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La Pologne tente une rupture légale avec l’UE

Le torchon brûle à nouveau entre Bruxelles et Varsovie. La Commission européenne a refusé de débloquer l’argent du Fonds de relance prévu pour aider le pays à faire face aux difficultés économiques provoquées par la pandémie de Covid. En cause, une décision du Tribunal constitutionnel – équivalent de la Cour de cassation française – datant du 14 juillet, qui établit que le droit européen n’était pas contraignant, et que la Pologne pouvait l’ignorer s’il allait à l’encore des lois nationales. Une prise de position qui va à l’encontre des engagements fondamentaux de Etat-membre lors de son adhésion à l’UE.

Le commissaire européen aux affaires économiques, Paolo Gentiloni, et le commissaire au commerce, Valdis Dombrovskis, ont tous deux prévenus que la Pologne ne recevrait pas un centime de ce Fonds de reconstruction tant qu’elle ne se conformera pas aux exigences imposées par les traités européens. Un rappel à l’ordre qui fait dire au parti ultra-conservateur polonais Droit et Justice (PiS), actuellement au pouvoir, que la Commission cherche à imposer un droit qui n’est pas celui du pays, et ce faisant, à « vassaliser » la Pologne. Cette dernière « ne sollicitera pas ces fonds en mendiant » a prévenu le Premier ministre Mateusz Morawiecki.

Second coup de semonce, l’exécutif bruxellois a annoncé mardi 7 septembre avoir demandé à la Cour de justice de l’UE (CJUE) d’imposer à la Pologne une astreinte journalière invoquant le manque une violation de l’indépendance du système judiciaire polonais. Une récente réforme a en effet créé une « chambre disciplinaire », chargée de contrôler le travail les juges, avec le pouvoir de lever leur immunité pour les exposer à des poursuites pénales ou réduire leurs salaires. Selon la justice européenne, avec cette réforme le pouvoir judiciaire n’est « plus à l’abri d’influences directes ou indirectes des pouvoirs législatif et exécutif ».

Un pied dedans, un pied dehors

Les critiques de Bruxelles, formulées les 14 juillet dernier, ne sont pas infondées. La chambre disciplinaire entretient en effet des liens très étroits avec le gouvernement, ce qui remet en cause la sacro-sainte indépendance de la justice. En outre, si la réforme a bien été validée par le Tribunal constitutionnel, cette dernière – pensée comme un contrepouvoir lors de sa conception en 1989 – ne l’est plus. Et ce depuis l’accession au pouvoir de Jaroslaw Kaczynski, président du PiS, qui à l’époque a refusé de reconnaitre les juges élus lors du précédent, et les a remplacés par des proches alliés. Une situation qui fait dire à l’historien et politologue spécialiste de la Pologne Jean-Yves Potel que l’institution est désormais « à la solde du gouvernement ».

« Nous supprimerons la Chambre disciplinaire (de la Cour Suprême) dans la forme sous laquelle elle fonctionne actuellement et l’objet du litige disparaîtra ainsi » a assuré Jaroslaw Kaczynski en réaction des critiques européennes. Une date qui interviendrait après le versement de l’aide européenne, retirant ainsi tout pouvoir au bloc en cas de revirement ou de réforme purement cosmétique du judiciaire polonais. Le versement est donc lui aussi reporté et le bras de fer relancé. Au point que certains envisagent un départ de Varsovie de l’UE.

Ce dénouement demeure toutefois improbable malgré une monté palpable et continue des tensions (répression contre la communauté LGBT+, transition écologique, droits des femmes, liberté de la presse…). La Pologne reste en effet le premier bénéficiaire d’aides en Europe. De plus, la population y soutien l’adhésion à l’UE à hauteur de 87% d’après une récente étude. « Il existe en Pologne un courant, solide, favorable à une sortie de l’Union européenne. Mais un Polexit provoquerait une crise intérieure’ estime ainsi Jean-Yves Potel. « D’ailleurs le PiS ne dit pas ‘il faut sortir de l’Europe’, mais ‘Il faut se battre dans l’Europe contre ceux qui, comme jadis l’Union soviétique, veulent nous imposer les lois’. » Il s’agit donc d’une poussée nationaliste plutôt que sécessionniste. Par contre, si la Pologne l’emporte, elle sera de facto en dehors du bloc juridique Européen – un dénouement tout simplement inacceptable pour Bruxelles.

Vers la crise politique ?

La dégradation du rapport entre l’Europe et la Pologne, qui a pour effet de bloquer le plan de relance de l’UE, a provoqué une colère croissante au sein de l’opinion. Le pays a par ailleurs été lâché par la Slovaquie et la République tchèque, deux acolytes du groupe de Visegrad. Seule la Hongrie reste aux côtés du PiS. Ces tensions ont trouvé un écho interne quand la coalition formée autour du parti Droit et Justice a implosé début aout autour de la question d’une alliance avec l’extrême droite. La gestion solitaire et autoritaire de Kaczyński, sans discussions ou compromis avec les autres membres de la majorité, a fini par le fragiliser. Le Vice Premier-ministre Jaroslav Gowin a même été contraint de démissionner. « La machine de propagande commence à se rouiller », estime l’analyste Peter Kreko, du groupe de réflexion Political Capital.

Si la formation au pouvoir a presque perdu sa majorité – qui se joue à chaque vote, selon le sujet – le PiS est toujours le premier parti du pays, à 25 et 35% dans les sondages. Mais il est de plus en plus isolé – d’où la main tendue à l’extrême droite. En outre l’opposition semble parvenir à se structurer (elle est arrivée en tête dans pratiquement toutes les grandes villes lors des municipales du pays et dispose désormais d’une majorité au Sénat). Elle peut également compter sue le retour de plusieurs figures politiques d’envergure, comme Donald Tusk qui a repris la tête de la Plateforme Civique (union libérale conservatrice) et multiplie les attaques contre le gouvernement actuel, ou encore l’ancien président de la République Bronislaw Komorowski a annoncé revenir en politique pour « se débarrasser de PiS ».

Pour autant, le mouvement de contestation qui s’oppose à la dérive illibérale du PiS est avant tout social. « Toute une partie de la société en Pologne, la jeune génération mais aussi les femmes, est aujourd’hui en totale rupture avec le PiS au pouvoir. Et ce lors que les conservateurs avaient réussi, au début de leur mandat, à gagner une large audience. Toute la question aujourd’hui, c’est de savoir si cette force de contestation va trouver un écho politique dans le cadre des élections à venir » s’interroge Jean-Yves Potel. Faute d’alternative viable, le pays plongerait dans une crise de gouvernance profonde, un raidissement encore accentué des relations avec Bruxelles et une inévitable montée des frustrations. Difficile, à terme, de dire si elles renforceraient le centre pro-européen qui s’oppose aux politiques du PiS ou les envies de départ d’une nation blessée.

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