dans les cœurs et têtes dans de nombreuses régions du monde – y compris parmi certaines communautés au sein même des pays occidentaux. La haine de l’occident n’a jamais été aussi importante. De fait, le manichéisme un peu bas de plafond de Georges W Bush, qui érigeait un camp du bien contre un hypothétique camp du mal, a favorisé l’émergence d’une nouveau récit très critiques vis-à-vis de l’occident. Comment justifier que ce « camp du bien » multiplie bavures (souvent par drone interposé) pratique la torture, envahisse un pays pour des prétexte fallacieux, instaure des régimes éminemment corrompus et exploite les ressources hydrocarbures locales ? Sa vertu convainc très peu en dehors de ses propres frontières.

Paradoxalement, c’est cette même rhétorique qui a, au lendemain du 11 Septembre, précipité le retour de la Chine au sein de « l’ordre mondial ». En rejoignant les institutions internationales, Pékin a alors fait le choix de se placer « du bon côté de l’histoire ». Une décision qui s’est avérée fructueuse. Son entrée dans l’OMC au début des années 2000 lui a permis un enrichissement impressionnant. Dans le même temps, Washington se saignait au Moyen-Orient. « Tandis que les États-Unis s’épuisaient dans leur guerre contre le terrorisme, perdaient des milliers d’hommes et des milliards de dollars en Afghanistan et en Irak – des guerres qui paraissent aujourd’hui bien vaines -, la Chine, elle, a rattrapé son retard économique, au point de venir défier une Amérique qui regardait ailleurs » résume Pierre Haski. Et Pékin, via des politiques d’investissements ciblés et une diplomatie agressive mais souvent habile, a réussi à échapper au terrorisme malgré l’oppression inhumaine de sa population musulmane. Une double victoire.

La nouvelle donne

Après la chute du bloc communiste, la mondialisation devait résoudre tous les problèmes. En réalité, elle a  consacré le déclin de l’occident et l’émergence de la Chine « puissance révisionniste, c’est-à-dire qui veut changer la règle du jeu international », note justement Pierre Haski. Les dernières années (crise du Covid, crise financière à tiroirs, crise migratoire, stagnation de l’innovation, augmentation des inégalités, déboussolèrent idéologique et multiplication des mouvements sociaux antisystèmes…) ont montré la faiblesse concurrentielle du capitalisme de marché occidental face au capitalisme d’Etat chinois, en particulier en matière de projection stratégique. Les États-Unis semblent l’avoir compris, d’où leur recentrement stratégique et le maintien sous perfusion du secteur du pétrole de schiste, afin d’assurer son indépendance énergétique et un prix du baril bas, malgré une absence flagrante de rentabilité.

Ce réalignement des priorités américaines était déjà présent dans l’« America first » de Trump. Mais sa vraie origine vient de l’engagement d’Obama de « reconstruire la nation américaine et non pas reconstruire des nations étrangères », suivi de près par le refus d’engagement en Syrie en 2013, malgré le recours à des armes chimiques par l’armée de Bachar al-Assad. Il correspond à la prise de conscience d’un nouveau rapport de force, à la fois par la classe politique de Washington mais aussi par les électeurs américains. « On ne prête pas assez d’attention au poids de l’opinion publique américaine » note Alexandra de Hoop Scheffer, directrice du bureau de Paris du German Marshall Fund. « Les électeurs américains pèsent beaucoup plus que nous européens dans la décision qu’a pris Biden (…) Nous sommes devenus les dommages collatéraux de cette opinion publique américaine. »

Le même processus est nécessaire en Europe et pourtant il tarde. Cette dernière est devenue secondaire dans la stratégie des États-Unis. De plus, elle est de loin la plus vulnérable aux attaques terroristes, du fait de son emplacement géographique. Pour Alexandra de Hoop Scheffer, l’Europe « paie très concrètement le prix de cet alignement » avec Washington. Mais sa vulnérabilité est aussi structurelle. Son organisation actuelle la rend peu apte à défendre ses intérêts face à l’ascension de Pékin sur la scène internationale – et dans une moindre mesure à la concurrence d’une Amérique à nouveau sur le pied de guerre économique. « Il y a à la fois un trop plein et un trop peu puisqu’on multiplie les initiatives mais jamais aucune n’arrive à crédibilité » met en garde Louis Gautier, directeur de la Chaire Grands enjeux stratégiques contemporains à l’université Paris 1. « Il y a une difficulté des européens, même quand ils ont conscience de la nécessité, à transformer l’essai ». Les États-Unis ont, tant bien que mal, repris le taureau par les cornes. Reste à voir si L’UE saura faire de même.

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