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Législatives en Allemagne : rupture ou continuité ?

La succession d’Angela Merkel reste ouverte. Aucune des deux grandes formations politiques Allemandes n’a su s’imposer avec une avance suffisante pour s’assurer de reprendre le pouvoir lors des législatives de ce weekend. Léger avantage pour les sociaux-démocrates (SPD) qui sont arrivés en tête avec 25, 7 % des suffrages – une avance toutefois moindre que ce que leur prédisait les sondages. Ils sont suivis de près par les conservateurs de la CDU-CSU (24,1 %). Les deux formations ne veulent pas cohabiter à nouveau, et ce score serré ne va pas aider à combler le fossé. Aussi chacun a lancé des négociations avec les autres formations politiques afin de sécuriser une majorité. Il est actuellement délicat de prédire avec certitude qui va gouverner.

Seul le parti Alternative fur Deutschland (AfD), avec ses 10,3% (soit un recul de 2,3 points par rapport à 2017) ne fera pas parti des pourparlers. Le parti d’extrême droite a tout bonnement été autarcisé : aucune autre formation politique n’a voulu ne serait-ce que les inclure dans les discussions de coalition. L’AfD se retrouve pénalisée par sa radicalisation outrancière portée par ses faction Est-allemandes ces dernières années. Cette dérive a stoppé net son envol au niveau national.

Une tendance qui ne pourra que s’affirmer à l’avenir : « A Berlin l’AFD a fait 8% (-6 points) et en Mecklembourg-Poméranie-Occidentale (-4 points). En revanche, elle a encore progressé en Saxe. Et ses très bons résultats en Saxe vont à mon sens revaloriser l’aile radicale, pour ne pas dire néonazie, des fédérations de l’Est contre celles de l’Ouest. Le parti déjà était au bord de l’implosion, cette crise s’aggrave », note ainsi Valérie Dubslaff, spécialiste de l’histoire et de la civilisation allemandes à l’Université Rennes 2.

Les deux faiseurs de rois seront donc les Verts (14,8%) et les Libéraux du FDP (11,5%). Compte tenu de leurs scores respectifs, trois partis seront nécessaires pour former une coalition (une situation inhabituelle au niveau Fédéral en Allemagne). La tâche sera d’autant plus compliquée que les deux partis hurlent à hue et dia et que la droite fera tout pour ne pas passer dans l’opposition. Tout va donc se jouer dans le mois qui vient, alors que les grands partis allemands ont timidement annoncé qu’un gouvernement serait peut-être prêt en Novembre prochain. La priorité sera donnée au vainqueur social-démocrate, qui espère pouvoir fédérer écologistes et libéraux.

Une alternance qui n’en est pas une

Politiquement, un tel basculement serait un coup dur pour les conservateurs qui tiennent le haut du pavé en Allemagne depuis 2005. Le parti enregistre déjà son pire score de l’histoire des élections fédérales du pays. Ses chances sont d’autant plus minces qu’en 2017, le camp chrétien-démocrate avait déjà échoué à faire cohabiter les libéraux du FDP et les Verts, à l’époque moins forts.

Idéologiquement, le temps n’est en revanche pas à la révolution. Olaf Scholz, figure de proue du SPD, était déjà vice-chancelier du gouvernement Merkel. Ce dernier s’est imposé en apparaissant comme le véritable héritier de Merkel – travailleur, résolument centriste, en retenue. « Avec la pandémie et avec Scholz, le SPD a aussi et surtout réussi ce qu’il avait échoué à faire dans le passé : revendiquer et récolter les fruits de son bon travail gouvernemental. Jusque-là Angela Merkel y parvenait mais elle n’est plus là pour le faire », analyse Andrea Römmele de la Hertie school de Berlin. Il s’est imposé comme la bonne personnalité de remplacement à « Mutti ». L’analyste Pierre Haski  surenchérit avec une anecdote qui en dit long : « Un responsable du SPD interrogé récemment sur la politique étrangère de son parti a éclaté de rire en soulignant que, malgré la campagne électorale, il ne pouvait pas présenter de grandes différences entre les deux principales formations. »

S’il ne faut pas s’attendre à une rupture dans la façon dont l’Allemagne sera dirigée, ce résultat témoigne toutefois d’un début de basculement chez les électeurs. Il fait écho aux leçons du Coivd, qui ont souligné l’importance d’un état providence fort (notamment en soulignant l’impact de la suppression de lits dans les hôpitaux sur la mortalité). En outre, l’importante progression des inégalités sociales causées par les crises de 2010 et 2015 a eu lieu alors que la droite traditionnelle était au pouvoir dans la plupart des grands pays européens. Aujourd’hui, plus aucun pays fondateur de l’UE ne sera dirigé par un conservateur sauf remontée de la CDU-CSU par la négociation. Un renversement qui n’annonce rien de bon pour le PPE au Parlement européen.

Un morcellement accru de la scène politique

Même en Allemagne, pays chantre de l’orthodoxie budgétaire, relativement épargné par le marasme économique européen, l’idéologie conservatrice est en perte de vitesse : « En Allemagne, une nouvelle génération d’économistes prône ouvertement une politique d’endettement et de dépenses publiques », prévient Jean-Marc Four sur France Inter. « Le centre droit devenu central en Europe ces 20 dernières années, est confronté à l’usure du pouvoir. Un classique. Merkel en est l’exemple type. Usure d’autant plus forte que le centre droit subit la rivalité idéologique des droites radicales voire extrêmes », poursuit l’éditorialiste.

Pour l’heure, il s’agit déjà pour le SPD d’accéder au pouvoir en formant une coalition. Les augures ne sont pas trop négatifs : « [Scholtz] a bien travaillé avec ses partenaires écologiques, durant son deuxième mandat de maire » rappelle Kai-Uwe Schnapp, de l’université de Hambourg. Mais une fois un équilibre trouvé, il faudra se démarquer de la ligne politique « Merkel », sans quoi le conservatisme de centre-gauche de Scholtz – un homme qualifié « d’incarnation de l’ennui en politique » par le magazine Der Spiegel – pourrait rapidement s’essouffler.

 En Allemagne, à ne rien changer, le risque est que de centre droit à centre gauche on reste sur les mêmes fondamentaux, avec des marges politiques qui continuent de décroitre, alors que les opinions se déchirent entre extrêmes. Une situation qui rendrait le pays tout bonnement ingouvernable. Aussi les sociaux-démocrates ont tout intérêt à muscler un peu leur jeu s’ils veulent rester pertinents. Il n’est pas certain que le SPD dans son incarnation actuelle y parvienne. Mais le pouvoir accru des deux partis « faiseurs de rois » pourrait bien faire bouger les lignes.

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